vendredi 11 novembre 2011

Se masturber, est-ce bon pour le couple ?

Difficile d’admettre que l’autre puisse jouir sans nous. Pourtant, l’onanisme en solo, longtemps accusé de tous les maux, peut parfois nous mener à l’épanouissement à deux…

L’anecdote est racontée par Sophie, mariée depuis dix ans à Arnaud. Il est 8 heures ce matin-là, et Sophie peste contre son compagnon, qui met un temps fou à se brosser les dents, mobilisant la salle de bains à l’heure de pointe. N’y tenant plus, elle finit par entrer sans frapper et découvre qu’Arnaud… n’est pas exactement en train de se brosser les dents.

« J’ai beau être plutôt ouverte et savoir qu’il lui arrive de se masturber, je l’ai mal pris, d’autant que la veille au soir, il n’avait pas vraiment été un foudre de guerre au lit », se souvient-elle. Et Arnaud, était-il gêné ? « Pas vraiment en réalité, il a mis son geste sur le compte du stress à quelques heures d’une réunion importante, et m’a assuré que ça n’avait rien à voir avec moi. Ce dont j’ai eu la confirmation le soir même, heureusement ! À croire que la situation nous avait mis en condition. »

L’histoire d’Arnaud et Sophie renvoie à cette interrogation : la masturbation, souvent perçue comme une cause de conflit dans le couple, est-elle source d’excitation ou d’inhibition ?

Mise au point préliminaire : il n’y a aucune raison, selon la sexologue et psychanalyste Laura Beltran, de culpabiliser de pratiquer l’onanisme. « La sexualité est plus large que le rapport sexuel dans le couple, elle englobe la masturbation, les rêves érotiques, la sensualité, explique-t-elle. Se masturber ne signifie pas tromper l’autre. »

Un bémol toutefois, nuance le gynécologue et psychosomaticien Sylvain Mimoun, auteur, avec Rica Étienne, de Sexe et Sentiments (2 tomes, « Version homme » et « Version femme », Albin Michel, 2009) : « Lorsque la masturbation devient exclusive, prenant le pas sur les relations sexuelles à deux, il peut être bon de s’interroger. »

C’est une chose que de s’offrir une pause détente dans la salle de bains de temps en temps, c’en est une autre que d’éprouver un besoin compulsif de le faire plusieurs fois par jour, ou de passer toutes ses nuits devant des films porno pendant que son partenaire dort.

« S’il y a dépendance, c’est le signe d’une grande anxiété qui n’a rien à voir avec la simple recherche de plaisir », estime le psychanalyste Bernard-Élie Torgemen, auteur d’Histoires vraies et extraordinaires de l’inconscient (Fayard, 2008). Tout dépend aussi du sens que l’on donne à cette pratique. Est-ce un plus, ou plutôt une manière de combler un manque ?

« Lorsque c’est systématiquement vécu comme une compensation, alors oui, il peut y avoir dysfonctionnement », confirme Laura Beltran.

Une variable d’ajustement


Se sentir lésé parce que l’autre s’est caressé interroge également sur le sens que l’on donne à son couple. « Celui-ci ne signifie pas la fin des rêves et des fantasmes ! défend Bernard-Élie Torgemen. Il est illusoire de croire à une vie sexuelle linéaire durant vingt ans. En période moins faste, la masturbation peut faire office de variable d’ajustement de manière salutaire. »

Et d’ajouter que « tout le monde se masturbe : les nourrissons, les adolescents, les jeunes adultes. Certains, même, avant de rendre leur dernier souffle. Il y a cette croyance selon laquelle cela devrait s’arrêter lorsque l’on est en couple, croyance liée au présupposé social et religieux voulant que la finalité du rapport sexuel soit la seule fécondation ».

Le malentendu ne date pas d’hier. Onan, fils de Juda, qui donna son nom à l’onanisme, fut puni par son Dieu pour avoir laissé sa semence se perdre dans la terre… Le début d’un long chemin de croix pour l’autoérotisme, « péché » accusé tour à tour de rendre sourd, malade ou idiot. Le procès est d’autant plus injuste que, outre le plaisir quasi assuré qu’elle provoque, la masturbation, selon Bernard-Élie Torgemen, permet « de se reconnecter avec soi-même, son corps, son odeur ».

« Moins nocif que des neuroleptiques et terriblement efficace », confirme Bérangère, qui assume très bien, du haut de ses 24 ans, ces instants où cela se passe entre elle et elle, sans que son fiancé soit invité à être de la partie.

La spontanéité de la confidence semble démontrer qu’il est loin le temps où seuls les hommes reconnaissaient leur appétence pour les plaisirs solitaires.

Il suffit d’ailleurs de parcourir sur le web les forums de discussions ou certains blogs de filles évoquant le sujet pour constater que la parole féminine s’est considérablement libérée. Aidées probablement par l’anonymat de la Toile, ces femmes de tous âges, et pour la plupart en couple, ne se font pas prier pour décrire les bienfaits de ces instants « pour elles ».

« Un plaisir différent, mais quasiment garanti, qui laisse libre cours à mes pensées et au lâcher-prise total » pour Céline ; « un palliatif », pour Gawel, lorsqu’elle a une libido plus active que son homme. Aline, mariée depuis vingt ans, « pratique toujours, presque toutes les semaines, avec souvent lui qui dort à côté ». « La plupart du temps, je n’éprouve pas le besoin qu’il se réveille, le fait qu’il soit à côté suffit à m’échauffer, écrit-elle. Mais parfois, l’excitation aidant, je fais en sorte qu’il ouvre un oeil et là, en général, il est très content. »

Surprendre sa femme en train de se caresser à ses côtés est un fantasme nourri par beaucoup d’hommes, note Laura Beltran. Julien, en couple depuis quinze ans, ne désespère pas que cela lui arrive : « Je sais qu’elle le fait, elle ne s’en est jamais cachée. Mais à mon grand regret, elle a toujours été très discrète. Elle doit se douter que je ne la laisserais pas terminer tranquillement si je la surprenais ! »

Un jardin secret… ou pas

À écouter Aline ou Julien, rien de tel donc pour pimenter les ébats que d’y ajouter une pincée d’onanisme.

Attention toutefois, prévient Laura Beltran, à ne pas tomber dans l’incantation. « Beaucoup de femmes qui ne se masturbent pas ont une vie sexuelle très épanouie ! rassure-telle. Cela ne fonctionne que si on en a envie, au même titre finalement que toute pratique sexuelle. »

Utopique, donc, de penser que le fait de se connaître soi-même permettrait de balayer nos inhibitions et de mettre fin à tous nos blocages ? « Ce n’est évidemment pas si simple, nuance la sexologue. Nombreuses sont celles qui par viennent facilement à l’orgasme seules sans pour autant jouir avec leur partenaire. Ce qui est en jeu, c’est le regard de l’autre, la pression qu’il peut faire peser. Lorsque l’on est seule, ce poids disparaît, d’où l’orgasme. »

Faire ses gammes en solo n’est donc pas la garantie de parvenir au plaisir à deux.

En revanche, pour Laura Beltran, cela peut se révéler un outil thérapeutique intéressant en cas de troubles de la sexualité. « Certaines femmes s’autorisent à fantasmer en se caressant, ce qu’elles s’interdisent avec leur conjoint, de peur de le tromper mentalement », analyse ainsi la sexologue.

Identifier les images mentales qui nous mènent à la jouissance peut être un premier pas vers le septième ciel. Nulle obligation, toutefois, d’en parler à l’autre.

« La masturbation comme pratique solitaire peut légitimement faire partie de son jardin secret et ne pas être verbalisée auprès de son conjoint », estime la sexologue.

« Je sais qu’il le fait, je n’ai pour autant pas besoin de connaître les détails et je ne souhaite pas non plus m’étendre sur mes petites séances personnelles. Cela m’appartient », reconnaît Sandrine, 42 ans, en couple depuis dix ans.

« L’injonction actuelle au partage de notre intimité peut conduire à un oubli de soi qui, à terme, n’est pas bon pour la sexualité », rebondit Laura Beltran. Elle prescrirait bien d’ailleurs, si elle le pouvait, des ordonnances d’égoïsme à certains de ses patients.

Un égoïsme qui consisterait par exemple à s’offrir du plaisir en solitaire, pour, une caresse en appelant une autre, parvenir ensuite à le partager.

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