jeudi 23 mai 2013

L'école et le syndrome Kodak

C'était il y a un an : Kodak se déclarait en faillite. Pourtant, ce n'était pas faute d'avoir innové constamment tout au long de son histoire, en témoignent les 19.000 brevets déposés par la marque. En 1975, Kodak avait même inventé l'appareil photo numérique mais avait renoncé à le développer pour ne pas mettre en péril son business model : vendre à prix cassé des appareils photos mais à prix d'or des pellicules (bon, ce n'était pas un coup d'essai : Kodak avait déjà laissé filer la photocopieuse et l'imprimante...). L'entreprise n'est pas morte faute d'intelligence, pas même faute d'avoir sous-investi dans la recherche, mais par les effets conjugués du court-termisme et de son incapacité à concevoir un nouveau modèle - ici économique - en rupture avec le précédent ; Kodak est mort par peur du changement.
C'est ce qui menace l'école publique et l'université. Les tiroirs du ministère débordent de rapports et de travaux de recherche analysant aussi bien les facteurs d'échec intrinsèques à l'organisation de notre système éducatif que les solutions qui permettraient de les neutraliser. Les comparaisons internationales fournissent également leur lot d'enseignements utiles.
Un exemple ? La formation des enseignants, initiale et surtout continue. Ce qu'indique le bon sens est confirmé par de robustes analyses : elle est la clé de l'amélioration du système. L'on s'apprête pourtant à remettre en selle une formation essentiellement consécutive (le théorique d'abord, le pratique ensuite), alors que les formules gagnantes sont simultanées, et assorties d'efforts massifs en direction des enseignants déjà en poste. Un autre ? La transmission des savoirs et savoir-faire. Le numérique peut jouer un rôle d'accélérateur extraordinaire, dès lors qu'il est intelligemment combiné avec d'autres formes - le cours classique, le tutorat individualisé ou en petits groupes, l'apprentissage par l'expérience, etc. Mais il s'invente de manière décentralisée, se déploie grâce à la mise en réseau, s'invente aussi bien dans le privé que dans le public. Que s'apprête-t-on à faire ? Produire des ressources standardisées. Encore un ? Les universités qui rayonnent au niveau mondial combinent une impressionnante puissance de feu en matière de recherche, une forte capacité de repérage et d'attraction des meilleurs potentiels, des liens étroits avec le monde économique. Que fait la France ? Elle cède aux organismes de recherche les moyens et l'excellence, aux classes prépas des lycées la formation des élites, aux grandes écoles les liens avec les entreprises. Pour l'université ? Rien, ou si peu au regard des enjeux.
Le service public d'éducation, de la maternelle à l'université, ne manque pas de ressources pour innover. Mais la protection de son modèle, de ses habitudes, parfois de ses privilèges, le rendent impuissant à changer de paradigme. Dans un siècle, quelque historien formulera peut-être sur la perte d'influence du service public la question que formulent aujourd'hui les analystes à propos de Kodak : pourquoi ont-ils échoué alors qu'ils hébergeaient autant d'énergies et d'intelligence, et qu'ils savaient ce qu'il fallait faire?

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