mercredi 13 mars 2013

Le R.O.I. de l'intelligence collective enfin démontré ?

R.O.I.
Alexis Nicolas se définit comme un “manager 2.0.” Son rôle est d’activer au sein de BNP Paribas une organisation en réseau afin d’améliorer le capital social de l’entreprise.
J’ai rencontré Alexis lors de ma dernière conférence à l’IGS. Nous avons échangé sur la question du R.O.I. (retour sur investissement) de l’intelligence collective et trouvé des pistes très intéressantes que je souhaite partager avec vous dans ce billet.
Le 30 janvier 2013, Alexis a publié un article dans Le Cercle – Les Échos qui est très éclairant et que je vous invite à lire :
http://lecercle.lesechos.fr/entreprises-marches/management/organisation/221165501/baisse-cout-travail-impact-social-positif-c-es
Voici un petit résumé de cet article (avec quelques copier-coller !) suivi d’une analogie pour démontrer le R.O.I. de l’intelligence collective.

Le résumé de l’article !

Chacune à leur manière, toutes les entreprises veulent réduire le coût du travail. Mais, les récents travaux économiques de Donald G. Reinersten montrent que l’approche classique de l’optimisation des ressources pour réduire le coût du travail augmente en fait les coûts de l’entreprise.
L’approche classique prône une recherche d’utilisation des ressources à 100 %. Ils s’agit des « ressources » en général y compris les ressources humaines ! Vous avez donc un salarié, vous voulez qu’il travaille à produire et à vendre à 100% de son temps. Vous allez mettre en place des règles d’organisation, de management et de fonctionnement pour être le plus proche possible de ce 100%.
L’hypothèse prise par l’approche classique est que l’augmentation du pourcentage d’utilisation des ressources diminuera le coût relatif de réalisation de services ou de produits.

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Figure 1 : coût relatif de réalisation en fonction du taux d’utilisation des ressources.

La figure 1 montre en ordonnée le coût de réalisation d’un service ou produit et en abscisse le pourcentage d’optimisation des ressources.
Dans l’idéal, si j’arrive à faire travailler mon employé à 100% de sa capacité maximum de production et de vente et bien le coût de son travail va être très faible. A l’inverse, si l’efficacité de mon employé tend vers 0%, le coût du travail va être très important.
Accessoirement, on remarque sur cette figure que l’effort d’efficience (augmentation du taux d’utilisation) sur les derniers pourcentages de productivité ne produira qu’une faible diminution des coûts de réalisation. Dans un autre domaine, on parle des coûts de la sur-qualité.

L’impasse sur le coût des délais !

Le problème de ce modèle classique est qu’il fait l’impasse sur un autre coût propre à toutes les organisations. Il s’agit du coût du délai (qui s’ajoute au coût de production).
Le coût du délai, c’est tout le temps qui s’écoule avant qu’une tâche ne soit terminée. Dans son dernier livre, Donald G. Reinersten approfondit cette notion et diffuse une meilleure connaissance des enjeux économiques des files d’attentes et du coût du délai.

Le coût du délai augmente fortement avec le taux d’utilisation des ressources. Par exemple, supposons que le processeur de votre ordinateur passe à 100 % d’utilisation pendant trop longtemps, cela augmentera les chances que votre ordinateur se fige, autrement dit que plus aucune tâche ne soit traitée. Augmenter le taux d’utilisation, augmente l’engorgement des tâches et donc, augmente le coût du délai (imaginez Charlot sur la chaîne de production dans le film Les temps modernes).



Un autre exemple très intuitif est celui des autoroutes. Chacun a vécu l’effet accordéon de la circulation sur une autoroute un peu chargée au retour de vacances. Que se passe-t-il ? La ressource, l’autoroute, est très fortement utilisée, les voitures, ne roulant pas à la même vitesse, forment un flux non continu. La forte utilisation de la ressource ne permet pas une trop forte variabilité des vitesses, ce qui génère des ralentissements passagers (l’effet accordéon). Il en est de même avec tout type de tâche de travail et à toutes les échelles.

En simplifiant un peu (prenons un coût du délai identique sur l’ensemble des tâches), la figure 2 illustre l’évolution du coût du délai en fonction du taux d’utilisation des ressources.

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Figure 2 : coût du délai en fonction du taux d’utilisation des ressources.

Cette figure montre le problème de l’approche classique. On veut augmenter le taux d’utilisation vers 100% mais, au final, on gagne très peu sur le coût de réalisation au fur et à mesure qu’on approche de 100. Par contre, on augmente fortement le coût du délai quand on approche de 100 !
L’obsession classique de l’utilisation des ressources à 100 % est donc une grave erreur économique. Il s’agit du management à l’heure de présence ; des recherches d’optimisation des ressources ; des programmes d’augmentation de productivité ; …

A la recherche d’un point d’équilibre !
La figure 3 montre la forme du coût total de réalisation qui est la somme des deux coûts précédemment décrits (figures 1 et 2). La courbe résultante est en forme de U, ce qui veut dire que le coût minimum ne se situe pas à 100 % d’utilisation des ressources.
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Figure 3 : coût total de réalisation (= production + délai)

Sur la figure 3, le point d’équilibre est positionné à 80 %, mais aucune formule théorique ne peut donner le pourcentage exact où se trouve le minimum, car il dépend du type de tâche, du niveau d’automatisation, de la variabilité, du risque et du contexte en général. L’important est de retenir que le coût total ne peut pas être optimisé par l’augmentation vers 100% du taux d’utilisation des ressources.

Sur la figure 3, la partie bleue est un temps dédié à la réalisation directe de valeur ajoutée (production sur chaîne d’assemblage, développement informatique, etc.). La partie jaune est un temps de « non production » que l’organisation doit conserver pour garder le coût total au minimum. Ce temps de « non production » peut par exemple être utilisé pour améliorer les processus, pour innover, pour renforcer les liens sociaux entre les membres de l’équipe ou au sein de l’entreprise. On va en reparler dans la 2ème partie du billet.

Conclusion : si on pousse les employés à travailler au maximum de leurs capacités, on va induire des coûts liés au délai qui vont annuler les gains réalisés sur les coûts de production. Il faut donc trouver le bon rythme. Toyota à travers son système managérial orienté vers l’amélioration continue, donne pouvoir aux ouvriers d’arrêter la ligne de production pour résoudre un problème, rompant ainsi le culte de l’optimisation des ressources.

Il reste à chaque entreprise un travail pour trouver son point d’équilibre par la méthode qui lui est le plus adaptée.

Le R.O.I de l’intelligence collective

Pour la suite de ce billet, il est nécessaire que nous partagions le même cadre de référence. Avant de poursuivre cette lecture, je vous invite à lire ce billet « L’ère du management paradoxal ». C’est un préalable indispensable pour comprendre la suite.

Il y a un parallèle très intéressant à faire entre le management paradoxal et les travaux de Donald G. Reinersten sur les enjeux économiques des files d’attentes et du coût du délai.
En effet, il me semble que lorsqu’un manager fonctionne uniquement dans la logique de l’Ordre, il est absorbé par des activités de production et de vente au quotidien. On lui fixe des objectifs toujours plus ambitieux pour essayer de rentabiliser son salaire en essayant de l’occuper au plus proche de 100%. Ce même manager est mis sous pression et va donc reporter cette pression sur ces collaborateurs qui vont ensuite la reporter sur leurs collaborateurs et ainsi de suite du haut vers le bas de la pyramide.

A ce niveau de logique Ordre, on tend vers 100% de productivité mais on n’accorde plus de temps pour le niveau de logique Chaos.

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La logique Chaos est adaptée au traitement des pages blanches (les sujets où il n’y a pas de réponse évidente) :
  • Développement de performance & Stratégie
    Il s’agit de la performance de l’organisation dans toutes ses dimensions (social, financière, production, ventes,..). Cela concerne aussi le déploiement de la stratégie dans des univers mouvants.
  • Résolution de problèmes complexes
    Un problème complexe présente au moins l’une des caractéristiques suivantes : (1) nécessite de mettre en commun plusieurs expertises ; (2) caractère instable de la situation (imprévisibilité) ; (3) contexte systémique (difficultés à évaluer toutes les interactions entre tous les éléments du problème et donc les conséquences de la décision).
  • Gouvernance
    Les points précédents concernent le « quoi faire ». L’objectif d’une réflexion sur la gouvernance est de mieux aligner organisation et opérations face à des environnements complexes et mouvants en traitant du comment faire.
  • Innovation collaborative
    L’objectif de l’innovation collaborative est de pousser plus loin les idées individuelles qui émergent par la connexion de plus d’intelligences et de savoirs autour de ces idées.
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Le temps qu’on passe à traiter les pages blanches est en moyenne de 5% de notre temps (tous secteurs, entreprises, départements, niveaux hiérarchiques confondus). On passe donc en moyenne 95% de notre temps sur les activités de production et de vente. Si on me pousse à tendre vers 100% de mon temps sur la production et la vente, on me pousse mécaniquement à réduire le temps que je passe à traiter les pages blanches vers 0%.

Ces pages blanches sont importantes (performance, stratégie, problèmes complexes, gouvernance, innovation,…) mais elles ne sont pas toujours urgentes. On repousse donc le moment où on va s’en occuper parce qu’on est très pris par l’atteinte des objectifs de la logique Ordre. Cependant, un jour vient où l’important devient urgent. C’est donc dans l’urgence qu’on va traiter l’important. Or le temps est la pire variable d’ajustement d’une réflexion sur une page blanche. Au lieu de sécuriser son processus de décision en traitant l’important avant qu’il devienne urgent, on va fonctionner en mode dégradé et on dégradera donc la qualité de la décision qui pourtant va impacter fortement les activités de production et de vente. Et oui, le Chaos est au service de l’Ordre. La stratégie, l’innovation, la gouvernance,… sont au service de l’Ordre. Si le travail fait sur le niveau Chaos est bâclé, il y aura des conséquences sur la qualité des décisions mise en œuvre dans la logique Ordre.

Tout ça ne vous rappelle rien ? Même pas ce schéma :
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Figure 2 : coût du délai en fonction du taux d’utilisation des ressources

La figure 2 montre le coût des délais associé au traitement de l’important quand il est devenu urgent. Quand l’important est traité alors qu’il n’est pas encore urgent, le coût des délais tend vers 0 euro.
On doit accorder du temps aux pages blanches, à l’important et pas uniquement aux activités de production et vente. Pourtant, l’entretien annuel d’évaluation ne porte très souvent que sur l’atteinte d’objectifs individuels de production et de vente.

On devrait évaluer les employés sur l’atteinte de leurs objectifs individuels mais aussi sur leur contribution au collectif. Intuitivement, pendant mes conférences, je proposais un 80% d’évaluation sur la logique Ordre et 20% sur la logique Chaos (temps de réflexion collective, innovation, créativité, …). Ces chiffres ne vous rappellent rien ? Les voici :

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Figure 3 : coût total de réalisation (= production + délai)

Je traduis ce schéma ainsi : un employé devrait passer 80% de son temps sur la logique Ordre et les 20% restant sur la logique Chaos. Une petite entreprise du nom de Google a mis en œuvre ce principe depuis longtemps pour ses ingénieurs en leur permettant de travailler sur un projet personnel à 20% de leur temps pour favoriser l’innovation dans l’entreprise. Google est très orienté innovation et culture ingénieur. Je pense qu’il faut élargir aux 4 pages blanches et pas uniquement à l’innovation et qu’il faut élargir à tous les employés et pas uniquement aux ingénieurs.

Cela dit, ce 80-20% n’est pas une norme applicable à tous les employés, tous les secteurs d’activités, toutes les entreprises,… C’est une image pour expliquer un enjeu du futur. C’est d’ailleurs ainsi que cela est formulé dans la première partie de ce billet : « […] Sur la figure 3, le point d’équilibre est positionné à 80 %, mais aucune formule théorique ne peut donner le pourcentage exact où se trouve le minimum, car il dépend du type de tâche, du niveau d’automatisation, de la variabilité, du risque et du contexte en général. […] »

Albert Einstein a dit : “Le monde que nous avons créé est le résultat de notre niveau de réflexion, mais les problèmes qu’il engendre ne sauraient être résolus à ce même niveau”.

Albert Einstein aurait pu dire : “On ne peut pas résoudre les problèmes engendrés par le niveau de logique Ordre dans ce même niveau. On doit basculer dans le niveau de logique Chaos”.

Cependant, on pousse les employés à occuper 100% de leur temps sur la logique Ordre et 0% sur la logique Chaos. Il sera donc plus difficile de résoudre efficacement les problèmes de la logique Ordre et cela induira ce qu’on a appelé dans ce billet : le coût des délais. Le R.O.I. de l’intelligence collective est qu’il permet de réduire le coût des délais…mais il reste toujours difficile voire impossible à calculer financièrement !

Il est contre-productif d’un point de vue économique et financier de centrer les employés uniquement sur des objectifs de production et de vente. C’est un gain à court terme qui est entamé ensuite par le coût des délais à moyen terme.

Trop d’Ordre… tue l’Ordre !!!

Qu’en pensez-vous ?

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