mardi 20 août 2013

Medef : Pierre Gattaz ferait-il quand même un peu de politique ?

Tout le monde connaît la parabole de la grenouille. Si on plonge une grenouille dans une casserole d’eau bouillante, elle va tout faire pour en sortir. En revanche, si on la plonge dans une casserole d’eau froide et que l’on monte progressivement la température, la grenouille va se laisser cuire sans broncher. C’est un peu ce qui se passe avec les préceptes néolibéraux.
Quand ils sont distillés à petites doses, régulièrement, on se surprend à ne même plus y réagir… Tout cela est devenu tellement « normal », à longueur d’interviews de « responsables » économiques et politiques, ou d’éditos de journalistes « raisonnables ». Ainsi, il n’est presque plus choquant d’entendre :
  • « Les dépenses publiques en France sont excessives. »
  • « Les entreprises sont écrasées par les charges. »
  • « On vit plus longtemps, donc il faut travailler plus longtemps. »
Mais quand toutes ces inepties sont concentrées en une dizaine de minutes, il est difficile de ne pas réagir. C’est ce qui s’est encore passé mercredi 17 juillet dans la matinale de France Inter, dont l’invité était Pierre Gattaz, le tout nouveau patron du Medef.


Pierre Gattaz : "Nous perdons 1 000 emplois par... par franceinter


Bien que ce monsieur n’ait pas inventé l’eau tiède, ses propos ont fait l’effet sur moi d’une casserole d’eau bouillante ! Entendre ce fils à papa (son père Yvon a été président du Conseil national du patronat français (CNPF)) régurgiter sa bouillie néolibérale sur le service public à une heure de grande écoute m’a fait bondir.
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Des dépenses incroyables ?


« Les dépenses publiques sont à un niveau incroyable de 57% du PIB contre 45% en Allemagne. »
Tout d’abord, rappelons que ces 57% ne sont pas brûlés par des fonctionnaires obtus et paresseux. La moitié est redistribuée aux Français sous forme de remboursement de dépenses de santé, de pensions de retraite, d’allocations chômage… Sur la moitié restante, la majeure partie est constituée des salaires des fonctionnaires qui vont consommer et contribuer à la formation de la demande aux entreprises privées.
Et n’oublions pas les quelque 100 milliards d’euros de subventions publiques aux entreprises ! Quant à la comparaison avec l’Allemagne, la différence s’explique en grande partie par les coupes sombres dans la protection sociale organisées par les funestes réformes « Hartz IV », ainsi que la baisse des investissements publics. Cela se paye au prix fort par les Allemands, dont le nombre de ceux qui basculent dans la pauvreté ne cesse de croître (et notamment parmi les retraités).
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Des entreprises asphyxiées ?


« Les entreprises sont asphyxiées par les charges. »
Selon Pierre Gattaz, la fiscalité et les cotisations sociales seraient les responsables des mauvaises performances des entreprises françaises. Selon l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII) [PDF],
« Les recettes tirées de l’IS [impôt sur les sociétés, ndlr] ne représentent qu’une faible part du PIB en France (2,1% en 2010 contre plus de 3% aux Etats-Unis et au Royaume-Uni) ».
Quant aux cotisations sociales et au coût du travail, il convient de noter que le coût horaire de l’industrie en Allemagne est voisin de celui de la France. Il faut donc chercher ailleurs la cause de nos mauvaises performances.
Dans un dossier du numéro de juin 2013 d’Alternatives économiques, on peut lire que la part des ressources financières des entreprises consacrée à la distribution de dividendes est passée de 30% à 80% depuis 1980. Cette augmentation s’est faite au détriment de l’investissement. M. Gattaz, « passionné de l’entreprise » comme il se présente, doit savoir qu’une entreprise qui n’investit pas suffisamment ne peut être performante.
Enfin, cette « pression actionnariale » se répercute sur l’ensemble des entreprises, même les plus petites. Ainsi, le médiateur des entreprises a récemment mis en évidence que les grands groupes demandaient à leurs « partenaires » de leur rétrocéder une part du crédit impôt compétitivité emploi (CICE). Cette mesure, dont on peut par ailleurs douter de l’efficacité, devient un instrument de chantage supplémentaire pour les grands groupes qui dominent notre économie !
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Est-ce bien raisonnable ?


Sur les retraites, M. Gattaz, n’a pas pu résister à l’attrait de belle formule (presque un alexandrin !) :
« On vit plus longtemps, donc il faut travailler plus longtemps. »
Il a même cru bon d’ajouter que c’était « logique » et « mathématique ». Notre matheux a quand même oublié quelques paramètres dans son équation… Certes, on vit plus longtemps, mais l’espérance de vie en bonne santé, elle, stagne à environ 62 ans.
Certes, il y a de moins en moins d’actifs pour un retraité, mais les actifs en question produisent beaucoup plus (la richesse produite par actif a été multipliée par cinq depuis 1960).
Ensuite, en bonne logique, à quoi bon contraindre ceux qui ont un emploi à travailler plus longtemps alors que près de 4,8 millions de personnes attendent aux portes du marché du travail ?
La vraie question des retraites, c’est la lutte pour le plein emploi et pour la répartition des richesses et des gains de productivité. Il faut s’attaquer vraiment au chômage de masse en osant remettre sur la table la question de la réduction du temps de travail, la transition écologique génératrice d’emplois nouveaux…
C’est un chantier autrement plus ambitieux qu’une nouvelle réformette bricolée en quelques semaines et qui se contente de jouer sur les sempiternels mêmes curseurs comptables : âge légal et durée de cotisation ! Alors, paraît-il, « tous les pays raisonnables ont fait ça »… Qui sont ces pays prétendument raisonnables ? Les Etats-Unis d’où est partie la crise des subprimes ? L’Espagne qui a fondé sa croissance sur une bulle immobilière ? L’Allemagne qui organise la paupérisation d’une frange toujours plus large de sa population ?
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Les blocages ne sont pas là où l’on croit


Selon Pierre Gattaz :
« Il faut arrêter de raisonner de façon politique en France. »
Mais pendant son interview, a-t-il fait autre chose que de la politique ? N’a-t-il pas essayé de promouvoir une certaine vision de la société ? N’est-ce pas cela l’essence même de la politique ?
Pour lui :
« L’entreprise est, après la famille, la cellule la plus importante de la société française. »
C’est un point de vue… Mais que serait l’entreprise sans un système éducatif, un système de santé, des infrastructures routières et de communication, le droit, la sécurité… ? Bref, l’entreprise telle que nous la connaissons est un mode d’organisation parmi d’autres (il y a aussi les coopératives, les Scop, les associations…) pour la production de biens et de services. Elle ne saurait se substituer aux mécanismes collectifs pour la production de services et de biens publics, nécessaires au développement et au bien-être d’une société.

Il faut faire de la politique, c’est vital ! Il faut proposer une vision alternative à celle du Medef. M. Gattaz a raison, la société française est rigide et bloquée ! Mais pas au sens où il l’entend : complexité administrative, normes ubuesques… En réalité le président du Medef est la parfaite incarnation du vrai blocage de la société française. Il dirige l’entreprise Radiall, créée par un certain Yvon Gattaz, son père. Et de surcroît, il préside la même organisation patronale que lui… Il est l’illustration de cette société d’héritiers et de rentiers qu’est en train de redevenir la France. Une société où l’origine sociale conditionne de plus en plus la réussite, au détriment du mérite.
Voilà pourquoi il faut faire de la politique. Il faut redonner à tous les mêmes perspectives de réussite, permettre à chacun quelle que soit son origine d’exprimer son talent. Ce doit être le projet POLITIQUE de la gauche et notamment du Parti socialiste. Pour cela, il faut d’urgence mettre un terme à la quête de la croissance et de la compétitivité, au prix d’une compétition de tous contre tous. Il faut au contraire briser la reproduction des inégalités par une vraie réforme fiscale réellement progressive, permettre à tous d’avoir un emploi de qualité en organisant la réduction du temps de travail, planifier la transition écologique de notre modèle de développement pour tracer les chemins d’une « prospérité sans croissance » (économie circulaire, sobriété énergétique, agro-écologie …).

Pierre Gattaz : le nouveau patron des patrons est-il un bon patron ?




Pierre Gattaz sur l’un de ses sites Radiall près de Lyon, le 12 juin 2013 (ROMUALD MEIGNEUX/SIPA)
Le tour est joué, Pierre Gattaz sera élu ce mercredi à la présidence du Medef, ses deux principaux challengers ayant décidé de rallier sa candidature.
A qui les patrons vont-ils avoir affaire pour les représenter ? Quelle est sa vision de l’entreprise, sa manière de diriger, sa conception des rapports avec les syndicats de salariés ?
Pierre Gattaz répond : voyez Radiall, son entreprise. 2 500 personnes, dont la moitié dans cinq usines françaises, qui fabriquent des connecteurs pour les avions, les voitures ou les tablettes.
L’homme se prévaut d’y être « un patron de terrain », le PDG d’une « société exemplaire en matière de dialogue social », dans laquelle les « salariés sont heureux ». Rien à voir avec un « fils à papa », répète-t-il à longueur d’interviews : certes, il inscrit ses pas dans ceux de son père, Yvon, à la tête de Radiall comme de l’organisation patronale, mais il assure avoir fait de l’entreprise familiale « la société la plus high-tech du monde ». S’il le dit...

Un syndicat maison longtemps tout-puissant

« Toute la journée », Pierre Gattaz pratique le dialogue social. En tout cas, il l’assure. Argument rhétorique à l’appui :
« Si j’étais un fou furieux du dialogue social, je n’aurais pas réussi à conquérir Apple, Boeing, Mitsubishi, Bombardier, car pour cela, il faut motiver les équipes. »
Premier constat : Pierre Gattaz est présent dans ses usines françaises à de rares occasions. Sans doute sait-il déléguer, mais de là à se présenter comme « un patron de terrain »... Deuxième constat : il cherche à se démarquer d’un père qui pouvait déclarer :
« Les performances des entreprises sont inversement proportionnelles à leur taux de syndicalisation. L’élimination s’impose donc économiquement. »
Longtemps, un syndicat maison a régné chez Radiall, la Confédération autonome du travail (CAT). Pierre Gattaz a repris l’entreprise en 1992 mais, en 2011 encore, la CAT remportait les élections professionnelles avec 47,8% des voix. « Il n’y avait pas de négociations réelles », constate Guy Manin, représentant du personnel CGT à l’usine de Voreppe (Isère).
En mai dernier, la situation se retourne subitement : SUD obtient 46% des voix, devant la CGT (21%), la CFDT et l’ex-CAT, devenue Unsa. Un profond changement chez Radiall, qui peine toutefois à se traduire dans les faits. Les nouveaux élus contactés se montrent frileux pour répondre aux questions. Guy Manin y va avec précaution :
« Quand on organise des réunions sur les conditions de travail ou sur les salaires, si vingt salariés viennent – sur les 300 de l’usine de Voreppe –, c’est déjà bien. Donc je ne peux pas dire que les gens se plaignent ici. »

Libres de discuter... des places de parking

L’entreprise prône d’ailleurs la communication. Et elle a adopté un fonctionnement bien particulier pour faire remonter les informations : les commissions internes. Dans ces commissions, une dizaine de salariés volontaires discutent d’un sujet prédéfini pour donner leur avis.
Une bonne idée en soi, reconnaissent les délégués contactés. Si ce n’est que les décisions prises par ces commissions vont bien souvent dans le sens souhaité par la direction. Les représentants du personnel, eux, sont mis devant le fait accompli.
Ce qui leur fait éprouver une certaine schizophrénie :
  • d’un côté, pour eux c’est « confortable » (« On se laisse porter, on délègue volontiers ») ;
  • d’un autre, « tous les moyens ne sont pas donnés aux instances représentatives du personnel pour exercer un regard critique, puisque tout est décidé en commission interne. »
Guy Manin parle d’un « système » dans lequel il peine à trouver sa voix :
« Il y a un paternalisme incroyable ici. J’ai rencontré Gattaz, qui m’a fait comprendre que la lutte des classes, c’était terminé. »
Ce qui se traduit ainsi dans les faits :
« Les gens peuvent s’exprimer. Mais ça n’est jamais sur des remises en cause profondes. C’est pour dire qu’Untel s’est mal garé sur la place de parking. »

« Très rentable à court terme », coûteux après

Les commissions internes ont par exemple servi à discuter de la mise en place d’une nouvelle méthode, tout droit venue du Japon, qui conquiert les grandes entreprises en France depuis quelques années, et qui arrive aujourd’hui massivement dans les entreprises plus petites. Ça s’appelle le « lean », traduisez « chasse au gras » ou « traque aux gaspillages ».
En 2000, le nouveau gros client, Boeing, envoie des experts maison pour « lancer le mouvement “lean” » dans l’usine de Château-Renault, raconte Dominique Buttin, l’actuel président de Radiall Etats-Unis, à L’Usine nouvelle. « L’objectif fixé était de tout réduire de 30%. »
Les services sont « leanés » par vagues : observation du travail, réorganisation pour éradiquer les temps et gestes jugés inutiles, évaluation des résultats, nouvelle vague. Il s’agit de rationaliser la production mais aussi les services administratifs.

Chasse aux temps « pas productifs »

Dans un premier temps, à Château-Renault, racontent les salariés contactés, le « lean » rend plutôt service. « Avec le temps, on s’est désorganisés, tout n’est pas optimisé. C’était facile de trouver des temps inutiles lors de la première vague. »
Les difficultés commencent quand tous les gaspillages évidents sont éliminés. « C’est là qu’on va toucher aux équilibres précaires qui font que l’entreprise va bien, que les salariés en font plus que ce pour quoi ils sont payés », constate un salarié « leané » :
« Pour bien faire son boulot, il faut parfois prendre le temps d’aller poser une question à un gars du service d’à côté. Il faut parfois lever la tête de son ordinateur, lire, discuter. Mais, ça, ça n’est pas du temps productif... »
Pour Bertrand Jacquier, spécialiste du lean chez le cabinet d’experts Secafi, les patrons français appliquent le « lean » comme ça les arrange. Or, si cette méthode peut être utile pour une tâche bien précise – réparer en un minimum de temps une machine qui doit tourner jour et nuit –, ce n’est pas « un système de management, une organisation générale ». Certes, c’est « très rentable à court terme » de tout « leaner » dans l’entreprise, mais à long terme, les résultats peuvent être coûteux : troubles musculo-squelettiques, dépression, démotivation, etc.
A Château-Renault, une formation a d’ailleurs été dispensée aux managers sur les risques psychosociaux (stress, suicides, etc.) pour « apprendre à détecter les salariés en souffrance », au moment où le « lean » était mis en place.

Garder des emplois en France ?

Radiall en chiffres (2012)
Chiffre d’affaires : 220 millions d’euros ;
effectifs du groupe : 2 500 ;
effectifs France : 1 323 (dont environ 200 intérimaires) ;
effectifs Amériques : 656 (dont environ 400 intérimaires) ;
dépenses en R&D : 7,5% ;
turn-over de 16 à 39 ans : 6,13% (légère hausse/2011) ;
taux d’absentéisme : 4,69% (hausse/2011) ;
rémunérations brut des options et actions attribuées à Pierre Gattaz : 416 982 euros.
(Source : rapport financier de 2012)
Pierre Gattaz l’a répété, il tient à « garder des emplois en France ». Pour l’instant, il n’en a pas fait disparaître. Même si le chiffre d’affaires réalisé par le groupe à l’étranger représente 80,5% de l’activité globale, selon le rapport financier 2012 [PDF].
Radiall possède des usines aux Etats-Unis, en Chine, en Inde et, aujourd’hui, au Mexique, pour se rapprocher du client Boeing. Si les effectifs de Radiall se sont étoffés l’an dernier, c’est principalement dans ce pays (où l’entreprise emploie beaucoup en intérim).
Du coup, à l’usine de Château-Renault, qui travaille aussi pour Boeing, on s’inquiète : les salariés ont pris des cours d’espagnol pour recevoir leurs collègues mexicains et leur montrer comment l’usine française fonctionne. Jusqu’où vont-ils rester complémentaires ? Jusqu’ici, il s’agissait surtout de produire là-bas, pas d’y concevoir les produits.
Une stratégie désormais classique chez les sous-traitants de l’aéronautique, commente Didier Brely, spécialiste du marché de la connectique :
« Les bureaux d’études, la responsabilité restent en France. »
Justement, chez Radiall aujourd’hui, le Mexique ouvre son propre bureau d’études. Ce qui laisse quelques salariés dans l’expectative :
« Ça ne me gêne pas de lâcher sur des technologies obsolètes si on développe des technologies du futur, si on est dans la prospective. Mais si on déshabille Paul pour habiller Jacques, non. »

« C’est pas l’avenir, ça »

Cela dit, les mêmes salariés reconnaissent qu’ils sont sur un secteur porteur, « sur des programmes de sept à dix ans, pas sur le trimestre, c’est rassurant. » D’autant plus que l’entreprise se trouve aujourd’hui sur une pente ascendante, commente Didier Brely :
« Il y a quinze ans, c’était une entreprise un peu poussive, elle restait sur ses acquis, mais depuis une dizaine d’années, elle est revenue à un bon niveau dans son domaine. »
A Voreppe, en revanche, on est plus circonspect. « On fait du décolletage, c’est pas l’avenir, ça », constate Guy Manin. Le site a d’ailleurs perdu 50 salariés cette année, selon le rapport 2012. Pour le représentant CGT :
« La société a su s’orienter vers de nouveaux marchés, se développer. C’est bien. Mais nous, salariés, comment serons-nous intégrés ? Et Pierre Gattaz qui dit en interview qu’il faut être fou ou inconscient pour garder des emplois en France tellement ça coûte cher ! Quel est le message pour nous ? »
Contacté pour s’exprimer sur ces différents sujets, Pierre Gattaz n’a pas donné suite.

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