samedi 15 décembre 2012

Que gouverne-t-on lorsque l'on gouverne ?


GouvernerLe cours au collège de France de Michel Foucault pour l'année scolaire 1979-1980 vient de paraître. Il est consacré au sujet " Du gouvernement des vivants".
C'est l'occasion de revenir à une question qui reste toujours d'actualité lorsque l'on parle de pouvoir et de gouvernance. J'avais abordé le sujet dans mon dialogue avec Jean-Paul Bailly ICI : Dirige-t-on, gouverne-t-on les hommes ou administrons-nous les choses ?
Le dirigeant d'entreprise, comme le chef d'Etat, est-il en effet celui qui entraîne derrière lui, sur sa vision, ses convictions, les hommes, comme un chef que suivent les troupes ? Ou bien, avec l'avènement des bonnes pratiques, la montée en puissance des experts, des spécialistes, la direction d'entreprise consiste-t-elle à administrer les  choses, à identifier les bons processus à mettre en place, les bonnes pratiques, à faire émerger la vérité comme une science.Comme si il existait quelque part des "lois du management" qu'il suffirait d'identifier et de respecter. Certains consultants y croient.
C'est la théorie de Saint Simon, qui considère que l'art de gouverner est fondamentalement lié à la découverte d'une vérité et à la connaissance objective de cette vérité. Cela implique alors la formation de catégories d'individus spécialisés, par discipline. Et le "management" n'échapperait pas à la règle. On pourrait ainsi former au métier de "manager", qui prendrait ainsi les commandes, armé de sa connaissance et de son savoir de spécialiste, pour faire régner la vérité dans la pratique du gouvernement de l'entreprise, comme en politique.
LA théorie inverse, c'est celle qui au contraire considère que la politique, le gouvernement, la direction d'entreprise, ne doit pas se laisser enfermer dans la connaissance des spécialistes, d'une catégorie d'individus experts, laissant dans l'ignorance les "gouvernés". Diriger serait alors un exercice de pouvoir sur les hommes, les experts n'étant là que pour éclairer de leur vérité le gouvernement et le chef, et non pour le remplacer.C'est cette tendance qui paraît la plus moderne, ou même "postmoderne", aujourd'hui.
Elle a pourtant des origines trés anciennes, que l'on retrouve dans le cours de Michel Foucault. Il analyse ainsi l'oeuvre de Sophocle, Oedipe-Roi, pour montrer comment Oedipe, le roi, se considère comme une sorte de "propriétaire" de sa ville, Thèbes : les ordres qu'il va donner, les décisions qu'il va prendre, n'ont de fondement qu'en lui, et dans sa volonté, et ne sont pas fonction d'un ordre, d'une loi.
La ville est ainsi menée comme un capitaine mènerait un navire, naviguant et gouvernant en évitant les écueils, les tempêtes, les rochers, en découvrant le futur. Toute la pièce de Sophocle est d'ailleurs une histoire de découvertes successives par Oedipe qui, cherchant et enquêtant sur la cause de la peste à Thèbes, va finalement découvrir le coupable, en l'occurence lui-même. C'est lui qui a tué le roi Laïos, dont le crime est à l'origine de la maladie dans la ville.
Et Foucault d'insister que ce à quoi Oedipe ordonne son pouvoir, c'est la nécessité de gouverner, c'est la série des évènements par lesquels les hommes se trouvent enchaînés, sur un tout autre mode que par la loi, la loi qui leur impose leur conduite en fonction de la volonté éternelle des dieux.
Gouverner, résumé par Michel Foucault à ce stade, et illustré par Oedipe-Roi, c'est découvrir.Et le pouvoir en général ne saurait s'exercer si la vérité n'est pas manifestée.
Le thème de ce cours, c'est le lien entre le gouvernement des hommes et la manifestation de la vérité.
Au-delà, Michel Foucault veut nous faire partager une attitude qui consiste à se dire qu'aucun pouvoir ne va de soi, qu'aucun pouvoir quel qu'il soit n'est évident ou inévitable, qu'aucun pouvoir par conséquent ne mérite d'être accepté d'entrée de jeu. Il n'y a pas de légitimité intrinsèque du pouvoir.
Voilà qui nous éloigne encore un peu du gouvernement des hommes et de l'administration des choses; le pouvoir est maintenant questionné, en lien avec la manifestation de la vérité.
De quoi, grâce à ce cours trés dense, réfléchir à ce que signifie gouverner.

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