vendredi 22 mars 2013

Bruno Bonnell, droïde de bonhomme

Bruno Bonnell, le 7 mars 2013 à Villeurbanne (Rhône)
Bruno Bonnell, le 7 mars 2013 à Villeurbanne (Rhône) (Sébastien Erome. Signatures)

portrait Toujours pugnace et passionné, le roi déchu du jeu vidéo made in France œuvre désormais à un monde où les robots épauleront les hommes.

Adolescent, il dévorait Asimov et bricolait des moteurs de machines à laver pour créer des golems mécaniques. A 55 ans, il se demande toujours avec K. Dick si les androïdes rêvent de moutons électriques. Du 19 au 21 mars, Bruno Bonnell, organise à Lyon la 3e édition du salon Innorobo : un «défilé de robots» unique en Europe. Il y en aura de toutes sortes. Le petit humanoïde Nao d’Aldebaran Robotics qui raconte des histoires et joue au football ; le chien Genibo du coréen Dasa Robot qui sait rapporter la baballe ; le robot majordome Jazz (Gostaï) ; ou encore le robot aspirateur Roomba (iRobot)…
 
Entouré de son petit peuple cybernétique, Bruno Bonnell sera heureux comme un gosse. Des années qu’il prédit l’avènement de «l’intelligence apportée à la machine». Aujourd’hui, «nous y sommes : les robots sont le corps animé dans lequel va s’incarner la révolution numérique», s’enflamme cet éternel enthousiaste. Boule à zéro sur regard bleu acier et sourire Email diamant, carrure de rugbyman sanglée dans un costume de marque, volubile et charmeur, le gaillard n’a rien perdu de son bagout depuis l’époque où il dirigeait la multinationale du jeu vidéo Atari.
Schtroumpfs. Attablé dans un resto branché du nouveau Villeurbanne à deux pas des bureaux d’Awabot, l’une de ses start-up, Super Bonnell déroule son prêche en attaquant férocement son saucisson en croûte arrosé d’un verre de côtes-du-rhône : «Demain, les robots seront partout dans notre vie quotidienne, ils nous remplaceront pour remplir les tâches ingrates, pénibles ou précises. Ils iront là où l’homme ne va pas : les profondeurs, les déserts, les pôles, l’infiniment petit, l’espace.» Intarissable sur le sujet. Plus qu’un business, «c’est la révolution industrielle du XXIe siècle», assène-t-il. Cette «robolution» - il n’est pas peu fier de son néologisme -, il en a fait un livre paru en 2010. Et la prône sous toutes ses casquettes : PDG de sa société Robopolis, patron du fonds Robolution Capital, président du Syrobo, le syndicat de la robotique grand public.
«Bruno, c’est un hyperactif qui rêve en permanence l’avenir et qui a une incroyable capacité à rebondir. Il est parfois épuisant à suivre», souffle sa fidèle collaboratrice, Cécile Sornay, qui lui emboîte le pas depuis vingt ans. Dans une autre vie, Bruno Bonnell a été champion du jeu vidéo made in France, a ensorcelé investisseurs et médias, connu l’ascension et la chute au royaume de la Bourse, fait fortune et presque tout perdu. Bachelier à 16 ans, cet ingénieur chimiste de formation a une révélation en vendant des ordinateurs Thomson TO7 : demain, l’écran du PC sera le terrain de jeu numéro 1. En 1983, avec Christophe Sapet, il fonde Infogrames, petit éditeur de logiciels ludiques, adapte les Schtroumpfs, Tintin ou Spirou sur PC et consoles. Puis, dans les années 90, fait un carton avec Alone in the Dark. Infogrames rachète coup sur coup Hasbro Interactive et Eden Games, l’éditeur de V-Rally.
Au tournant des années 2000, c’est la bulle et la folie des grandeurs : Infogrames reprend la marque légendaire Atari, emploie 1 500 personnes, pèse 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires et pointe au deuxième rang mondial des éditeurs de jeux ! Las, comme un certain Jean-Marie Messier, Bruno Bonnell a joué et perdu son groupe au casino des fusions-acquisitions : le 5 avril 2007, il est débarqué d’Atari par ses actionnaires américains avec un parachute de 3 millions d’euros. Game over. «Il a eu raison trop tôt, vendu du rêve, vu trop grand trop vite», estime l’un de ses anciens collaborateurs.
«Avoir été viré de mon groupe, c’est la meilleure chose qui me soit arrivée, comme à Steve Jobs», rigole Bonnell. Il voyage. De Corée, il revient convaincu du tournant robotique. A la même époque, il apprend aussi une terrible nouvelle : son fils Balthazar est atteint d’une maladie dégénérative incurable qui s’attaque au cerveau. Une saloperie au nom imprononçable : la leucodystrophie. Bruno Bonnell et sa compagne Chrystelle font le tour des spécialistes. Aucun espoir. «Balthazar m’a fait comprendre le sens de la vie. Il tient en un mot : amour.» A la fin, le petit garçon devra être assisté par des machines pour respirer, s’alimenter, survivre. Bruno Bonnell y voit quelque part un signe et rêve d’autant plus «d’un monde où les robots aideront les malades, les handicapés, les personnes âgées». Le petit garçon est mort à 6 ans en novembre 2011. Son père aurait pu s’effondrer de douleur. Il s’est mis à marcher droit devant «pour ne pas tomber» : tous les week-ends, trois heures de marche nordique.
Petits pains. Pendant toute la maladie de son fils, Bruno Bonnell déploie la même énergie pour construire un petit empire robotique. En 2004, il avait racheté Robopolis, humble magasin spécialisé situé boulevard Beaumarchais à Paris. Il va en faire le premier distributeur français de robots grand public en décrochant la commercialisation exclusive de Roomba auprès du fabricant américain iRobot. En 2006, l’entreprise en écoule seulement 1 000. Cinq ans plus tard, le robot aspirateur se vend comme des petits pains chez Darty et à la Fnac : 150 000 exemplaires rien qu’en 2011. Et Robopolis, qui a racheté ses homologues espagnols, allemands et belges, a vu son chiffre d’affaires s’envoler : 4,5 millions d’euros en 2008, 25 millions en 2010, 50 millions en 2011. «Nous passerons le cap des 100 millions cette année», promet-il.
Au dessert, Bruno Bonnell esquisse sa vision de l’avenir de la robotique : «Imaginez nos smartphones comme de petits robots compagnons : ils se parleront pendant que nous parlons, enregistreront nos conversations, croiseront leurs agendas, échangeront des applications, ils feront leur vie quoi…» On sait à quoi rêve l’homme qui aimait les robots.
Photo Sébastien Érome. Signatures.
CV: Bruno Bonnell est né à Alger en 1958.Sa famille déménage en 1966 à Lyon où il suit une formation d’ingénieur chimiste, suivie d’une maîtrise d’économie à Paris. En 1983, il crée   Infogrames, éditeur de jeux vidéo puis, en 1995, Infonie, fournisseur d’accès à Internet. Aujourd’hui, il est PDG de la société Robopolis.

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