vendredi 2 novembre 2012

Corruption en Chine: un journalisme capable de changer la face du monde

Le correspondant du New York Times à Shanghai, David Barboza, vient de publier une enquête journalistique fracassante sur la corruption dans les hautes sphères politiques chinoises.

Hu Jintao et Wen Jiabao, le 29 septembre 2012, à Pékin. REUTERS/China Daily - Hu Jintao et Wen Jiabao, le 29 septembre 2012, à Pékin. REUTERS/China Daily -

L’article de David Barboza, qui est à la tête du bureau du New York Times à Shanghai, a fait l’effet d’une bombe. Et il se peut même que vous soyez directement touchés. Le journaliste révèle des faits de corruption imputables à la famille de Wen Jiabao, le Premier ministre chinois.
Dans l’absolu, il ne s’agit là que de trivialité. Pas un jour ne s’écoule sans qu’un scandale de corruption éclate au grand jour, ici ou ailleurs, mettant en cause des responsables politiques et leurs complices du secteur privé.

Dire que la corruption existe en Chine est une lapalissade, mais cet article et ce scandale n’ont rien de trivial.

Comment parler de la corruption?

En général, les articles et reportages abordant ce genre de sujets font beaucoup de bruit. Mais bien souvent, ils s’appuient sur peu d’éléments factuels et n’aboutissent à rien de concret. Les personnes incriminées ne sont pas punies par la justice, ce qui crée une grande frustration au sein de la population et «corrompt», en définitive, la lutte contre la corruption.
Le papier de David Barboza n’entre pas dans cette catégorie. Il relève d’un travail journalistique extrêmement rigoureux et bien étayé, comme j’en ai rarement vu, sur le thème de la corruption au sommet du pouvoir. Ses révélations sont fondées sur des informations corroborées par plusieurs sources, des preuves irréfutables, de complexes analyses financières vérifiées par des comptables indépendants – que l’auteur a spécialement engagés pour assurer l’exactitude de son article. Elles sont aussi le fruit d’un long, ardu et évidemment coûteux travail de journalisme d’investigation.
Il est évident qu’un article publié en dehors du pays concerné n’endiguera pas définitivement la corruption dans l’Empire du milieu. Mais il a tout de même fait prendre conscience aux dirigeants chinois, qui se croyaient jusqu’ici protégés par le régime, que deux choses ne sont plus garanties: l’invisibilité de leurs actes et leur impunité.

Faire du bon journalisme, c’est créer de la valeur

La précieuse enquête de Barboza n’aurait pas pu être l’œuvre d’un blogueur ou d’un groupe de presse qui se contente de «relayer» –autrement dit, de reproduire– sur le Web des informations provenant d’autres sources. Les réseaux sociaux non plus n’auraient guère été capables d’une telle qualité.
La préparation de cet article a requis l’organisation, les ressources financières et les standards professionnels élevés du New York Times. Tout cela est très coûteux, mais c’est ce qui permet de faire du journalisme revêtant à la fois une valeur sociale et une portée mondiale.
L’essor d’Internet et des nouvelles technologies a quelque chose d’imparable; il met pourtant en péril la viabilité financière des grands médias. Et des articles comme celui de David Barboza mettent en exergue l’appauvrissement que connaîtrait l’humanité si des journaux comme le New York Times, capables d’adopter une position indépendante, de produire des contenus objectifs et de grande qualité, venaient à disparaître.

La Grande muraille de Chine fait la potiche

Dans l’antiquité, la Grande muraille n’a pas empêché les Mongols d’envahir la Chine de temps à autre.
Aujourd’hui, c’est la grande cyber-muraille érigée par Pékin pour censurer les informations circulant sur Internet qui se révèle inefficace. Elle n’empêchera pas les Chinois d’accéder aux révélations de corruption parues dans le prestigieux journal américain.
Sans surprise, le gouvernement chinois a fait bloquer le site Internet du New York Times, versions anglaise et chinoise, ainsi que les accès à ces informations via les moteurs de recherche comme Google ou les réseaux sociaux tels que Weibo (l’équivalent chinois de Twitter).
Des milliers de censeurs ont été réquisitionnés pour assurer la surveillance des sites et bloquer la diffusion de ces informations.
Qu’à cela ne tienne, elles sont dans tous les médias du monde, sur les réseaux sociaux et sur la Toile en général. Et aussi dans la bouche d’un certain nombre de Chinois.
Les technologies médiévales, comme celle de la censure, ont du mal à rivaliser avec les technologies de l’information et l’ère de la mondialisation.
Certes, à cause de la censure, des centaines de millions de Chinois ne sauront jamais que la famille de leur Premier ministre a accumulé une fortune de 2,7 milliards de dollars. Mais désormais, plusieurs millions de Chinois sont au courant de cette affaire, ce qui n’arrivait pas auparavant en Chine.

Comment vous pourriez être touché

La Chine traverse une période difficile. Au plan économique, la croissance ralentit. Socialement, les Chinois ont des griefs de plus en plus nombreux et variés, qui les font descendre dans les rues pour manifester leur mécontentement. Le Congrès du Parti communiste chinois (PCC) doit se tenir le 8 novembre, sous la houlette de son nouveau secrétaire général, Xi Jinping.
Ce dernier sera nommé président en mars 2013. La succession au sommet de l’Etat a été marquée par de multiples tensions et luttes entre factions rivales, avec notamment la destitution de Bo Xilai, l’un des cadres les plus influents du PCC.
Les révélations de David Barboza intensifieront ces luttes de pouvoir. Pour l’instant, rien ne semble indiquer que la passation de pouvoir en Chine aura des répercussions graves sur la stabilité politique de ce pays.
Mais si c’était le cas, inévitablement, l’économie chinoise en pâtirait, ce qui entraînerait du même coup une aggravation de la crise européenne. De quoi déstabiliser les nombreux pays tributaires de la bonne santé de la deuxième puissance économique mondiale.
Moisés Naím
Traduit par Micha Cziffra

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