mercredi 13 mars 2013

Vieillissement : au-delà du défi financier, l'enjeu de société


Dans une maison de retraites d'Antibes. Les 75 ans et plus seront deux fois plus nombreux en 2060.
"Adaptation de la société au vieillissement : année zéro !" Le titre du rapport remis lundi 11 mars au premier ministre par Luc Broussy, conseiller général (PS) du Val-d'Oise et anciennement conseiller "personnes âgées" dans l'équipe du candidat François Hollande, en dit long sur l'ampleur de la tâche. D'ici à 2050, la proportion de personnes âgées de plus de 60 ans devrait passer dans les pays développés de 20 % à 33 % de la population. L'allongement de l'espérance de vie est un "extraordinaire progrès de civilisation", écrit M. Broussy. Il pose aussi de redoutables défis.

L'enjeu est de permettre ce vieillissement dans les meilleures conditions possibles, pour les personnes concernées et leur entourage. Certains pays, comme le Japon ou l'Allemagne, sont engagés dans cette voie de longue date. En France, tout reste à faire. "Ce qui se décide aujourd'hui est capital pour éviter une crise du vieillissement dans vingt ans", affirme Jérôme Guedj, député PS de l'Essonne, et responsable des personnes âgées à l'Association des départements de France (ADF).

Le gouvernement a promis de s'attaquer à ce chantier, en commandant trois rapports : celui de M. Broussy ; et ceux de Jean-Pierre Aquino, président de l'Association internationale de gériatrie et de gérontologie, consacré à la prévention, et de Martine Pinville, députée PS de Charente, sur les exemples internationaux. Même si le gouvernement ne dit pas, pour l'heure, ce qu'il en retiendra, leur remise marque le lancement d'un processus qui aboutira à un projet de loi annoncé pour fin 2013.
  • Des besoins financiers en forte hausse
Le principal défi sera celui du financement de la dépendance. En 2010, les dépenses liées à la perte d'autonomie des personnes âgées étaient estimées entre 26 milliards et 34 milliards d'euros. Plus des deux tiers de ces sommes étaient couverts par des contributeurs publics : l'assurance-maladie, les départements, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), etc.
Ces charges vont augmenter du fait de l'accroissement du nombre de personnes dépendantes, qui devrait se situer dans une fourchette comprise entre 1,74 et 2,24 millions en 2040 (contre 1,165 million en 2010), d'après les projections faites il y a deux ans lors du grand débat national sur la dépendance.
Les bailleurs de fonds publics vont donc devoir consentir un effort supplémentaire - entre 8,5 milliards et 10,3 milliards d'euros en plus, suivant les hypothèses, à l'horizon 2040. Pour les années 2014 et 2015, le surcroît de dépenses publiques est d'ores et déjà susceptible d'atteindre 2,5 milliards d'euros, affirme Claudy Lebreton, président de l'ADF. Or "les payeurs sont relativement exsangues", qu'il s'agisse des organismes publics ou des personnes âgées et de leurs proches, souligne Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Synerpa, premier syndicat de maisons de retraites privées.
"Nous étalerons cet effort sur l'ensemble du quinquennat, a indiqué François Hollande lors d'un discours prononcé le 25 janvier à Lille. Nous ne pourrons pas aller plus vite que ce que nos finances nous permettront de faire."
  • L'équilibre entre le public et le privé
Quelles sont les pistes possibles pour trouver des recettes ? Le rapport de synthèse rédigé à l'issue du débat national de 2011 en avait esquissé plusieurs : relèvement du taux de CSG, extension de la "journée de solidarité" (qui finance des actions en faveur de l'autonomie des personnes âgées ou handicapées), réduction de l'abattement fiscal de 10 % dont bénéficient les retraites, etc. Aujourd'hui, au sein du PS, certains défendent l'idée d'un accroissement de la CSG pesant sur les retraités qui ont des revenus confortables.
Le recours aux assurances figure également parmi les solutions envisagées. A l'heure actuelle, entre 5,5 millions et 6 millions de personnes sont couvertes contre le risque dépendance par une mutuelle, une institution de prévoyance ou une société d'assurances. En 2010, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale avait préconisé de rendre obligatoire, dès 50 ans, la souscription d'un contrat contre la perte d'autonomie. Une option rejetée par le gouvernement actuel. Toutefois, M. Hollande a précisé, le 25 janvier, qu'il comptait faire appel à la fois la "solidarité" et à la "responsabilité individuelle", suggérant qu'une place sera laissée aux assureurs.
  • Mieux vaut prévenir que guérir
Mais le message des experts consultés est que la réforme devra dépasser la seule question du financement. "La perte d'autonomie est un aspect fondamental, mais un aspect seulement, des défis que la France va devoir surmonter, explique M. Broussy. Si on veut que le vieillissement soit une opportunité heureuse, il faut prendre des mesures maintenant."
L'un des objectifs sera de vivre de plus en plus longtemps en bonne santé. La prévention est essentielle. L'activité sportive, une meilleure alimentation, l'entretien du capital intellectuel, le repérage précoce des fragilités des personnes âgées devront être promus. Le maintien d'une vie sociale riche est capital. "L'isolement est un facteur indéniable de la perte d'autonomie, écrit M. Aquino. La lutte contre cet isolement demande de dépasser le seul investissement des professionnels et des familles."
La prévention n'est cependant pas le fort de l'action publique en France. "Notre système de soin est extrêmement tourné vers le curatif, relève M. Guedj. On pourrait imaginer un mécanisme instaurant un pourcentage de dépense préventive pour toute dépense curative." Le moment du départ en retraite est propice à la diffusion de messages de prévention.
  • Repenser le cadre de vie
L'autre grand chantier est l'adaptation de toute la société au vieillissement. Cela peut être très concret. "Une personne très âgée peut être autonome si elle vit dans un immeuble avec ascenseur, et dépendante dans un appartement desservi par un escalier ", observe M. Broussy. Vieillir dans des quartiers mal desservis et sans commerces favorise l'isolement, donc la dégradation intellectuelle et physique. M. Broussy propose que les documents d'urbanisme définissent des "zones propices au vieillissement" où serait appliqué un quota de 20 % de logements adaptés pour toute nouvelle construction.
Autre exemple : la disparition des bancs publics est un frein à l'autonomie des aînés, qui ont besoin de se reposer lors d'un trajet à pied... Les piétons âgés sont vulnérables : pourquoi ne pas allonger le temps laissé pour traverser les rues ? L'auteur ne préconise pas l'interdiction de prendre le volant après un certain âge (les personnes âgées causent moins d'accident que les jeunes) mais une remise à niveau dans les auto-écoles...
  • Un énorme gisement d'emplois
Le vieillissement est une opportunité économique. Le secteur des "gérontechnologies" (domotique, télé-assistance) est déjà investi par des entreprises européennes. Par ailleurs, entre 2010 et 2020, plus de 350 000 emplois d'aides à domicile, aides-soignants et infirmières devront être pourvus.
Une campagne massive d'information et de revalorisation de ces carrières devient "une véritable exigence nationale", affirme M. Broussy. Autre proposition : les "aidants familiaux", qui consacrent temps et énergie à l'accompagnement des personnes dépendantes, devraient être soutenus par la création de congés spécifiques.
10 milliards d'euros C'est ce qui restait à la charge des personnes dépendantes et de leurs familles en 2010, déduction faite de l'intervention publique, d'après un avis du Conseil économique, social et environnemental. En 2008, les personnes hébergées en maison de retraite devaient en moyenne débourser 1 600 euros mensuels (en plus des aides diverses). Le reste à charge était plus élevé dans le secteur privé lucratif (2 000 euros) que dans le public (1 380 euros).

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