samedi 3 septembre 2011

Comment faire de nos émotions des alliées

Star recevant un oscar ou otage tout juste libéré nous offrent des gros plans sur l'émotion. Leurs émotions. Parce que celles-ci sont particulièrement télégéniques, et contagieuses, les médias en sont d'ailleurs très friands. Certains journalistes n'hésitent pas à en rajouter un peu, ainsi ce présentateur du journal télévisé qui demanda à une mère d'otage : «Vous avez été émue quand vous avez su que votre fils était sur le point de rentrer ?»

Son insistance à faire jaillir l'évidence n'avait sans doute d'autre objet que de ramener encore un peu plus de pathos sur le plateau.

Il n'en a pas toujours été ainsi : pendant des siècles, les philosophes, les médecins ou les élites sociales se méfiaient des manifestations trop appuyées de joie ou de tristesse. Il s'agissait avant tout de cacher ces phénomènes physiologiques gênants. Encore en 1962, on trouvait dans l'Encyclopédie de la psychologie (Ed. Fernand Nathan) cette définition catastrophiste de l'émotion : «C'est un orage affectif... L'émotion choc se traduit par une brusque perturbation des représentations mentales et de l'équilibre organique. L'être ému ne s'appartient plus, il est à la lettre mis hors de lui.»

Manifestations encombrantes Sources d'erreurs, déstabilisatrices même lorsqu'elles sont positives - trop de joie ou d'enthousiasme ne nous mènent-ils pas à de futures déceptions ?

- les émotions sont, de plus, impliquées dans de nombreux troubles psychologiques. La dépression peut être vue comme une tristesse mal vécue qui s'est installée, et l'anxiété comme un dérèglement de notre sophistiqué système d'alerte appelé «peur». Vécues à l'extrême, dans le trop ou pas assez, nos émotions peuvent nous conduire tout droit à consulter un psychothérapeute et/ou nous faire prescrire une médication pour les altérer ou les calmer.
Pour le Dr Stéphanie Hahusseau, psychiatre et auteur de Tristesse, peur, colère..., agir sur ses émotions (Éd. Odile Jacob), ces temps de méfiance sont en train de changer : « On a été dans une grande lutte anti-émotionnelle , explique-t-elle. Mais aujourd'hui, on se rend compte que l'hypercontrôle induit plus de troubles à moyen terme .»
Mais alors que faire de ces manifestations encombrantes ? «Il faut apprendre à éprouver physiquement ses émotions», résume le Dr Stéphanie Hahusseau. La proposition paraît si simple qu'elle a de quoi étonner. Ce fut le cas pour Luc Nicon, expert en pédagogie et communication comportementale qui, amené depuis 2006 à accompagner des personnes «souffrant émotionnellement», a réalisé une étude de près de 300 cas qui lui a confirmé cette évidence : «Dès qu'on porte attention sur ses sensations physiques quand une émotion émerge, celle-ci se dissout naturellement », affirme-t-il.

Une découverte «sur le tas» qui l'a amené à créer une méthode express pour se libérer de sa colère ou de sa tristesse, la méthode Tipi (technique d'identification sensorielle des peurs inconscientes, cf. http://www.tipi.fr/) à laquelle se forment de plus en plus de soignants et psychothérapeutes.
La simplicité du processus a conduit Luc Nicon à penser que nous avons tous une capacité naturelle à calmer peur, colère ou tristesse. « Il suffit de trois minutes , assure-t-il. Trois minutes pendant lesquelles on se branche sans jugement sur les sensations provoquées par l'émotion, on les décrit - boule au creux du ventre, souffle court, etc. On est ainsi plongé dans un univers sensoriel particulier, sans rien chercher à faire, ce qui n'est pas dans nos habitudes, et alors l'apaisement arrive. »
Pour le Dr Stéphanie Hahusseau, ce grand pouvoir thérapeutique de l'acceptation toute simple de l'émotion s'explique par le rôle pris alors par notre système nerveux parasympathique. «Simplement observer sa respiration, ou pleurer, stimule cet allié du lâcher-prise. Au contraire, si l'on se dit : "je vais me relaxer", on est pris dans un système antagoniste entre "vouloir" (la volonté stimule alors le système nerveux sympathique qui déclenche le stress) et "calmer" qui relève du système parasympathique, explique-t-elle.

Mieux vaut donc simplement se recentrer sur ses sensations physiques, puis apprendre à nommer ces émotions, enfin les accepter avec bienveillance», conclut la psychiatre qui s'engage prochainement dans des recherches sur ces mécanismes du système nerveux central au CNRS.
Quel intérêt à se réconcilier ainsi avec ses émotions ? La peur d'être triste ou en colère nous conduit le plus souvent à éviter les situations qui seraient pourtant essentielles pour nous. « Vivre nos émotions, au contraire, nous aide toujours à aller dans le sens de nos valeurs , estime le D r Stéphanie Hahusseau. Alors, arrêtons de jouer aux enfants gâtés qui n'osent pas pleurer, crier ou avoir peur et construisons des vies qui valent le coup !»

«Oui, on peut éduquer nos joies comme nos peurs» Stéphane Rusinek, professeur en psychologie des émotions à l'université Charles-de-Gaulle-Lille III, vient de publier «Les Émotions, du normal au pathologique» (Éd. Dunod).
LE FIGARO.- Comment les émotions sont-elles devenues cet objet central d'études en psychologie ?
Stéphane RUSINEK. - Elles ont longtemps eu une mauvaise image, surtout en France, car les émotions évoquaient «la part animale» de l'homme. Du coup, les premières études les concernant se sont surtout intéressées à elles du point de vue pathologique.

Il faut savoir que la recherche en psychologie n'a que 150 ans et, au départ, celle-ci s'est focalisée sur les phénomènes simples à étudier, comme la perception notamment, et surtout la mémoire. Puis, c'est en étudiant le fonctionnement de la mémoire que les chercheurs en sont venus à s'interroger sur le rôle des émotions : ainsi, à la fin de la vie, quand une personne se remémore des souvenirs marquants, ce sont toujours des événements émotionnels. Pourquoi ? Comment ? Autant de questions qui ont ouvert de nouvelles pistes de recherche et font qu'aujourd'hui, pour la science, l'homme est redevenu très émotionnel.
Certaines émotions sont-elles plus étudiées que d'autres ?
Les émotions les plus complexes à étudier sont celles que nous vivons le moins souvent, comme la honte et la culpabilité. De plus, les chercheurs rencontrent des difficultés pour induire ces émotions chez des patients cobayes. Les provoquer pose évidemment des questions d'éthique. La joie par contre est facile à générer et donc à étudier. Actuellement, on s'intéresse particulièrement aux émotions positives, comme l'empathie.
Vous considérez huit émotions de base. Sont-elles communes à tous les humains ?
Oui, nous partageons tous ces réactions physiologiques qui nous permettent, étant vigilants à certains stimulus, de nous préserver.

Cependant, ensuite, on découvre que certaines émotions se colorent de données culturelles. Par exemple, chez les Inuits, il existe une émotion qui n'existe nulle part ailleurs, et qu'on pourrait définir comme «Se mettre en colère comme un enfant».
Mais sommes-nous tous égaux face aux émotions ?
Non, bien sûr. Nous avons évolué dans un bain émotionnel avec nos parents et cela colore notre vie adulte. Nos émotions et leur degré d'expression viennent d'apprentissages. Prenez la peur des serpents, par exemple. Il y a, dans cette émotion, une part génétique : c'est le mouvement du serpent qui nous alerte. Ensuite, tout dépendra de l'apprentissage que vous avez reçu : si votre père, passionné, vous a initié aux serpents, votre peur sera minimisée. Si, par contre, quelqu'un de votre entourage a été mordu, vous serez bouleversé à l'extrême à la vue du reptile. Cela montre bien que, oui, on peut être éduqué aux émotions, nos joies comme nos peurs. Et si, aujourd'hui, on peut parler d'intelligence émotionnelle, c'est en référence à ces premiers apprentissages émotionnels qui font que certains enfants sont à l'aise dans les partages sociaux, et d'autres pas.
Mais alors, est-ce une chance d'avoir toutes ces émotions ?
Bien sûr ! La vie serait terne sans elles.


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