Les Français sont de plus en plus anxieux. Pourtant, des méthodes
existent pour mieux gérer les crises d'angoisse, qui peuvent parfois
provoquer insomnies, phobie sociale ou dépression. Notre dossier pour
savoir soigner ces troubles, que ce soit par les médicaments, par la
psychothérapie ou par des groupes de travail tels que Médiagora, avec
également le point de vue de spécialistes tels que Jon Kabat-Zinn et
Christophe André.
J-P.Guilloteau/L'Express
L'anxiété, comment en sortir?
Par Estelle Saget , publié le 22/05/2013 à 18:21 , mis à jour le 23/05/2013 à 20:56
Angoisse, crise de panique, phobie scolaire... Les anxieux -près de
1 Français sur 5- n'ont jamais été si nombreux, ni si discrets sur
leurs troubles. Pourtant, des méthodes permettent de mieux gérer son
stress et même d'en tirer profit.
Comme 2% des Français, Olivia Hagimont,
illustratrice, souffrait d'un grave dérèglement, le trouble panique,
qu'elle a fini par apprivoiser -elle en a même tiré une BD. Aujourd'hui,
elle se relaxe en méditant dans son jardin et communique activement
avec d'autres "paniqueurs" sur Internet.
J-P.Guilloteau/L'Express
Une jeune femme pimpante ouvre avec le sourire le portail de
son jardin, au fond d'une petite impasse de Saint-Maur-des-Fossés, en
banlieue parisienne. Qui pourrait s'imaginer que la même, trois ans plus
tôt, s'est retrouvée en proie à une peur panique dans les rayons du
Castorama où elle venait acheter un pot de peinture? Une peur
irraisonnée, primitive, si intense qu'Olivia Hagimont a cru voir sa dernière heure arriver.
Entraînant
sa mère, qui l'accompagnait ce jour-là, vers la sortie du magasin, elle
a foncé jusqu'à la voiture, s'y est enfermée sans plus dire un mot
jusqu'à la nuit tombée. "J'aurais été moins effrayée si quelqu'un
m'avait braqué un pistolet sur la tempe", lâche-t-elle. La grande
surface a fermé, le parking s'est vidé, Olivia a refusé de bouger.
Persuadée, sur le moment, qu'elle était devenue folle.
Olivia Hagimont, égérie des "paniqueurs"
L'épisode
s'est reproduit dans le métro, une fois, dix fois, jusqu'à ce qu'Olivia
se terre chez elle. Sa carrière d'illustratrice en a pâti, elle a raté
des contrats, avant de réussir à mettre des mots sur son état : le
trouble panique. Il s'agit d'un dérèglement spectaculaire -et très
handicapant- du mécanisme normal permettant de rester attentif au
danger.
Le problème touche aussi à un degré moindre sa soeur, sa
cousine et sa grand-mère, ainsi qu'elle l'a découvert en questionnant
sa famille. Mais Olivia, elle, a fait les choses en grand: un passage
aux urgences, dix jours d'hôpital psychiatrique. A la sortie, elle a
pris des anxiolytiques et entamé une thérapie comportementale pour
apprivoiser progressivement ses peurs. Puis elle s'est décidée à
raconter ses mésaventures.
Le résultat? Une bande dessinée drôle et distanciée, croquée frénétiquement en seulement quatre jours, Ça n'a pas l'air d'aller du tout ! Instructif, son témoignage a convaincu les très sérieuses éditions Odile Jacob, qui l'ont publié.
Aujourd'hui,
à 31 ans, Olivia est guérie. C'est-à-dire qu'elle connaît ses
fragilités et en tient compte, mais ne laisse plus passer sa chance. "Je
suis invitée au Salon du livre pour dédicacer ma BD, confiait-elle la
veille de l'événement, avec une pointe d'appréhension. Avant, mon
premier réflexe aurait été de chercher un prétexte pour refuser. Plus
maintenant. Pourtant je n'en mène pas large, je vais me retrouver entre
deux monstres sacrés, Boris Cyrulnik [le célèbre psychiatre] et Yves Coppens [le paléontologue qui a découvert notre ancêtre Lucy]!"
En
l'espace d'une année, Olivia est devenue l'égérie des "paniqueurs", une
grande confrérie -2 % de la population-, dont les liens se tissent sur
Internet. De fait, l'ordinateur tient lieu de fenêtre sur le monde pour
ces grands angoissés, dont la majorité souffrent aussi d'agoraphobie, la
hantise des lieux publics.
15 à 20% des Français sont anxieux
Les anxieux, au sens large, sont plus nombreux encore: entre 15 et 20 % des Français. Au point que le Dr Christophe André ,
dont les livres sur le sujet sont tous des best-sellers, parle
désormais d'"épidémie". Et le psychiatre de l'hôpital Sainte-Anne, à
Paris, d'affiner le diagnostic: "Les parents sont anxieux vis-à-vis de
l'éducation de leurs enfants, les enfants le sont pour leur avenir, les
personnes âgées, par rapport aux évolutions de la société qui les
dépassent, bref, toutes les générations sont touchées."
Dans l'entreprise, les anxieux,
perfectionnistes, seraient plutôt bienvenus. Car leurs troubles
n'affectent, au fond, "que" leur vie privée.
H.Hepp/Corbis
Les chercheurs, eux, estiment que la proportion d'inquiets
augmente dans tous les pays occidentaux, et ce depuis... l'après-guerre !
A l'appui de leurs dires, une large étude publiée dans la revue de la
Société américaine de psychologie. Elle établit que le niveau d'anxiété
chez les étudiants d'une vingtaine d'années n'a cessé de progresser
entre 1952 et 1993 aux Etats-Unis. Le constat vaudrait aussi, selon eux,
pour la France.
De nouvelles méthodes américaines pour combattre le stress
C'est
l'Amérique, d'ailleurs, qui montre la voie vers le mieux-être, en
imaginant régulièrement de nouvelles méthodes pour combattre le stress
et l'inquiétude. Il en est ainsi des travaux d'un homme visionnaire, Jon Kabat-Zinn ,
professeur de médecine au prestigieux Massachusetts Institute of
Technology (MIT) de Boston. Inventeur d'une forme laïque de méditation,
la "pleine conscience", il continue, à 68 ans, d'inspirer les citoyens
et les thérapeutes du monde entier.
Christophe André s'en
recommande. Ses idées, par un heureux brassage avec celles d'autres
penseurs, nourrissent des échanges féconds entre spécialistes de
l'anxiété, parmi lesquels le Dr Dominique Servant, au CHRU de Lille
(Nord), Stéphane Roy , psychologue à Bourges (Cher), le Dr Charly Cungi, à Rumilly (Haute-Savoie), ou le Pr Antoine Pelissolo , à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris.
L'anxiété vécue comme une maladie honteuse
Jamais
les anxieux n'ont été si nombreux. Et jamais ils ne se sont tant
cachés. A une époque où l'assurance et la performance sont des valeurs
suprêmes, l'anxiété ou la timidité sont vécues comme des maladies
honteuses. Il suffit d'assister à une réunion de Médiagora, un groupe
d'entraide inspiré des Alcooliques anonymes, pour s'en rendre compte.
"La plupart d'entre nous ne divulguons rien de nos difficultés à nos
collègues de travail, certains les taisent même à leur famille, constate
François Delorme ,
le président de l'antenne parisienne. Les hommes, plus encore, car ils
considèrent leurs réactions comme une faiblesse, un manque de virilité."
D'ailleurs, si cet "hypersensible" consent à donner son nom, c'est
seulement parce qu'il a un "paquet d'homonymes" avec lesquels on pourra
le confondre.
Les hommes, plus que les femmes, redoutent que leurs pathologies soient interprétées comme des signes de faiblesse.
J-P.Guilloteau/L'Express
Autre contexte, autre rencontre, mais toujours ce souci de
l'anonymat: voilà huit ans que Michel (son prénom a été changé), 55 ans,
chercheur en physique, consulte à l'hôpital Sainte-Anne, à Paris. La
peur le taraude quand il présente ses expériences d'électronique dans
les congrès scientifiques, mais il la maîtrise au prix d'un violent
effort sur lui-même. "Si j'avouais à mes confrères que je ne me sens pas
à l'aise en public, je serais aussitôt marginalisé dans mon
institution, prévoit-il. Ils se diraient: "Michel ne saura pas diriger
une équipe, ni défendre un projet..." Alors je donne le change, plutôt
bien, je crois. Seule ma compagne est au courant."
Qui, parmi les célébrités, s'assume comme grand inquiet? Bien peu. Le chanteur George Michael ,
l'ancien leader de Wham, vient d'expliquer à ses fans que l'angoisse ne
lui laissait plus de répit, un an après la pneumonie qui a manqué le
tuer. La star britannique n'avait pas vraiment le choix, obligée de se
justifier publiquement après avoir annulé sa dernière tournée en
Australie. Des artistes confessent parfois leur anxiété chronique au fil
d'une interview vérité, mais ils sont rares. Des acteurs comme Benoît Poelvoorde , Yvan Attal et Noémie Lvovsky (la réalisatrice de Camille redouble) s'y sont risqués. Le réalisateur Michel Gondry (L'Ecume des jours), les chanteuses Françoise Hardy et Carla Bruni ,
aussi. Quant à l'humoriste Gad Elmaleh, il en parlait au passé, dans le
magazine Psychologies, en 2010: "Le gars angoissé, c'était mon axe
marketing, mais j'en ai changé."
Il y aurait 15 à 20 % d'anxieux,au sens large, en France. La plupart vivent leur angoisse comme une maladie honteuse.
J-P.Guilloteau/L'Express
Les anxieux, nouveaux invisibles d'une société qui exige de
tous la force intérieure? C'est l'hypothèse de Christophe André : "Je
reçois des patients que je ne voyais pas en début de carrière, il y a
trente ans. Des personnes très bien intégrées, socialement et
professionnellement, qui ne laissent rien paraître de leurs souffrances
intimes, pourtant extrêmes."
Contrairement à la dépression,
l'anxiété n'empêche pas l'adaptation sociale. Dans les entreprises,
d'ailleurs, les managers raffolent des collaborateurs anxieux, si
soucieux des détails, perfectionnistes, qui vont souvent au-delà de ce
qui leur est demandé. Ces troubles n'affectent rien d'autre, au fond,
que... la qualité de leur propre vie. Les inquiets sous contrôle
connaissent en effet dans la sphère privée des explosions de colère ou
de désespoir. Et consultent souvent pour des maladies psychosomatiques.
Celui
qui souffre d'anxiété vit ses états d'âme comme une défaillance
personnelle. A tort. Il existe, bien sûr, des vulnérabilités propres à
chacun, héritées des gènes ou de l'enfance. Mais la vigilance, ou plutôt
l'hypervigilance, constitue bien souvent une adaptation logique à
l'environnement, porteur d'incertitudes, dans lequel évolue l'homme
moderne. On pense, d'emblée, à la crise économique qui secoue la France,
à la menace du chômage, bref, à la précarité. L'explication est
cependant un peu courte, puisque la montée de l'anxiété date de
plusieurs décennies.
Difficulté de s'adapter à un environnement en mutation permanente
Les
études disponibles pointent des évolutions de fond qui, conjuguées,
créent un sentiment d'insécurité. On ne parle pas ici de la hausse des
cambriolages ou des voitures brûlées la nuit du Nouvel An, mais de
l'augmentation des divorces, des liens familiaux distendus, de la crise
des valeurs, de la valse accélérée des nouveaux modèles de téléphones
intelligents. Ainsi, la montée de l'inquiétude chez l'être humain
tiendrait moins à des menaces réelles qu'à la difficulté de s'adapter à
un environnement en mutation permanente. "Le monde dans lequel nous
vivons est meilleur que le précédent par beaucoup d'aspects - moins de
guerres, moins de maladies mortelles et le chauffage central, souligne
Christophe André. Mais il est plus compliqué, plus instable, on ne sait
pas si on travaillera encore dans la même entreprise dans cinq ans, on
aura peut-être déménagé, changé de conjoint. La dose d'incertitude est
trop importante pour notre cerveau."
Le prix à payer pour être enfin maître de son destin
Il y a plus troublant encore. Selon certains sociologues,
l'anxiété tiendrait à la liberté de choix qui s'offre à nos
contemporains. Ce serait, d'une certaine façon, le prix à payer pour
être enfin maître de son destin, après que les carcans religieux ou
institutionnels ont été brisés. Pour Alain Ehrenberg ,
directeur de recherche au CNRS, ce basculement s'est produit dans les
années 1960. "On est passé d'une société traditionnelle où la question
qui se posait à chacun était : "Que m'est-il permis de faire ?" à une
société valorisant l'autonomie, où la question est : "Suis-je capable de
le faire ?" Il ne s'agit plus de libérer l'individu des contraintes qui
l'empêchaient de devenir lui-même, mais de le soustraire à la pression
des idéaux qui le contraignent à devenir lui-même", explique le
sociologue, qui résume l'anxiété, la dépression et le burn-out en une
formule frappante : la "fatigue d'être soi". L'homme moderne est libre
de choisir son métier, sa bien-aimée et son huile d'olive parmi la
vingtaine de marques en rayon. Une chance, à l'évidence. Sauf qu'il se
demande d'abord comment faire le bon choix. Puis, après qu'il a tranché :
"Est-ce que je ne vais pas le regretter ?"
Phobie scolaire
Cette
pression, insidieuse, pour être à la hauteur -puisque chacun est
responsable de sa réussite, et donc de ses échecs- pèse tout
particulièrement sur la jeune génération. Et se traduit notamment par le
phénomène spectaculaire des phobies scolaires, avec des écoliers trop
angoissés pour se rendre en cours. Un symptôme qui touche entre 1 et 5 %
des élèves.
Là encore, il ne faudrait pas croire qu'on a
affaire à des enfants à problèmes, comme l'explique le Dr Jean-Marc
Benhaiem, spécialiste de l'hypnose, qui applique cette technique aux
personnes souffrant d'anxiété chronique, de crises de panique et de
phobies. "La phobie scolaire n'est que la réponse normale, d'un enfant
normal, à des exigences qui sont folles, analyse le fondateur du centre
Hypnosis, à Paris. Qui peut supporter un environnement où il faut faire
ses preuves tout le temps, être le meilleur, ne jamais faillir? Trop de
pression provoque des conduites d'évitement, avec un enfant qui reste à
la maison." Dans certains cas, on peut influer sur le contexte: inscrire
l'élève dans un établissement moins strict, ou bien ouvrir les yeux des
parents, pour qu'ils placent la barre moins haut. Dans d'autres, il
faut tâtonner et s'armer de patience.
Séances d'hypnose et antidépresseurs
Comme
avec Marie, grands yeux interrogateurs et poids plume. Elève de
cinquième à Tours, elle brille par ses résultats, bien qu'elle n'ait pas
suivi une journée complète de cours depuis la rentrée. "A l'automne, le
collège nous appelait quotidiennement pour qu'on vienne la chercher",
raconte sa mère, éprouvée. Désormais, Marie passe une bonne partie du
temps scolaire dans le bureau de la secrétaire, qui l'a prise sous son
aile. Marie consulte une pédopsychiatre, une psychologue, pratique des
séances d'hypnose et prend, depuis six mois, un antidépresseur. "J'ai
encore peur d'aller à l'école, mais ça va mieux, confie-t-elle devant sa
grenadine. La semaine prochaine, je pars même une semaine en
Grande-Bretagne avec ma classe." Avec le temps, Marie apprendra, comme
bien des adultes "guéris" de leur anxiété, que celle-ci, une fois sous
contrôle, constitue aussi un formidable moteur pour avancer dans la
vie.
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