Logique ou artistique ? Manuelle ou musicale ? Selon la théorie des intelligences multiples, nous n'aurions pas une intelligence, mais huit. Une nouvelle voie pour découvrir ses potentialités.
Gervais Sirois
Dans ce numéro
L'essentiel
- L'intelligence ne serait pas une qualité unique mesurable par le quotient intellectuel.
- Il existerait en fait huit intelligences différentes se référant à des domaines comme la logique, le langage, le corps, les relations humaines, l'émotion, etc.
- Nous possédons tous les huit intelligences, mais, sous l'influence de notre bagage génétique, de notre culture et de notre histoire personnelle, certaines se sont dévelopées plus que d'autres.
- Les écoles ayant appliqué la théorie des intelligences multiples ont observé une amélioration des résultats de leurs élèves, de leur comportement et de la réussite des enfants en difficulté.
- Il existerait en fait huit intelligences différentes se référant à des domaines comme la logique, le langage, le corps, les relations humaines, l'émotion, etc.
- Nous possédons tous les huit intelligences, mais, sous l'influence de notre bagage génétique, de notre culture et de notre histoire personnelle, certaines se sont dévelopées plus que d'autres.
- Les écoles ayant appliqué la théorie des intelligences multiples ont observé une amélioration des résultats de leurs élèves, de leur comportement et de la réussite des enfants en difficulté.
L'auteur
Gervais Sirois formateur et chercheur en
éducation au Centre d'étude et de développement pédagogique du Canada, a
transféré depuis plus de 40 ans les recherches fondamentales vers
l'aide aux élèves en difficulté.
Pour en savoir plus
E. Jensen, Teaching with Poverty in Mind, ASCD, 2009.
D. Lazear, Du simple au complexe, Chenelière éducation, 2008.
H. McGrath et al., 8 façons d'enseigner, d'apprendre et d'évaluer, Chenelière éducation, 2008.
B. Campbell et al., Les intelligences multiples au service de l'enseignement et de l'apprentissage, Chenelière éducation, 2006.
G. Caine et al., 12 Brain/Mind Learning Principles in Action, Corwin Press, 2005.
S. Sousa et al., Un cerveau pour apprendre, Chenelière éducation, 2002.
H. Gardner, Les Formes de l'intelligence, Odile Jacob, 1997.
D. Lazear, Du simple au complexe, Chenelière éducation, 2008.
H. McGrath et al., 8 façons d'enseigner, d'apprendre et d'évaluer, Chenelière éducation, 2008.
B. Campbell et al., Les intelligences multiples au service de l'enseignement et de l'apprentissage, Chenelière éducation, 2006.
G. Caine et al., 12 Brain/Mind Learning Principles in Action, Corwin Press, 2005.
S. Sousa et al., Un cerveau pour apprendre, Chenelière éducation, 2002.
H. Gardner, Les Formes de l'intelligence, Odile Jacob, 1997.
Les aptitudes du cerveau
Les recherches en neurosciences nous livrent de nombreuses informations pour mieux cerner les conditions d'un apprentissage réussi et les structures cérébrales impliquées. Certaines d'entre elles laissent entrevoir l'existence de plusieurs formes d'intelligence chez chacun. J'ai personnellement découvert cette vision des « intelligences multiples » lors d'une session de travail consacrée au thème des apprentissages basés sur le cerveau, que je suivais avec l'enseignant et neuroscientifique Éric Jensen, à Boston. Dans ses ouvrages Pauvreté et Apprentissage et Cerveau et Apprentissage, Jensen établit une comparaison entre l'ordinateur, qui a besoin d'un système d'exploitation pour traiter les informations, et les réseaux cérébraux, qui selon lui constituent des systèmes opératoires spécialisés comme dans un ordinateur : par exemple, certains réseaux de neurones dans notre cerveau sont spécialisés dans le traitement du langage, d'autres dans la perception de l'espace ; certains sont mobilisés dans l'organisation logique des éléments que nous devons traiter et comprendre, d'autres dans la perception de la musique, d'autres encore dans le traitement de l'information visuelle, etc. Il existe donc des structures cérébrales organisées en réseaux, spécialisées dans le traitement de certaines fonctions bien précises.Dans les années 1980, un psychologue américain de l'Université Harvard, Howard Gardner, publia le premier ouvrage où il expliquait sa découverte de huit formes d'intelligence. Ces intelligences sont représentées sur le schéma ci-contre : elles sont appelées logico-mathématique, verbale-linguistique, visuelle-spatiale, interpersonnelle, intrapersonnelle, musicale, corporelle-kinesthésique, et naturaliste. Comment Gardner est-il arrivé à ce total de huit intelligences ? Pour lui, une capacité cognitive pouvait être qualifiée d'intelligence à condition de remplir une série de critères, qui se révélèrent là encore, coïncidence, au nombre de huit. Il faut notamment que la capacité cognitive en question puisse être affectée par des lésions cérébrales (ce qui est par exemple le cas du langage) ; que certaines personnes (prodiges, savants) la possèdent à un degré très poussé ; qu'elle mobilise des facultés cognitives de base (sensibilité à la hauteur des sons, au timbre, au rythme, etc. pour l'aptitude musicale). On examine aussi si l'acquisition de cette capacité passe par des étapes (un athlète de haut niveau construit son expertise progressivement), si cette aptitude a pu apparaître au fil de l'évolution de l'espèce (l'intelligence spatiale a un avantage en terme de survie, par exemple), si elle peut être étudiée par des expériences en laboratoire, si elle peut être approchée et mesurée par des tests dits de psychométrie, de type questionnaire, et si elle peut être codée par des symboles (notes, symboles mathématiques, mots, cartes, etc.).
Lorsque la plupart de ces critères s'appliquent, Gardner considère qu'une aptitude peut être considérée comme une forme d'intelligence. C'est ainsi qu'il a d'abord retenu sept formes d'intelligences lors de la parution, en 1983, du volume Frames of Mind: The Theory of Multiple Intelligences (Les Formes de l'intelligence), avant d'en ajouter une huitième (l'intelligence naturaliste) en 1996. Dans ses recherches, Gardner s'est fondé sur ses propres travaux et sur sa longue pratique auprès de patients ayant subi des blessures au cerveau, ainsi que sur des centaines de recherches en biologie de l'évolution, en psychologie du développement, en développement cognitif, en neuropsychologie et en psychométrie.
Au-delà du Q.I.
Selon Gardner, le concept d'une intelligence unique résumé par le Q.I. pose des limites artificielles qui réduisent grandement notre compréhension de la capacité intellectuelle. Bien qu'il reconnaisse une forte influence de l'hérédité pour chacune des intelligences, Gardner insiste fortement sur l'importance des expériences éducatives et culturelles pour le développement et le niveau de fonctionnement de chacune d'elles.De ce point de vue, les intelligences de notre cerveau (comme les systèmes opératoires d'un ordinateur) fonctionnent en parallèle et simultanément. Notre cerveau ne fait jamais appel à une seule de ces fonctions, même si à certains moments l'une ou l'autre d'entre elles prend une certaine prédominance sur les autres. Celles-ci sont complémentaires et fonctionnent conjointement et en complémentarité.
Nous solliciterions toujours deux, trois ou quatre intelligences, même si l'une ou au l'autre l'est de façon prédominante. Ce ne sont pas des intelligences isolées. Chacun possède en lui les huit formes de l'intelligence. En revanche, tout comme chacun a une dominance de la main gauche ou de la main droite sans en avoir fait un choix volontaire, certaines formes d'intelligences seront dominantes et d'autres moins – ce qui ne veut pas dire qu'on ne peut pas les développer. Ce n'est pas parce que je suis droitier que je ne peux pas me servir de ma main gauche. En l'utilisant et en l'entraînant, je peux même grandement améliorer son niveau d'habileté dans certaines situations. Mais, si je suis droitier, ma main droite sera toujours dominante dans des situations où la spontanéité prendra le dessus où lorsque la nervosité, le stress ou l'anxiété m'envahiront. Il en va sans doute de même pour nos diverses formes d'intelligences : nous les possédons toutes, mais, sous l'influence de notre bagage génétique, de notre culture, de nos expériences et de notre histoire personnelle, nous avons développé certaines dominances ou préférences qui se manifestent à travers notre personnalité, nos choix de vie et notre style d'apprentissage. Nous développons les habiletés que nous utilisons souvent et laissons en latence celles que nous sollicitons moins.
Le plus souvent, chacun possède une affinité particulière pour deux ou trois d'intelligences « dominantes ». Il peut être utile de les connaître et nous proposons des questionnaires simples qui permettent de se repérer sur l'éventail des intelligences multiples.
Comment reconnaître ses intelligences
Ces questionnaires sont l'occasion de s'apercevoir que l'on se trompe parfois sur ses propres intelligences, et que les autres se méprennent parfois bien plus encore à notre sujet. Mais une fois cette première évaluation réalisée, il reste à savoir ce que l'on veut faire de ses intelligences, qu'il s'agisse des dominantes ou des secondaires. Approfondir une facette de son intelligence suppose de comprendre que chacune possède son propre langage, son propre jargon et dialecte et son propre mode de fonctionnement. La clé pour travailler en profondeur et efficacement avec les intelligences multiples consiste à vous immerger vous-même dans le système de langage et dans les capacités regroupées par les différentes intelligences. L'expérience des cultures étrangères constitue une bonne analogie pour expliquer ce phénomène : en effet, vous aurez une bien plus grande compréhension et une meilleure appréciation d'une culture différente si vous parlez sa langue. Le même phénomène s'applique aussi avec les intelligences, particulièrement en ce qui a trait aux habiletés cognitives de niveaux supérieurs et à leurs processus. Ainsi, par exemple, avec l'intelligence musicale-rythmique, vous commencerez par travailler sur la connaissance et la compréhension qui s'acquièrent par le son et la vibration – tons, tonalité, timbre, battements, rythmes, percussion, musique et tous types de stimuli auditifs provenant de l'environnement, de la voix humaine et des machines. Avec l'intelligence corporelle-kinesthésique, on se situe dans un domaine cognitif qui apprend et comprend d'abord dans et par le mouvement physique, comme la danse, le jeu théâtral, le jeu de rôle, le mime, les expressions faciales, les postures, les jeux physiques ou le langage corporel. Vous devrez apprendre à parler le langage et à opérer dans les domaines cognitifs des différentes intelligences si vous souhaitez comprendre l'information que vous recevez.En d'autres termes, ces opérations, une fois mises en action par le cerveau, l'esprit et le corps, sont capables de traiter, d'interpréter et de comprendre certaines formes d'informations propres à chaque forme d'intelligence.
Dans ses travaux, le psychologue David Lazear réfère à ces opérations en les désignant comme les capacités de l'intelligence. Par ailleurs, je crois que le développement de ces capacités est la clé du renforcement de toutes les intelligences. Plus les étudiants utilisent efficacement les différentes capacités propres à une intelligence, plus il leur est facile d'atteindre les niveaux supérieurs de cette intelligence.
Progresser dans une intelligence
Lorsque nous explorons une intelligence et ses capacités, nous sommes soudainement confrontés à une impressionnante gamme d'habiletés cognitives qui lui sont propres. Par exemple, l'intelligence interpersonnelle recouvre beaucoup plus de capacités que le simple fait d'interagir et travailler avec les autres. On y retrouve les aptitudes d'empathie, la capacité à construire des consensus en groupe, l'appréciation et le respect des opinions, des croyances, des valeurs et des points de vue différents du sien, la maîtrise d'un ensemble vaste et complexe d'habiletés sociales nécessaires pour être efficace dans un groupe, la capacité à composer avec les désagréments et les conflits inhérents au travail en groupe, la compréhension des processus de résolution de problèmes en groupe, la capacité de se fixer des objectifs réalistes, d'évaluer les diverses dynamiques présentes au sein d'une équipe et de les modifier dès que nécessaire.Comme nous l'avons dit, chacun possède ces huit intelligences à des degrés variés, deux ou trois étant généralement plus développées. Évidemment, ces relatives différences dans nos forces intellectuelles peuvent avoir un impact significatif sur notre vie, sur ce qui nous intéresse, dans nos expériences à l'école et en dehors de l'école, dans les domaines d'étude qui nous attirent ainsi que sur notre choix de carrière. Le modèle des intelligences multiples permet de faire face à une réalité que les enseignants ont toujours reconnue : au sein d'un groupe, les étudiants possèdent différentes forces intellectuelles. Alors que certains étudiants sont de bons lecteurs ou de bons mathématiciens, d'autres sont meilleurs en arts, en sports, en musique, en exploration et en travail dans la nature, à démontrer des habiletés de leaders ou encore à bien se connaître eux-mêmes. Maintenant, la question importante à se poser est : « Comment cet étudiant est-il intelligent ? » plutôt que : « Combien cet étudiant est-il intelligent ? » Il faut toutefois demeurer attentif à ne pas fixer un apprenant dans son profil actuel puisque ces profils sont évolutifs tant en fonction de leur développement que de la mise à jour que nous pouvons en faire grâce aux apports de la recherche en neurosciences. Ce modèle se veut une fenêtre nous permettant de mieux comprendre l'esprit humain en lien avec les connaissances actuelles en évolution et non pas une méthode pédagogique figée à suivre de façon mécanique.
Une voie de réalisation
Depuis sa publication en 1983, la théorie des intelligences multiples de Howard Gardner a été l'objet de nombreuses critiques. Cependant, de nombreuses écoles l'ont adoptée sur tous les continents et à tous les niveaux d'enseignement. Selon Gardner, la mise en pratique de sa théorie « permet aux individus (particulièrement aux parents et aux enseignants) de considérer plus attentivement les enfants d'un point de vue bienveillant, d'examiner leur potentiel et leurs possibilités d'accomplissement personnel, de choisir parmi une grande variété d'approches pédagogiques et de mettre à l'essai diverses alternatives en évaluant leurs bénéfices. En bref, elle permet aux individus d'amorcer une sorte de transformation fondamentale d'eux-mêmes qui est essentielle si l'on veut que la scolarisation s'améliore de façon significative. »Avec quels résultats ? Au sein d'un projet nommé Harvard Project Zero, 41 écoles utilisant la théorie des intelligences multiples depuis au moins trois ans ont été évaluées. Dix d'entre elles ont fait l'objet d'études approfondies. Dans l'ensemble, près de 80 pour cent de ces dix établissements témoignent d'une amélioration dans les tests standardisés et un peu plus de la moitié d'entre eux attribuent cette amélioration à l'introduction du modèle de la théorie des intelligences multiples. À nouveau, 80 pour cent des écoles disent avoir constaté une amélioration du comportement des étudiants, et un peu plus de la moitié d'entre elles associent cette amélioration à l'adoption du modèle de la théorie des intelligences multiples. Quelque 80 pour cent des établissements disent avoir constaté une amélioration de la participation des parents, 60 pour cent de ces dernières associant cette amélioration à l'adoption du modèle de la théorie des intelligences multiples. Enfin, 80 pour cent des écoles témoignent de diverses améliorations chez les étudiants éprouvant des difficultés d'apprentissage (amélioration des apprentissages, de la motivation, de l'effort et des relations sociales) neuf établissements sur dix mettant ces améliorations sur le compte de l'adoption du modèle de la théorie des intelligences multiples. Alors, l'enseignement en France et dans d'autres pays pourra-t-il évoluer vers cette nouvelle vision de la pédagogie ?