Si vous avez une voix de fausset et que vous souhaitez vous lancer en politique, il va falloir travailler dur. Des canons de beauté se sont progressivement imposés, faisant de la transformation de la voix un passage obligé.
- Image extraite de l'affiche du film "Le discours d'un roi" (Wild Bunch Distribution). -
«Au revoir.»
Nous sommes le 19 mai 1981. Défait, Valérie Giscard d’Estaing quitte le champ de la caméra d’un pas solennel, abandonnant une chaise vide pendant que résonne la Marseillaise. D’une voix gutturale plongeant aussi bas que l’était son moral, le président de la République vient d’adresser ses adieux à la France.
Son articulation mise à part, la voix de VGE est loin d’être une exception. Du général de Gaulle à Nicolas Sarkozy en passant par François Mitterrand, Jacques Chirac et Georges Pompidou, tous les présidents de la Ve République ont un baryton léger et assuré. Ailleurs dans le paysage médiatique, la tessiture de certains hommes politiques tire même parfois vers les basses, à l’image de François Fillon ou de François Baroin et de sa voix de crooner.
Des voix trafiquées pour séduire
Avoir un tel organe n’est pas anodin lorsque l’on fait de la politique. Selon des études scientifiques, les personnes s’exprimant d’une voix grave seraient plus enclines à l’infidélité ou disposeraient d’un sperme de moins bonne qualité, mais elles parviendraient néanmoins à rassembler davantage de voix que les autres. D’après une étude publiée le 14 mars dans la revue Proceeding of the Royal Society B, les électeurs tendent en effet à accorder leur vote aux candidats qui disposent de la voix la plus grave, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme.
Pour le prouver, les chercheurs ont modifié les voix d'inconnus disant «Je vous appelle à voter pour moi» pour en faire deux versions, une grave et une plus aigüe. Ils ont ensuite fait écouter les enregistrements aux participants. Dans 60% des cas, ces derniers ont préféré les voix les plus graves.
Si la voix est un atout, émettre des sons de flutiau ne vous condamne pas pour autant à rester cloîtré dans les bas-fonds de la République. Comme tout instrument de musique, une voix se travaille.
En mars dernier, L’Express publiait une vidéo-interview de Jean Sommer, un coach vocal qui aide les hommes politiques —il n’indique pas lesquels— à avoir une meilleure maîtrise de leur voix. Le but de cette préparation: fabriquer une voix posée et plus grave, généralement quelques tons en-dessous de son timbre naturel, afin de profiter au mieux du syndrome Barry White.
Christophe Ramon, ancien chanteur lyrique aujourd’hui devenu psychologue, assure que «ce n’est pas en criant ses arguments que l’on ratisse le plus de voix, c’est en ayant un côté rassurant et paternel. D’où le fait que tout le monde cherche à parler dans le grave en utilisant plutôt l’avant de la gorge».
Chirac et la fracture vocale
Slate.fr lui a demandé d’écouter une sélection d’enregistrements de tous les présidents de la Cinquième République ainsi que des candidats à la présidentielle. Si De Gaulle, Pompidou, VGE et Mitterrand ont tous une tendance à déclamer leur texte, leur timbre lui semble naturel.
D’après le chanteur, Jacques Chirac serait le premier à avoir fait appel à une préparation vocale:
«Ses débuts de phrase commencent toujours dans l’aigu puis il se rappelle qu’il faut finir dans le grave; on a l’impression qu’il est dans le contrôle permanent.»
Et Nicolas Sarkozy?
«Il a la même voix à vingt ans qu’en 1994», détaille Christophe Ramon. «En revanche il est clair qu’aujourd’hui il y a un coach vocal derrière, et un bon coach vocal. Dès qu’il essaie d’aller dans les graves, il y a comme une petite fêlure dans le ton. Ca rajoute un petit côté baroudeur qui a vécu, qui s’est donné du mal, qui s’est fatigué.»
Les changements vocaux dont font preuve nos dirigeants peuvent aussi être le fruit de processus cognitifs liés à leur métier, le fait même d’embrasser une fonction politique ayant un impact sur leur manière de s’exprimer. De la même façon qu’un enfant va avoir tendance à prendre une voix plus haut perchée lorsqu’il s’agit de réclamer quelque chose, un homme politique va parfois inconsciemment abaisser la sienne pour paraître plus rassurant.
Hollande, chanteuse de flamenco
François Hollande (qui fait appel au coach vocal Marc Beacco, comme le révèle ce mercredi Le Parisien) a lui aussi une utilisation particulière de ses cordes vocales, mais davantage en meetings que sur les plateaux. Pas de grande différence en effet entre cette interview du 22 août 1990 et son passage sur le plateau de l’émission Des paroles et des actes, en mars dernier. En fait, c’est surtout face à la foule et derrière un pupitre que la transformation est la plus flagrante:
«Vous avez déjà entendu de vieilles chanteuses de flamenco? Comme lui, elles ont la voix très cassée, ça vous retourne les tripes. Seulement quand je l’entends en meeting, mon oreille de professionnel de la voix a peur pour ses cordes vocales, il les mets en danger. S’il faisait trois meetings par jour pendant une semaine il n’aurait plus de voix.»
Pour le psychologue, pas besoin d’aller chercher bien loin pour trouver les racines de ce changement:
«J’aurais tendance à penser que ça démontre une volonté intellectuelle de paraître ferme. Je pense qu’il essaye de lutter contre l’image de Flamby et de fraise Tagada.»
Il ne suffit pas de hurler ou de rendre sa voix plus grave pour être efficace. L’essentiel de la technique vocale consiste à placer la voix sur un souffle suffisamment solide pour la soutenir. Rien ne sert de forcer, c’est donc avant tout un travail sur les abdominaux qui permet de tenir la distance. A ce jeu là, François Bayrou se débrouille bien. Trop même, au point de «jeter un voile sur sa voix», d’après l’artiste.
Et les autres candidats ?
Dans les prétendants à la fonction présidentielle cette année, personne ou presque n’est exempt de travail vocal. Marine Le Pen abaisse sa voix pour la rendre plus virile, tout comme Nathalie Arthaud et Eva Joly. A l’instar des journalistes de radio ou de télévision, les femmes ont tendance à faire glisser leur voix dans les graves afin qu’elle ressemble davantage à celle des hommes. La faute peut-être à un monde politique dont les codes restent marqués des attributs de la masculinité.
Jean-Luc Mélenchon et Jacques Cheminade, s’ils ne travestissent pas vraiment leur timbre, ont néanmoins tous les deux tendance à le laisser filer occasionnellement vers les aigus. Toutes proportions gardées par rapport à Daniel Cohn-Bendit, leur voix révèle dans ces moments leur enthousiasme, lorsque le verni du discours politique s’écaille.
Enfin, au concours du phrasé le plus «authentique», ce sont les «petits» candidats Nicolas Dupont-Aignan et Philippe Poutou qui l’emportent. Pour Christophe Ramon, tous deux feraient preuve de naturel, en témoigne par exemple le rythme-mitraillette du candidat du NPA lors de son passage devant David Pujadas, mercredi 11 avril. A l'opposé des autres candidats pour qui le travail de la voix fait aujourd'hui partie de la panoplie du professionnel de la politique, et qui tentent de la maîtriser pour mieux attirer celles des électeurs.
Olivier Clairouin
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