Tribune
Après l’attentat perpétré le 7 janvier, dans sa une du 14 janvier, le
magazine satirique Charlie Hebdo publie un dessin du prophète Mahomet
qui heurte la sensibilité religieuse de certains musulmans.L’Iran qualifie l’acte d’« insultant », estimant que ce dessin « porte atteinte aux sentiments des musulmans ». Al-Azhar, principale autorité de l’islam sunnite basée en Egypte, a pour sa part estimé que cette publication est de nature à « attiser la haine » et appelle les musulmans à « ignorer » le numéro.
Des représentations du prophète dans le monde musulman
Making of
On finit par ne plus savoir : l’islam interdit-il vraiment les
représentations du prophète ? D’où provient cette sensibilité si forte à
ces images ? Nous avons reçu ce texte d’Erick Cakpo, qui enseigne
l’histoire des religions à l’université de Lorraine. Une mise au point
que nous publions volontiers.
Xavier de La Porte
Xavier de La Porte
Muhammad au visage voilé ; l’ange Gabriel se tient derrière lui.
Miniature extraite de la version illustrée de la chronique Zubdet
el-tevarikh réalisée au XVIe siècle pour le sultan ottoman Murad III
(détail) (Istanbul, Musée des arts turcs et islamiques)
Une interdiction non inscrite dans le Coran
L’islam se réclame d’une religion sans images. Mais contrairement à ce qu’on laisse croire, le Coran ne contient aucune condamnation formelle des représentations. C’est certainement pour cette raison que les chiites n’ont aucun scrupule à le faire.L’interdiction générale de représenter les vivants est imposée après la mort de Mahomet, certainement dans le but de lutter contre l’idolâtrie. Il ne faut pas oublier que l’islam est né dans un contexte païen et que le retour vers le polythéisme constitue une hantise dans les premiers siècles de son développement.
De ce fait, les hadith, qui sont des textes rapportant les actes ou propos du prophète, vont servir de base pour instaurer la règle de la non-représentation du vivant. Par exemple, un passage du hadith avertit qu’au dernier jour, celui de la Résurrection et du Jugement dernier, celui qui se sera risqué à représenter des êtres vivants sera sommé par Dieu d’insuffler la vie à ces formes ; et comme il se montrera bien sûr incapable de relever le défi, il sera, pour l’éternité sans doute, la risée universelle.
Ainsi, très vite, la fabrication d’images fut considérée comme l’une des fautes les plus graves qui soit. Vers 695, sur les monnaies en usage dans le monde arabe, les portraits des souverains sont remplacés par des inscriptions à tendance abstraite. De même, en 721, le calife Yazid II (720-724) donne l’ordre d’enlever des bâtiments publics toute représentation d’être vivant, y compris à l’intérieur des églises. Mais au fil des siècles, et selon les espaces, l’interdit est de moins en moins respecté si bien qu’on assiste à des images de Mahomet dans les miniatures persanes et même sur des tapis.
Une
miniature célèbre représentant Muhammad et les traits de son visage,
extraite de l’ouvrage d’al-Bîrûnî, al-Âthâr al-bâqiya, Iran, XVIe siècle
(Paris, BNF, manuscrits orientaux, Arabe 1489, fol. 5v)
« Dans la plus ancienne des chroniques consacrées à l’histoire de La Mecque qui nous soit parvenue, l’auteur [...] rapporte un fait d’une importance historique considérable [...]. Après l’entrée triomphale des troupes musulmanes dans La Mecque, le Prophète pénétra dans l’édifice cubique de la Kaaba, que lui et ses compagnons trouvèrent couverte de peintures. Le Prophète donna l’ordre de les effacer à l’exception de l’une d’elles, exécutée sur un pilier, qui représentait Marie et Jésus. Un tel geste s’explique fort naturellement par le respect qui entoure Marie dans l’islam. Une sourate entière, qui porte son nom (sour. XIX) lui est consacrée dans le Coran. Jésus, l’avant-dernier prophète avant Muhammad, est lui-même l’objet d’une véritable vénération [...]. Mais le geste du Prophète démontre aussi que la présence d’une image figurative, fût-ce d’une icône de la “Vierge à l’Enfant”, n’avait rien de scandaleux à ses yeux5 . »
Une confusion de base
Alors pourquoi autant de tensions depuis l’affaire des caricatures de Mahomet (septembre 2005) à laquelle a pris part Charlie Hebdo ?Il y a une confusion qu’il faut relever. Pour beaucoup de musulmans, surtout les sunnites (la branche la plus importante), chez qui la règle de non-représentation des êtres est plus respectée, c’est la simple représentation du prophète qui pose problème. « On n’a pas le droit de représenter le prophète », a t-on souvent entendu. Ce qui veut dire que les représentations non satiriques mêmes posent problème et sont considérées par certaines personnes de confession musulmane comme un blasphème.
Aux yeux des musulmans, le prophète bénéficie d’un caractère sacré si bien qu’une atteinte à son image est jugée irrévérencieuse. Dans ce cas, protester de manière légale contre les représentations du prophète à caractère outrageux est légitime au nom de la liberté de conscience. Mais dans les cas de représentations non caustiques de Mahomet comme cela semble le cas avec la dernière une de Charlie Hebdo, pourquoi autant de remous ? Dans quelle mesure les préceptes de l’islam s’appliquent-ils à d’autres qui ne se réclament pas de cette confession ?
Dans les milieux musulmans français, beaucoup de voix se lèvent actuellement pour appeler à la distinction de ce qui relève des règles religieuses qui ne concernent que les adeptes et ce qui appartient au droit français. Dans l’affaire des caricatures du prophète, il est légitime de se demander jusqu’où peut aller la liberté d’expression. Sauf en Alsace et Moselle, le droit français ne reconnaît pas le blasphème, mais il condamne l’incitation à la haine ou à la violence en raison de la religion (art. 24), ou la diffamation contre un groupe religieux (art. 32). Où est la limite ?
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