mercredi 27 février 2013

Réussir sans diplôme aujourd'hui en France, c'est encore possible

Faustine pour « Les Echos »
Faustine pour « Les Echos »
 
« En France, un autodidacte a très peu de chances d'arriver au sommet », constate Alain Deniau, directeur général de Heidrick & Struggles France, rappelant que seuls 3 % des dirigeants des grandes entreprises ont réussi sans diplôme, à la réserve près que tous sont héritiers d'empires familiaux (Martin Bouygues, Brice Rocher, etc.). Selon le chasseur de tête s, « la seule voie est de tenter sa chance dans des pays plus méritocratiques tels que le Canada ou les Etats-Unis. Là-bas, les grandes entreprises comme Pepsi engagent sans un regard pour la formation, identifient les capacités des jeunes pétris de bonne volonté, forment et offrent une chance. » A leur retour en France, leur prime à l'expérience les sort de l'anonymat aux yeux des DRH : « Selon moi, c'est une lueur d'espoir. Devant la pénurie de talents et de dirigeants, les entreprises s'ouvrent timidement à ces profils de managers. Ayant réussi, leur leadership devient incontestable », conclut Alain Deniau.
Pour ceux qui n'ont ni les moyens ni l'envie de s'expatrier, la formation sur le tas exige une énergie hors du commun. « En France, même pour un poste de vendeur, les grandes entreprises privilégient systématiquement les bac + 2 au détriment des sans-diplôme », confie un DRH qui ne souhaite pas être cité. Quelques acteurs du secteur de la distribution toutefois embauchent désormais sans CV, devant la pénurie de volontaires pour diriger leurs magasins. C'est le cas de Bricoman, qui, en guise de recrutement, place ses aspirants directeurs de magasin en situation (mise en rayon, test d'écriture et de calcul, contact client…) puis les forme à la gestion d'un magasin. Laurence Pierron, DRH de la chaîne de bricolage, est fière de « ces ex-CAP coiffure ou pâtisserie qui trouvent chez Bricoman une école de prise de confiance ». Même démarche chez GiFi, spécialisé dans la distribution de produits à petit prix pour la maison : « Outre leur motivation, ceux que nous détectons disposent de compétences qui ne s'apprennent pas, comme le sens du client et de la loyauté », souligne Thierry Boukhari, DRH groupe. Certains directeurs de magasin sont ainsi devenus directeurs régionaux.
Pour parvenir à la direction générale, la solution la plus sûre reste de créer sa propre entreprise… avec, à la clef, des perspectives de très belle « sucess story ». Marc Puche, aujourd'hui gérant de la société de BTP Aege Groupe (60 millions d'euros de chiffre d'affaires), en est le symbole. Compagnon tailleur de pierre, insatisfait de sa condition sociale, il dévore, après les chantiers, les livres de management autour du leadership et de la motivation, avec un faible pour « Rendez-vous au sommet », de Zig Ziglar, toujours en bonne place dans sa bibliothèque. « J'ai décidé de descendre de l'échafaudage pour décrocher au culot n'importe quel job. Je répondais à toutes les annonces de "France-Soir" sans même comprendre l'intitulé. » La méthode paiera, une firme de bureautique lui donne sa chance comme commercial. Travailleur acharné, il monte les échelons chez Minolta, puis Canon, avant de se lancer en 2003, à trente-neuf ans, dans la création d'entreprise avec deux associés, l'un est bardé de diplômes, ex-directeur général d'une grosse firme de BTP, l'autre autodidacte.

Le sens de la prise de risque

L'histoire de Benjamin Erisoglu est similaire. Issu des cités choletaises, d'origine turque, « réunissant toutes les conditions pour échouer », il tente tous les petits boulots pour aider ses parents. Adolescent, il vend du muguet, des fruits et légumes de porte en porte : « Je voulais être vendeur. Pour réussir j'ai écouté les anciens. Mieux que des livres, ils m'ont montré comment faire. » A vingt-cinq ans, faute de travail salarié, le jeune papa lance, sans étude de marché, une activité de rénovation de toitures avec un produit antifongique et antimousse. Dix ans plus tard, Technitoit affiche 55 millions d'euros de chiffre d'affaires pour 700 salariés. L'autodidacte a réussi sur tous les fronts : il a même ouvert une école de formation interne.
Ces réussites, distinguées cette année par les Victoires des autodidactes, organisées conjointement par le groupe d'audit et de conseil Mazars et Harvard Business School Club de France depuis dix ans, montrent que les autodidactes travaillent deux fois plus que les autres. Pierre Gadonneix, président de l'association des anciens élèves français de Harvard, a été frappé par l'opiniâtreté des lauréats : «  Incroyablement déterminés, durs à l'effort, audacieux, ils ont le goût et le sens de la prise de risque. Précieux pour notre économie, ils n'hésitent pas à innover. » L'ancien PDG d'EDF pointe aussi leur intuition : « Mieux que les autres, ils détectent ce que le marché attend des fournisseurs. » Benjamin Erisoglu approuve : pour recruter, lui qui n'y connaissait rien, s'est fié à son « feeling ». «  En tant qu'autodidacte, nous n'avons rien à perdre, tout à gagner. L'inconnu nous fait moins peur puisque notre savoir est empirique », ajoute Marc Puche.
A en juger par les profils repérés année après année par les Victoires des autodidactes, réussir sans formation initiale est possible en France. A condition toutefois d'avoir quelques dispositions et «  de la chance », comme le souligne Michel Garcia, lauréat 2012 des Victoires. Après avoir monté deux pressings à Lyon, un ami lui suggère de transporter des chèques : « Cela permettait aux banques - en 1973 - de gagner des jours de compensation. J'ai commencé avec 1, 2, 3 chauffeurs puis j'ai étendu l'activité aux colis. » Jet Services deviendra Jet Worldwide, revendu à La Poste qui en fera Chronopost. Michel Garcia, soixante-dix ans aujourd'hui, « atteint par la maladie d'entreprendre », créera ensuite en 1989 Everial, une société spécialiste de la gestion de flux, fournisseur entre autres d'Orange et de Bouygues Telecom. Son secret ? « Je me suis entouré d'experts, de collaborateurs hyperdiplômés ! La finance et le marketing ne s'improvisent pas pour un électricien. »
Coorganisateur de ces Victoires, Philippe Castagnac, PDG du groupe Mazars, se dit fier des qualités de ces entrepreneurs. Selon le commissaire aux comptes, les autodidactes peuvent encore réussir en France : « Libres d'esprit, ils comblent leur déficit académique par une approche pragmatique et très opérationnelle. Les qualités de visionnaire, si capitales à la direction d'une entreprise, ne s'apprennent pas sur les bancs de l'école. »
Marie-Sophie Ramspacher

Autodidactes célèbres
Marcel Bleustein-Blanchet, publicitaire français.
Jean-Claude Bourrelier, PDG fondateur de Bricorama.
Albert Frère, actionnaire privé des entreprises du CAC 40.
François Pinault, homme d'affaires français.
Malamine Koné, fondateur d'Airness.

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