samedi 6 avril 2013

Portrait de l’élu mégalo le plus condamné de France

Philippe Wojazer/Reuters

Dans un livre-enquête, deux journalistes du Monde racontent le royaume que s’est construit un homme politique français. Un endroit où l’argent public permet d’avoir un avion, un yacht, un palais à 40 millions d’euros et de salarier des journalistes. Mieux, les condamnations judiciaires accrochées à l’écharpe tricolore de cet élu n’empêcheront peut-être pas sa réélection le mois prochain. Mais qui est cet homme ?

Le 21 avril 2013, un sénateur français UDI (Union des démocrates et indépendants, le parti de Jean-Louis Borloo – ndlr) va se présenter à une énième élection. Pourtant, il vient d’être doublement condamné, à cinq ans de prison ferme en janvier et à quatre ans avec sursis en février*. Motifs : corruption, prise illégale d’intérêts et détournement de fonds publics.
Alors, selon-vous, qui est cet homme ?
Indice n°1 : Le roi
Il s’agit d’un proche de Chirac qui détient le record des casseroles judiciaires sous la Ve République. Et pour une fois, on sait à peu près tout sur “cette aberration démocratique”, dixit Fabrice Lhomme et Gérard Davet, journalistes d’investigation au Monde qui viennent de consacrer à cet octogénaire un livre de deux cents pages. L’ouvrage s’intitule L’homme qui voulut être roi (éditions Stock, mars 2013).
Indice n°2 : “Monsieur 10%”
Parmi ses surnoms figurent : le “Vieux lion”, “l’Insubmersible” ou encore “Monsieur 10%”, allusion au montant de sa supposée commission sur nombre de transactions commerciales importantes.
Indice n°3 : Richesse personnelle et biens publics
Il a débuté en tant qu’instituteur. Aujourd’hui, il est gros propriétaire. De sa grande demeure avec piscine non loin de Papeete à son hôtel particulier parisien, dresser la liste exhaustive de son patrimoine personnel serait fastidieux. En revanche, lorsqu’il était à la tête de son territoire, selon les chiffres de la Cour des comptes, entre 1997 et 2001, notre sénateur s’est fait construire un “palais présidentiel” pour environ 41 millions d’euros, soit un dépassement de 134 % de l’enveloppe prévue initialement. Avant l’existence de “Air Sarko One”, l’élu a eu son avion public. Un ATR 42-500 ayant coûté près de 14 millions d’euros. Il faut ajouter à ces transports de fonction un yacht de 70 mètres de long. Pour l’amarrer, il a même fait acheter une île. Le tout avec des deniers publics.
Indice n°4 : “Ses” femmes
Notre recordman a parfois utilisé des “courtisanes” pour tenir ses rivaux politiques. “On apprend l’existence d’une véritable cellule de Mata Hari, quatre jeunes femmes disponibles pour séduire et coucher”, écrivent Lhomme et Davet. Pour parfaire le piège, des caméras et des micros pouvaient être installés dans les chambres de ses hôtes.
Ayant eu de nombreux enfants plus ou moins reconnus, l’élu paye quantité de pensions alimentaires “en partie avec l’argent du contribuable, ou en prélevant des commissions illégales sur des marchés publics – ce qui revient au même”, écrivent les deux enquêteurs. Sa fidèle secrétaire, Melba Ortas, a ainsi raconté à un juge d’instruction comment elle était chargée de distribuer des “paniers-repas”. Nom de code signifiant : des pensions alimentaires en liquide. D’après les enquêteurs, entre 1993 et 2006, près de 1,3 million d’euros en espèce vont transiter entre les mains de Melba Ortas.
Indice n° 5 : Les journalistes mis au pas
Sur le territoire de l’élu, Lhomme et Davet évoquent l’accomplissement “d’une dérive autoritaire” entre 1991 et 2004. Les contre-pouvoirs – justice, presse, opposants politiques – s’achètent ou se font mettre au pas. Un exemple parmi d’autres : le cas de la journaliste Christine Bourne. Cette consœur a réussi la prouesse d’être à la fois éditorialiste pour le quotidien** le plus lu localement, tout en étant rémunérée 4200 euros par mois par le sénateur, au prétexte de lui fournir “des rapports”.
Indice n° 6: L’affaire “JPK”
L’un des plus farouches opposants à cet autocrate se nommait Jean-Pascal Couraud, alias “JPK”. Dans la nuit du 15 au 16 décembre 1997, ce journaliste a disparu. S’appuyant sur des auditions réalisées fin 2012 par le juge d’instruction Jean-François Redonnet, les journalistes du Monde donnent un peu plus de crédit à une version des faits déjà évoquée auparavant. JPK aurait été attrapé un soir par des gros bras de la milice*** de notre élu (oui, cet élu de la République emploie aussi une centaine de gros bras – ndlr). Le journaliste aurait été chargé de force sur une petite embarcation pour être interrogé et intimidé de façon musclée. L’opération aurait mal tourné. Selon certains témoignages, le corps de JPK aurait été lesté au large. Est-ce la vérité ? Si oui, y a-t-il eu un ordre d’en haut ? L’enquête du juge Redonnet semble avancer dans ce sens.
Indice n°7 : Faire disparaître les preuves
De nombreux témoignages ont permis de comprendre les méthodes du sénateur. Mais ses hommes font souvent disparaître les traces. A titre d’exemple, le 28 octobre 2010, l’élu a également été condamné en appel dans l’affaire dite des “RG (Renseignements généraux) de la présidence” pour avoir entravé l’exercice des pouvoirs attribués aux magistrats par “une entreprise de destruction systématique” de documents.
Réponse à notre petit casse-tête : Gaston Flosse, ou l’illustration du désintérêt de la métropole pour l’outre-mer

Ce “pouvoir absolu à 18 000 km de Paris” a été exercé par Gaston Flosse, homme fort de la Polynésie française. Fabrice Lhomme, co-auteur du livre, nous expose l’une des raisons de la relative tranquillité de Flosse durant tant d’années (il fut président de Polynésie française de 1991 à 2004 – ndlr). En 1995, Flosse a fait accepter aux Polynésiens la reprise des essais atomiques sur le site de Mururoa. Chirac, à l’origine de cette idée, lui en sera éternellement reconnaissant.
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Gaston Flosse et Jacques Chirac en 2003 (Philippe Wojazer/Reuters)
Si cet article fonctionne un peu sur le principe du “CV anonyme” c’est pour optimiser ses chances d’être lu jusqu’au bout. Car l’outre-mer n’intéresse pas l’Hexagone. Les abus de ses politiques non plus. Et ça fait partie du problème.
Les dérives sont perçues comme beaucoup plus acceptables qu’en métropole, nous indique Fabrice Lhomme, co-auteur du livre. L’apriori, c’est que de toute façon ce n’est pas vraiment la France. Ce qui est faux naturellement. C’est une attitude qui est vraie pour les dirigeants politiques mais aussi pour les journalistes. Ce qui est un peu dommage. Dans l’inconscient collectif, il y a des restes colonialistes dans les castes dirigeantes françaises.”
En attendant, Gaston Flosse se présente de nouveau à l’élection, le mois prochain, pour tenter de redevenir président de Polynésie française. Il est le favori des sondages.
 Geoffrey Le Guilcher
 *Première affaire : le 15 janvier, l’élu UDI a été condamné à cinq ans de prison ferme dans une affaire de corruption dite de l’Office des postes et télécommunications de Polynésie (OPT). Il a fait appel. Seconde affaire : le 7 février, notre sénateur a été condamné par la cour d’appel de Papeete à quatre ans de prison avec sursis pour prise illégale d’intérêt et détournement de fonds publics dans une vaste affaire d’emplois fictifs. L’élu de 81 ans devra également verser 125 000 euros d’amende et sera privé de ses droits civiques pendant trois ans. Il s’est pourvu en cassation.
** La Dépêche de Tahiti
***Le GIP : Groupement d’intervention de la Polynésie

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