dimanche 6 décembre 2009

Introduction à l'intelligence économique

L’humanité a produit au cours des trente dernières années plus d’informations que durant toute l’histoire de l’humanité. Ce volume d’informations double tous les 4 ans. Ces deux données expliquent à elles seules la révolution culturelle en cours qui touche aussi bien le travail quotidien que la manière de mener des conflits. Cette révolution culturelle rend indissociable la stratégie et le renseignement.
Cette double commande suppose aussi une gestion différente du secret et un recours très actif aux stratégies indirectes et à l’art du camouflage.
Enfin, la complexité et les multiples paradoxes de la mondialisation des échanges soulignent la nécessité d’une nouvelle culture de la stratégie fondée en particulier sur la superposition des grilles de lecture géostratégique et géo-économique. Ceci implique de redéfinir la notion d’offensive dans la préservation pacifique des intérêts de puissance pour un pays comme la France. Pour ce faire, il est nécessaire de déterminer les causes de l’érradication du terme offensif dans notre culture stratégique. Avoir une culture du combat en intelligence économique en termes de défense de l’intérêt de puissance, c’est apprendre à traiter ses alliés comme des adversaires potentiels ou actifs mais aussi comme des interlocuteurs avec lesquels la coopération permanente est indispensable.



La définition de l'intelligence économique a longtemps fait l’objet d’intenses débats théoriques et pratiques. La première définition de l'intelligence économique moderne date de 1967 par Harold Wilensky, dans un ouvrage intitulé : "L'intelligence organisationnelle" (Organizational Intelligence: Knowledge and Policy in Government and Industry). Il définit l'intelligence économique comme l'activité de production de connaissance servant les buts économiques et stratégiques d'une organisation, recueillie et produite dans un contexte légal et à partir de sources ouvertes.

Harold Wilensky pose les deux grandes problématiques qui font aujourd'hui l'objet de tant préoccupations :
−1. Les stratégies collectives et la coopération entre gouvernements et entreprises dans la production d'une connaissance commune pour la défense de l'avantage concurrentiel,
−2. L'importance de la connaissance dans l'économie et l'industrie comme moteur stratégique du développement et du changement.

Pour introduire la notion d'intelligence économique, Wilensky identifie quatre déterminants de l'allocation de pouvoir, d'argent et de temps à l'intelligence (entendue comme le recueil, l'interprétation et la valorisation systématique de l'information pour la poursuite de ses buts stratégiques) dans une organisation :
−(1) le degré de conflit ou de compétition dans l'environnement lié de façon caractérisée au degré d'implication, ou de dépendance envers, un gouvernement ;
−(2) le degré de dépendance de l'organisation sur le soutien interne et l'unité ;
−(3) le degré auquel les opérations internes et l'environnement externe font l'objet d'une croyance du management dans leur possibilité d'être rationalisés, c'est à dire, caractérisés par des uniformités prévisibles, et donc sujets à l'influence ;
−(4) la taille et la structure de l'organisation, l'hétérogénéité de ses membres, la diversité de ses buts, et la centralisation de son système d'autorité

Cette définition a été reprise et travaillée une première fois en France par la Commission Intelligence Economique et Stratégie des Entreprises du Commissariat Général au Plan en 1993, sous la présidence d'Henri Martre, et ayant notamment comme initiateurs et rapporteurs Christian Harbulot, Philippe Clerc et Philippe Baumard.

L'intelligence économique n'est pas un processus d'accumulation d'information, mais bien de production de connaissances, par les gouvernements et des industriels, et quand il le faut dans le cadre de stratégies collectives.

Pour Wilensky, ce sont les compétences d'interprétation (interpretation skills) qui sont le véritable levier concurrentiel et stratégique, et ce sont bien des rigidités organisationnelles (hiérarchisation, bureaucratisation notamment) qui en sont les principaux obstacles.

La question d'une inadaptation du management et de l'organisation à la valorisation des connaissances stratégiques est l'axe majeur de son ouvrage.


En France, l’intelligence économique est un concept relativement nouveau. Il n’existe pas de définition unique de l’intelligence économique.
Pour Bernard Besson et Jean-Claude Possin [BESSON et POSSIN, 1996], il s’agit de : «La capacité d’obtenir des réponses à des questions en découvrant des intelligences entre deux ou plusieurs informations préalablement mémorisées. L’entreprise mettra au service de cette capacité tous les moyens dont elle dispose pour saisir des opportunités ou détecter des menaces».
Le groupe de travail présidé par Henri Martre [MARTRE, 1994b], en 1994, retient de l’intelligence économique la définition suivante : «L’intelligence économique peut être définie comme l’ensemble des actions de recherche, de traitements et de diffusion (en vue de son exploitation) de l’information utile aux acteurs économiques…»
Carlo Revelli [REVELLI, 1998] propose une définition qui tient compte de ces concepts : «Processus de collecte, traitement et diffusion de l’information qui a pour objet la réduction de la part d’incertitude dans la prise de toute décision stratégique. Si à cette finalité on ajoute la volonté de mener des actions d’influence, il convient de parler alors d’intelligence économique». Celle-ci ne se résume évidemment pas à la surveillance des activités des concurrents. C’est l’ensemble de l’environnement de l’entreprise qui est concerné. Ces diverses actions sont menées en toute légalité et en préservant les informations stratégiques de l’entreprise.
Le désir de connaître [DELBECQUE, 2004] pour maîtriser davantage son environnement en élaborant une stratégie et en mettant en oeuvre des tactiques constitue l’un des fondements de toute démarche anthropologique. L’homme veut savoir pour agir : c’est une donnée de base de la condition humaine. Or, c’est le socle même de l’intelligence économique [COUZINET,2005].
Edgar Morin [MORIN,1999] : «l’intelligence, écrivait-il, est l’aptitude à s’aventurer stratégiquement dans l’incertain, l’ambigu, l’aléatoire en recherchant et utilisant le maximum de certitudes, de précisions, d’informations. L’intelligence est la vertu d’un sujet qui ne se laisse pas duper par les habitudes, craintes, souhaits subjectifs. C’est la vertu qui se développe dans la lutte permanente et multiforme contre l’illusion et l’erreur»
L’intelligence du monde [DELBECQUE, 2004] (à commencer par celle que l’on dit «économique et concurrentielle») – colonne vertébrale du processus décisionnel – vise à réduire les incertitudes, autant que faire se peut, pour prendre des décisions optimales, donc minimisant les risques.
L’univers de l’intelligence économique étant très vaste, il englobe parfois des réalités très différentes. Il y a d’autres définitions, mais nous conservons les deux suivantes:
  • Le rapport Martre, œuvre collective du Commissariat du Plan intitulée Intelligence économique et stratégie des entreprises (La Documentation Française, Paris, 1994), donne la définition suivante : « L’intelligence économique peut être définie comme l'ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution, en vue de son exploitation, de l'information utile aux acteurs économiques. Ces diverses actions sont menées légalement avec toutes les garanties de protection nécessaires à la préservation du patrimoine de l'entreprise, dans les meilleures conditions de délais et de coûts. L’information utile est celle dont ont besoin les différents niveaux de décision de l’entreprise ou de la collectivité, pour élaborer et mettre en œuvre de façon cohérente la stratégie et les tactiques nécessaires à l’atteinte des objectifs définis par l’entreprise dans le but d'améliorer sa position dans son environnement concurrentiel. Ces actions, au sein de l'entreprise, s’ordonnent autour d’un cycle ininterrompu, générateur d’une vision partagée des objectifs de l'entreprise. »


  • Définition de Christian Harbulot : l’intelligence économique se définit comme la recherche et l’interprétation systématique de l’information accessible à tous, afin de décrypter les intentions des acteurs et de connaître leurs capacités. Elle comprend toutes les opérations de surveillance de l’environnement concurrentiel (protection, veille, influence) et se différencie du renseignement traditionnel par : la nature de son champ d’application, puisque qu’elle concerne le domaine des informations ouvertes, et exige donc le respect d’une déontologie crédible ; L’identité de ses acteurs, dans la mesure où l’ensemble des personnels et de l’encadrement – et non plus seulement les experts – participent à la construction d’une culture collective de l’information ; ses spécificités culturelles, car chaque économie nationale produit un modèle original d’intelligence économique dont l’impact sur les stratégies commerciales et industrielles varie selon les pays.
L’intelligence économique s’est développée sur des bases historiques et culturelles selon des formes différentes au Japon, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Suède ou aux Etats-Unis. Ainsi, le savoir-faire allemand dans la gestion stratégique de l’information provient avant tout de l’essor historique du commerce de l’Allemagne à l’étranger.
Les syndicats allemands, grâce à leurs contacts extérieurs, sont très actifs dans la défense des intérêts économiques du pays. Le consensus sur la notion d’intérêt économique national constitue dès lors l’un des principaux atouts culturels de la performance économique allemande.
Le système britannique d’intelligence économique se concentre aujourd’hui essentiellement sur le secteur de la finance.
Née de la politique des entreprises dans les années cinquante, l’intelligence économique aux Etats-Unis est longtemps demeurée l’outil de leurs rivalités concurrentielles sur le marché domestique. Le débat actuel relatif à l’élaboration d’une doctrine dite de sécurité économique pour la défense de l’industrie et de l’emploi américain atteste d’une évolution majeure vers une gestion collective «public-privé» de l’intérêt national.

L’intelligence économique se distingue de l’espionnage économique car elle utilise exclusivement des moyens légaux. Elle se conçoit dans un esprit d'éthique par rapport à des structures d'autorité, en premier lieu celles des États (souveraineté) et celles des entreprises.

Lorsqu'on sait fournir l’information stratégique au bon moment, à la bonne personne, dans le bon contexte, on obtient un avantage compétitif décisif sur les autres.

La plupart des spécialistes français résument l'intelligence économique aux axes suivants :
- Veille / renseignement économique (acquérir l'information pertinente),
- Protection du patrimoine informationnel (ne pas laisser connaître ses secrets)
- Aide à la décision (analyse, cartographie décisionnelle, "war room"...)
- Influence (propager une information ou des modes de comportement et d'interprétation qui favorisent sa stratégie).

Plus que jamais, il est besoin de « comprendre pour voir loin et agir vite ».
Tel est bien le sens de l'intelligence économique.

La veille n’est que l’une des composantes de l’intelligence économique ; on distingue habituellement quatre types de veille : technologique, concurrentielle, commerciale, environnementale. Elles s’articulent dans une certaine mesure sur les différentes forces concurrentielles de la matrice de Porter.

La veille technologique
•La veille technologique qui est parfois appelée «veille scientifique et technologique» s’intéresse aux acquis scientifiques et techniques, fruits de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée. Elle concerne aussi les produits ou services, les procédés de fabrication. Elle suit l’évolution des systèmes d’information. Les prestations de service dans lesquelles le facteur image est très fort permettent d’opérer une transition avec la veille commerciale.

La veille commerciale
•La veille commerciale concerne les clients ou les marchés. Il s’agit de prendre en considération l’évolution des besoins des clients. A l’heure du développement des techniques de fidélisation, la veille commerciale implique le suivi et l’analyse des réclamations. Celle-ci s’intéresse également aux fournisseurs. Cette veille se développe notamment dans les services achats. La recherche d’informations est certes focalisée sur le coût des services, mais s’intéresse également à différentes garanties.

La veille environnementale
•Cette veille englobe le reste de l’environnement de l’entreprise. C’est souvent en intégrant habilement les éléments de l’environnement politique, social, culturel et juridique qu’une firme pourra distancier ses concurrents. Selon le type d’entreprise, la veille environnementale, encore appelée veille globale ou sociétale, sera axée sur des aspects différents de la vie économique. A ces notions de veille, on ajoute l’analyse stratégique qui n’exploite que des informations publiques, souvent inaccessibles du grand public. L’intelligence économique peut éventuellement collecter des informations confidentielles, par des moyens qui ne sont tout de même pas forcément illicites. L’intelligence économique [CIGREF, 2003] est une activité d’ingénierie de l’information s’exerçant dans un contexte concurrentiel, avec une vocation offensive ou défensive selon la synthèse du CIGREF4.

La veille concurrentielle
•La veille concurrentielle analyse les concurrents actuels ou potentiels, les nouveaux entrants sur le marché, pouvant lier leur apparition à l’émergence de produits de substitution. L’information recueillie peut couvrir des domaines très larges comme la gamme des produits concurrents, les circuits de distributions, l’analyse des coûts. L’organisation et la culture d’entreprise, l’évaluation de la direction générale et le portefeuille d’activités de l’entreprise sont autant d’indicateurs au service de la veille concurrentielle.

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