L’expérience m’a appris que quand une personne entre dans l’économie du don, la plupart des gens pensent que cette personne devrait demander uniquement ce qui sert ses besoins basiques de survie. Au-delà de cette ligne, on entre dans le futile ou le trop demander. Cette façon de penser démasque un conditionnement de plus issu de la société de l’économie de marché.
Autre aspect fondamental : l’économie de marché implique que l’on ne donne pas sans contrepartie. Vous vous séparez de quelque chose à la condition qu’une valeur réciproque revienne vers vous. Pas de contrepartie ? Rien de donné. D’un point de vue systémique, une telle conditionnalité génère beaucoup de limitations.
En regardant ces deux faits — la tension marchande et la condition de réciprocité– je ne peux pas dire que l’économie de marché incarne un contrat social particulièrement ambitieux. Pas de jugement ici, je ne fais qu’utiliser les lunettes de l’intelligence collective. D’ailleurs la société humaine aurait-elle grandi sans l’économie de marché et l’argent en tant qu’infrastructure technologique ? Aujourd’hui on peut faire bien mieux, avec Internet, avec les socialwares et une connaissance profonde de l’intelligence collective.
Ainsi, dans l’économie du don, un don réel implique l’absence de toute dette cachée, j’insiste là-dessus. Un cadeau vient sans aucune attente cachée ni aucune négociation. Cela ne veut pas dire que l’on donne ou reçoit sans conditions. Dans mon cas, j’offre mon temps et mon expertise aux personnes set aux organisations à condition qu’elles donnent à leur tour et s’ouvrent à la dynamique de la générosité. Je demande également que l’on fasse tout en open source. Lorsqu’on décide d’aller plus loin, je n’offre mon temps que pour des projets pionniers car il s’agit du terrain sur lequel je me montre le plus efficace. Quant à accueillir des dons, je m’assure bien qu’ils proviennent d’une démarche juste et joyeuse de gratitude.
De la théorie à la pratique
D’un point de vue intellectuel, l’économie du don semble facile à comprendre. La pratiquer nous embarque dans une toute autre dimension. Par exemple j’ai récemment pris conscience comment un “virus” peut insidieusement empoisonner l’économie du don et la travestir en économie de marché. Ce virus a un nom : l’utilitarisme. Il fonctionne sur la croyance que pour vivre dans l’économie du don, il faut prouver son utilité à la société. En d’autres termes, on doit mériter ce que l’on demande. Le mérite opère en tant que doctrine qui détermine notre droit d’exister dans un monde où “gagner sa vie” s’énonce comme un mantra. Cela érige un système méritocratique dans lequel il faut sans cesse démontrer sa valeur et sa productivité.
En tant que personne offrant son temps et ses talents ces dernières années, j’ai eu le beau rôle. Quand je donne, je fais ce que j’aime, j’évolue dans le meilleur contexte possible, je jouis de la reconnaissance et des remerciements de mes pairs. Je manifeste mon utilité.
Maintenant vient le temps de demander la richesse qui m’aidera à réaliser de plus belles choses encore. Je me surprends en train de légitimer ma demande en justifiant mon utilité. “Regardez ce que j’ai accompli jusque là et ce que j’ai l’intention de faire dans le futur. Ne mérité-je pas votre soutien ?” Il a fallu que je me retrouve dans ce contexte –demander publiquement des richesses– pour prendre conscience de l’utilitarisme sous-jacent que mon message véhiculait.
Maintenant que je m’en aperçois, je souhaite bien sûr éviter ce piège. Donner inconditionnellement a construit le premier chapitre. Le prochain chapitre pourrait s’intituler :
“demander inconditionnellement”
Voilà la partie la plus risquée, la plus vulnérable et probablement
la plus difficile à comprendre pour beaucoup. Ne pas demander
inconditionnellement impliquerait de ne pas opérer honnêtement dans
l’économie du don. Et en même temps, qui se sent prêt à comprendre la
démarche ?Au nom des saintes bananes, pourquoi je me foure dans de telles situations ?
Eviter le pauvrisme
Le vœu de richesse que j’ai prononcé engage à honorer l’arc en ciel intégral de la richesse, matérielle et immatérielle, de ses formes basiques (nourriture, toit, vêtements, etc) aux plus hautes réalisations de l’être (joie, beauté, liberté, art, amour, etc). La demande de choses comme un beau vêtement ou un bon instrument de musique peut paraître consumériste à certains, en fait cela incarne l’exact opposé. Demandez simplement à l’univers, donc à vous-même d’abord, ce qui fera de vous la personne la plus libre et créative. Ni plus, ni moins. Il s’agit de vivre au milieu des objets et des flux justes qui servent nos aspirations et manifestations les plus élevées, et qui servent le monde par la même occasion. En ce qui me concerne, plutôt que de simplement demander de la “nourriture” (pauvrisme), je veux déguster de délicieux fruits bios qui me donnent une bonne santé tout en soutenant l’environnement. Plutôt que d’acheter des vêtements “junk” fabriqués par des esclaves salariés quelque part au Maroc, en Chine ou au Bengladesh, je veux porter de beaux vêtements, bien designés, de haute qualité, qui dureront longtemps, qui font du bien aux gens qui les fabriquent, ainsi qu’à l’environnement. Plutôt que d’acheter un objet à bas prix qui ne passera pas l’année, je souhaite le meilleur, celui qui durera pour toujours. La richesse intégrale incarne le beau, le bon et le vrai.
Ainsi, contrairement à ce que pensent peut-être la plupart des gens (ou ne pensent pas du tout), l’économie du don va dans le sens contraire du consumérisme, du matérialisme, de la négociation, de la conditionnalité. L’économie du don ne rime pas avec pauvrisme. L’économie du don invite des standards et des alliances sociales plus élevés que l’économie de marché conventionnelle. Elle énonce fondamentalement que nous nous offrons le meilleur les uns aux autres, loin au-delà de ce que le marché peut faire.
Juste demander
Ce que je dis a-t-il un quelconque lien avec l’utilitarisme ? Non. Cela peut sembler paradoxal, mais plus j’ai appris à accueillir mon inutilité, plus j’ai pu entrer dans une relation généreuse avec le monde.
Voici venu le temps de la pratique. Vous trouverez ici ma liste de richesses désirées (et non de richesses dont j’ai “besoin”).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.