mardi 24 juillet 2012

La pipe, ciment du couple




Il a suffi d’un article de magazine (Elle,  20 juillet 2012), et surtout d’un titre en couverture (la pipe, ciment du couple) pour prendre conscience de l’importance des réactions que pouvait déclencher l’un des derniers tabous du monde occidental libéré : le sexe oral et, en particulier, la fellation.
Il est vrai que le titre était provocateur, ou plutôt « racoleur » en cette période estivale où le sexe est dans toutes les bouches, sur toutes les langues. S’il a provoqué autant de réactions (articles de presse, chroniques, rebonds, Tweets…), ce n’est certainement pas seulement par les opinions entières, tranchées (Aïiiie !), idéologiques ou partisanes qu’il véhiculait, mais par l’objet même du délit (le sexe oral) dont on ne parle jamais.
La bouche et le sexe
Traditionnellement, et dans toutes les cultures, le sexe et la bouche ne devaient jamais se rencontrer, même dans les moments les plus intimes. Cet interdit était vraisemblablement lié à des mesures d’hygiène car dans ces deux extrémités les infections sont généralement fréquentes, la conjonction des orifices facilitant amplement la chose et, chemin faisant, la contamination inter-individuelle.
Notre sexualité occidentale est si librement parlée qu’on en oublie qu’elle est très récente et extra-ordinaire. Il n’est que de relire les témoignages d’anthropologues, le très beau Eros noir de Boris de Rachewiltz (1), pour par exemple découvrir, en milieu africain traditionnel de brousse, que la sexualité orale n’était jamais de mise, la femme ne touchant le sexe de son mari qu’après le coït et pour le laver. Autre lecture que chacun peut reprendre, celle du Kama-sutra, dans lequel à aucun moment fellation ni cunnilingus ne sont mentionnés ou préconisés. Tout au contraire, une note explique en parlant de la fellation qu’il s’agit d’une coutume de certaines populations du nord de l’Inde, qu’il ne faut cependant pas suivre.

Érotisme et maisons closes
La culture de l’oubli était manifeste dans nos sociétés contemporaines qui se démarquent ainsi la tradition. Mais il n’est que de se souvenir des comportements intimes dans le couple à seulement deux ou trois générations. Je peux ici affirmer avec assurance que la quasi-totalité de nos arrière-grands-mères n’ont jamais fait de fellation pour la simple raison… que c’était une pratique de bordel ! Or, qu’allaient chercher nos arrière-grands-pères dans les maisons closes si ce n’est l’excitation qui manquait dans leur couple. Car la sexualité s’accommode très mal de signaux d’amour qui ne sont pas très chauds. En l’absence d’excitation point de sexualité.
Mais Marthe Richard est passée par là et les bordels ont fermé en 1946. Dès lors, la seule solution était d’importer cette excitation au sein du couple, de déniaiser les mâles et les femelles trop attendris et d’érotiser le quotidien, seul moyen vraiment efficace d’entretenir le désir au long cours. C’est ce que nous observons aujourd’hui dans les couples les plus jeunes : la banalisation des pratiques corporelles et oro-génitales qui permettent d’entretenir l’excitation et d’avoir une intimité sexuelle tout au long de la vie, ce qui n’était pas le cas auparavant.

Jugement de valeur
Il ne faut donc pas cracher dans la soupe et jeter le bébé avec l’eau du bain. La fellation comme tout autre pratique érotique est importante pour l’équilibre intime au long cours, il ne faut pas pour autant lancer des anathèmes et des fausses théories. L’article en cause pèche certainement par un manque de pédagogie, notamment en ce qui concerne la position féminine dans la fellation qui ne doit certainement pas être dévalorisante ni dévalorisée. Une règle s’impose en amour :  « ne rien faire qui n’est pas désiré, rien non plus qui puisse gêner l’autre ». La fellation peut, et doit, être un facteur d’excitation pour la sexualité féminine, elle ne doit jamais être seulement pratiquée pour « faire plaisir au partenaire ». Il faut pour cela permettre aux femmes d’être actives pour et par elles-mêmes.

Il n’y a enfin aucun jugement de valeur dans le fait de ne pas pratiquer telle ou telle manœuvre érotique, aucun jugement pseudo-psychanalytique à l’instar de celui qui est avancé dans cet article, comme quoi « les femmes qui ne peuvent envisager le contact de leur bouche avec un pénis souffriraient d’immaturité psychoaffective ! ! ! » Non, elles ne sont pas immatures, elles ont à découvrir le chemin de leur érotisme qui ne sera jamais facilité par des  jugements à l’emporte-pièce comme celui-ci.
1- B. de Rachewiltz, Eros noir. Le Terrain vague, 1993.


88 5 des femmes de 35 39 ans ont fait l experience de la pipe

88,5 % des femmes de 35-39 ans ont fait l'expérience de la pipe

1972 : le film « Gorge profonde », glorifiant la fellation dans sa forme extrême, sort aux États-Unis, provoquant un scandale sans précédent. 2012 : la France élit François Hollande à la tête de la République. Quel rapport, vous demandez-vous ? Aucun, a priori. Sauf que quarante ans après les exploits buccaux de Linda Lovelace dans ledit film culte, la pipe est devenue « normale », à l’image de notre nouvelle présidence. Elle s’est démocratisée, répandue, banalisée. Pour preuve, cette étude de l’Ifop de mars dernier, révélant que 81 % des femmes de gauche auraient déjà pratiqué la fellation (contre 69 % pour les électrices de droite, que l’on sait plus âgées). Au-delà du clin d’œil politique, ce qui frappe, c’est la force des chiffres : autrefois considérée comme une pratique de professionnelles (dans les années 50, seule une femme sur deux avouait s’y être adonnée au moins une fois), la fellation a quitté le domaine de la pornographie et de la prostitution pour s’immiscer dans la vie sexuelle de tout un chacun. Selon la dernière étude sociologique française d’envergure sur la sexualité (1), 88,5 % des femmes de 35-39 ans et 90,5 % des hommes du même âge ont fait l’expérience de la pipe. En ce qui concerne la pratique régulière, on frôle les 70 % chez les 25-34 ans. Bref, aujourd’hui, on suce comme on respire, et les jeunes hommes, biberonnés au cyberporn, considèrent la « plume » comme un dû.
(1) « Enquête sur la sexualité en France. Pratiques, genre et santé », de Nathalie Bajos et Michel Bozon (éd. La Découverte).

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