jeudi 15 mai 2014

Construire une nouvelle représentation de la réalité

flou 
Qu’une évolution des modèles d’entreprise et de management soit nécessaire est un constat largement partagé. Ce qui continue par contre à  surprendre les observateurs voire les dirigeants, managers et salariés eux même est le temps nécessaire à  la prise de conscience voire la difficulté à  se mouvoir dans le changement. Une prise de conscience qui est d’ailleurs rarement le fruit d’une lente maturation mais qui,  si j’en crois une grande partie de ceux qui ont partagé leur expérience avec moi, intervient plutôt comme une révélation, une claque subite.
Une soudaineté qui n’a rien de surprenant : cette prise de conscience n’est pas uniquement le fruit d’une longue observation mais d’un changement de perspective. Si l’on regarde les choses avec le même regard on pourra mettre des années et ne rien voir alors que dès qu’on change de perspective, qu’on fait un pas de coté, la réalité saute aux yeux.

Si l’information était visible n’importe quel manager ferait une syncope en traversant un open space.

On me faisait dernièrement remarquer que ce qui était surprenant avec ces histoires de transition numérique, d’évolution des modes de travail et d’exécution collectifs est qu’on peine devant des situations que la bonne vieille industrie souvent taxée à  tort de passéiste et d’incarnation d’un modèle dépassé a réglé depuis longtemps. Car on est ni plus ni moins que devant des questions de gestion de flux, de stock (d’information à  traiter), de goulots d’étranglement qui ralentissent une chaine d’exécution etc. Sauf qu’il s’agit de flux immatériels.
Lorsqu’on se promène dans une usine on voit les machines inutilisées, les opérateurs désœuvrés, ceux qui ont au contraire un stock d’en cours démesuré, les stocks de matière première vides ou de produits finis trop pleins, les rebuts, synonymes de non-qualité, rejetés aux postes de contrôle. Lorsque le modèle dysfonctionne n’importe qui s’en rend compte visuellement (même si trouver la cause première et avoir une approche globale du problème requiert un certain savoir faire).
Maintenant imaginez vous qu’on matérialise les échanges dans un bureau. Qu’on soit en mesure de voir le stock d’email ou de tches à  traiter devant chaque poste de travail, de problèmes nécessitant une solution sans opérateur pour les prendre en charge, qu’on voit que celui qui est a priori inactif derrière son écran depuis 1h ne fait rien, n’a rien à  faire parce qu’il attend une validation ou se concentre pour résoudre un problème devant lequel on le laisse seul et désemparé.
veritequiderange 
Si on matérialisait l’invisible n’importe quelle personne douée de bon sens ferait une crise cardiaque en traversant un open space et se dirait “mais ça n’est pas possible, ça ne peut durer ainsi, tout mon processus opérationnel dysfonctionne, on travaille n’importe comment”. Mais on ne le peut pas donc on devine, on estime et tant que ça ne saute pas aux yeux, qu’on ne peut pas ne pas voir, on se dit que ça n’est pas si grave, que ça.
Il n’y a de pire danger que celui qu’on ne voit pas, de pire situation que celle dans laquelle on doit se déplacer à  l’aveugle.

Nous percevons les choses au travers d’indicateurs qui nous donnent une vision fausse de la réalité.

Nous nous sommes construits des outils pour rendre compte de la réalité. Ces outils sont en quelque sorte nos yeux pour rendre compte d’une réalité complexe et abstraite. Ils sont complétés par une intuition qu’on a de la réalité, de la norme, de la manière dont les choses devraient être, un peu comme on se sert de la mémoire qu’on a d’une pièce vue de jour pour s’y déplacer lumières éteintes de nuit. Ces outils ne sont pas devenus mauvais ou inadaptés du jour ou lendemain, ils continuent nous rendre compte de manière exacte et fidèle de la réalité. Le problème est que cette réalité n’est plus qu’une composante de la réalité actuelle, voire une réalité disparue depuis longtemps…un peu comme ces étoiles qu’on continue à  voir briller alors qu’elles ont disparu depuis des milliers d’année. Ce qui nous amène à  manager un tout en se fiant à  une vague perception d’à  peine 10% de sa totalité.
On commence à  peine à  prendre en compte le fait que nos indicateurs financiers ne rendaient pas compte de la réalité de l’économie et amenaient à  des non sens dangereux en termes de décisions et d’arbitrages. Une partie de nos indicateurs opérationnels ne doit pas valoir mieux. Quant à  la manière dont on perçoit le fonctionnement des choses elle est encore largement améliorable, faute de compréhension des nouveaux mécanismes de création de valeur.
Faute de pouvoir percevoir la réalité de manière visuelle il importe de se doter des prothèses les plus efficaces possibles. Celles que nous utilisions jusqu’à  présent sont dépassées et nous amènent à  nous cogner aux murs en étant convaincus que c’est la seule solution possible.
Quand le contexte ou les priorités changent, les entreprises les plus lucides changent la manière dont elles perçoivent et représentent la réalité, construisent de nouveaux référentiels.

On regarde où a mis de la lumière, pas là  où on devrait.

Vous connaissez peut être l’histoire suivante.
Un homme est affairé à  chercher quelque chose à  la lumière d’un lampadaire. Des passants lui demandent ce qu’il fait et il leur répond qu’il cherche ses clé. Ils décident de l’aider. Au bout d’une heure personne n’a retrouvé les clé. Ils l’interrogent alors : “Etes vous bien sur de les avoir perdues ici ?”. L’autre répond : “Ah pas du tout, je suis même certain de les avoir perdu ailleurs. Mais c’est le seul endroit où il y a de la lumière pour chercher”.
A méditer en se demandant quand on va se décider à  acheter des lampes de poche.

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