vendredi 15 mars 2013

Constructions de l’humain



La première séance du séminaire Constructions de l’humain organisé par Julia Kristeva et Jean-Michel Hirt a eu lieu le samedi 12 janvier. Elle a donné lieu à une intervention sur Psychanalyse et liberté par Julia Kristeva, suivie d’une intervention sur l’état des lieux par Jean-Michel Hirt. Ces deux conférences peuvent être réécoutées sur le blog de Julia Kristeva.

Les interventions comme les débats ont porté sur les racines psychiques de l’humanisme incarné. Longtemps les psychanalystes ont ignoré le droit, alors qu’il s’agit d’un discours qui a prise sur les corps de tous ses sujets. Or des notions comme la paternité, l’altérité et la dignité appartiennent à la fois à la langue juridique et psychanalytique. Par là, elles se signalent comme relevant à la fois du psychique et du culturel. Elles témoignent ainsi de l’interaction constante entre ces deux dimensions de l’humain.

Pour la psychanalyse, la paternité repose sur la résolution du complexe d’Oedipe, l’altérité sur la différence des sexes. Mais pour cette dernière notion, la dignité, qui a pris une telle importance dans le droit, depuis la Shoah et le procès de Nuremberg jusqu’à son inscription dans la déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948, son avènement trouve sa légitimité dans ce à quoi elle s’oppose, à savoir la toute-puissance narcissique du sujet de droit.

Aujourd’hui, lors des procès que doit traiter la Cour Européenne des Droits de l’Homme, constamment au nom de l’autonomie personnelle, autre catégorie juridique promue à une importance certaine, la dignité humaine est interrogée ou mise en cause par les bouleversements dans la filiation, la différence et les pratiques sexuelles autorisées par les avancées scientifiques actuelles. Ces dernières ont le mérite de désigner ce qui est en jeu : disposer de sa vie et de son corps pour obtenir un maximum de satisfactions liées aux fantasmes des sujets. La notion d’autonomie personnelle a donc conduit à faire place à ce qui était le plus étranger au droit, voire le plus antinomique, à faire place au désir.  


Dans une économie capitaliste où sont consommées les noces du marché avec la science, le droit à la jouissance est à l’ordre du jour. L’autonomie personnelle en viendrait à signifier l’autonomie de jouissance, mais celle-ci ne saurait avoir de limite sauf à lui opposer la dignité humaine. Si la dignité est battue en brèche, tout l’édifice symbolique de l’humain est menacé de disparition, l’altérité ne signifie plus rien, la paternité non plus, comme en leur temps l’ont prouvé les exactions des états démoniaques et totalitaires. En effet, ces notions ne sont pas seulement d’ordre moral, mais relèvent de la psychisation ou des progrès de la spiritualité auquel, à partir de sa réalité psychique, l’homme parvient en renonçant au meurtre, au sexe unique, à la démesure, afin d’accéder à la reconnaissance de l’autre dans sa singularité et son étrangeté. 

Pour que le droit  puisse soutenir ces conquêtes culturelles que sont la paternité, l’altérité et la dignité, qu’elles ne soient pas seulement des énoncés théoriques, il ne peut se contenter de faire référence à la liberté des sujets et à la notion de libre contrat entre les parties, soit éventuellement entre la victime et son bourreau.  Il est nécessaire qu’il prenne en compte la sauvagerie pulsionnelle inscrite dans la vie psychique de chacun, comme le marquis de Sade en a témoigné par son œuvre indépassable ; il faut qu’il s’appuie sur la connaissance des pulsions, telle que Freud l’a élaborée dans sa métapsychologie.


Jean-Michel Hirt

Psychanalyste
Jean-Michel Hirt est psychanalyste. Il est aussi auteur de L'insolence de l'amour - fictions de la vie sexuelle (Albin Michel 2007), Le voyageur nocturne - Pour une lecture infinie du Coran (Bayard Culture, 2010) et Rester amoureux et cultiver le désir (Hachette pratique, 2010) écrit en collaboration avec Flavia Mazelin-Salvi.




Philosophe et psychanalyste française
Philosophie contemporaine
Description de cette image, également commentée ci-après
Julia Kristeva en 2008
Naissance 24 juin 1941 à Sliven (Bulgarie)
École/tradition structuralisme, féminisme
Principaux intérêts linguistique, littérature,
psychanalyse, érotisme,
philosophie, politique
Idées remarquables intertextualité, abjection, reliance maternelle
Œuvres principales Semeiotikê ; La Révolution du langage poétique ; Le Génie féminin (3 t.), Thérèse mon amour
Influencé par Mikhaïl Bakhtine, Jacques Lacan, Simone de Beauvoir, Roland Barthes, Émile Benveniste
A influencé Judith Butler


Julia Kristeva (en bulgare Юлия Кръстева), née le 24 juin 1941 à Sliven (Bulgarie), est philosophe, psychanalyste, féministe, et écrivain française d'origine bulgare et professeur émérite de l'université Paris VII - Diderot.


Biographie

Julia Kristeva s’installe en France en 1964. Elle participe à la revue d'avant-garde Tel Quel fondée par Philippe Sollers et collabore dans ce groupe avec Michel Foucault, Roland Barthes, Jacques Derrida, Jean-Louis Baudry, Jean-Pierre Faye, Marcelin Pleynet, Jean Ricardou, Jacqueline Risset, Denis Roche, Umberto Eco, Pierre Rottenberg, Jean Thibaudeau et Philippe Sollers. Elle rencontre ce dernier en 1966 et deviendra son épouse1.
Dans ce contexte, Kristeva invente, en 1967, la notion d'intertextualité [réf. souhaitée].
En 1979, après avoir suivi des séminaires de Jacques Lacan, elle devient psychanalyste. Progressivement, elle devient théoricienne du langage, elle établit une relation entre la sémiologie et l’analyse psychologique [réf. souhaitée].
Julia Kristeva a publié plus d’une trentaine d’ouvrages et récemment, elle s’est particulièrement intéressée aux femmes écrivains et aux intellectuelles. Son œuvre a une grande influence sur le féminisme international contemporain[réf. nécessaire].

Activités universitaires

Julia Kristeva enseigne la sémiologie à l'université d'État de New York et à l'université Paris VII - Diderot. Elle est membre de l'Institut universitaire de France.
Elle a créé aussi le centre Roland Barthes, dont les activités sont destinées aux doctorants et aux enseignants chercheurs qui interrogent les textes littéraires dans une perspective interdisciplinaire.

Autres activités

Julia Kristeva fait partie, depuis plusieurs années, du Conseil National Handicap, qui a pour but de sensibiliser, former et informer la population sur les différents handicaps et leurs prises en charge2.
En 2008, elle a créé à l’occasion du 100e anniversaire de la naissance de Simone de Beauvoir, le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes, récompensant l’œuvre et l’action exceptionnelles de femmes et d’hommes qui, dans l’esprit de Simone de Beauvoir, contribuent à promouvoir la liberté des femmes dans le monde.
Julia Kristeva est invitée par le pape Benoît XVI à la Journée de réflexion, de dialogue et de prière pour la paix et la justice dans le monde, à Assise, le 27 octobre 2011, où, selon la volonté du pape, pour la première fois des non-croyants ont aussi leur place dans ce rassemblement3.

Prix et distinctions

Julia Kristeva est docteur Honoris Causa dans de nombreuses universités (comme la New School University de New York, en 2003, l'université de Bayreuth en 2000, ou l'université Harvard de Cambridge, Massachusetts, en 1999) et membre de la British Academy de Londres depuis juillet 2002.
Depuis 2009, elle est membre du jury du prix de la BnF.

Prix

  • 2004 : prix Holberg4,5, pour « ses travaux novateurs consacrés à des problématiques qui se situent au croisement entre langage, culture et littérature. »
  • décembre 2006 : prix Hannah Arendt6 pour la pensée politique, dont elle a fait officiellement don à l´ONG HumaniTerra.

Décorations

Travaux

La pensée de Julia Kristeva se place dans le sillage du structuralisme.
Dans La Révolution du langage poétique (1974), elle présente la théorie selon laquelle le processus producteur de sens dans le langage est composé de deux éléments concourants, le symbolique et le sémiotique. Ce travail d’avant-garde relie également le langage au corps vivant. Dans sa trilogie Pouvoirs de l’horreur (1980), Histoires d’amour (1983) et Soleil noir (1987), elle développe des théories originales sur l'abjection, l'amour et la dépression. Dans Étrangers à nous-mêmes (1988), son approche psychanalytique contribue à une nouvelle compréhension de la migration, de l'exil et de l'altérité.
Dans Les Nouvelles Maladies de l’Âme, publié en 1993, Kristeva explique comment les images médiatiques, qui aplanissent les différences et les émotions, produisent également une uniformisation de l’âme ou de la psyché. Elle affirme que
« pressés par le stress, impatients de gagner et de dépenser, de jouir et de mourir, les hommes et les femmes d’aujourd’hui font l’économie de cette représentation de leur expérience qu’on appelle une vie psychique… L’homme moderne est en train de perdre son âme. Mais il ne le sait pas, car c’est précisément l'appareil psychique qui enregistre les représentations et leurs valeurs signifiantes pour le sujet. »
L'espace psychique, cette chambre obscure de notre identité où se réfléchissent à la fois le mal de vivre, la joie, et la liberté de l'homme occidental, est-il en train de disparaître ? L'étude de Kristeva pose cette question alarmante qui révèle non seulement une urgence thérapeutique, mais aussi un problème de civilisation. Kristeva poursuit ce questionnement dans Sens et non sens de la révolte, publié en 1996, où dans un discours sur les pouvoirs et les limites de la psychanalyse, elle se demande si face à la culture « show » ou « entertainment » il est possible de bâtir et d'aimer une culture-révolte ? C'est-à-dire ni une nouvelle version de l'engagement, ni une promesse paradisiaque, mais, au sens étymologique et proustien de la révolte : dévoilement, retournement, déplacement, reconstruction du passé, de la mémoire et du sens.
Elle est l'auteur d'une trilogie publiée entre 1999 et 2002, intitulée Le Génie féminin et consacrée à Hannah Arendt, Mélanie Klein et Colette, où elle se dissocie du « féminisme massificateur » et insiste sur l'irréductible singularité de chaque sujet.
En 2004, elle publie Meurtre à Byzance, un polar historique et métaphysique, où à travers une sombre histoire de meurtres en série, et à travers un cheminement sur les traces d'Anne Comnène, princesse byzantine et historienne, Julia Kristeva aborde le sujet de l'immigration, du déracinement et de la perte d'identité dans un voyage vers l'innommable.
Thérèse mon amour paraît en 2008. Entre roman et traité, il s'agit d'un récit de la vie de Thérèse d'Avila avec de multiples échos entre ce que Thérèse a vécu au XVIe siècle et le surgissement du continent religieux aujourd’hui, qui font renaître au présent l'énigme de l'expérience intérieure de la sainte.

Hommage

Roland Barthes écrit dans L'Étrangère  :
Julia Kristeva change la place des choses: elle détruit toujours le dernier préjugé, celui dont on croyait pouvoir se rassurer et s’enorgueillir ; ce qu’elle déplace, c’est le déjà-dit, c’est-à-dire l’insistance du signifié, c’est-à-dire la bêtise; ce qu’elle subvertit, c’est l’autorité, celle de la science monologique, de la filiation. Son travail est entièrement neuf, exact, non par puritanisme scientifique, mais parce qu’il prend toute la place du lieu qu’il occupe, l’emplit exactement, obligeant quiconque s’en exclut à se découvrir en position de résistance ou de censure9. »

Critiques

Parmi ses critiques, les professeurs de physique Alan Sokal et Jean Bricmont, dans un livre polémique, Impostures intellectuelles, dénoncent, en se basant sur trois articles de Kristeva, une utilisation de termes techniques mathématiques ou physiques, qui seraient destinés, selon eux, à impressionner un lecteur qui ne possède pas les connaissances permettant de juger du bien fondé de l'utilisation de ces termes10. D'après ces auteurs, Julia Kristeva ne maîtrise pas les termes mathématiques et physiques qu'elle emploie dans les articles incriminés.
Elle est aussi critiquée par Judith Butler pour ses théories sur le désir homosexuel, et à ce sujet Elizabeth Grosz (en) déplore qu'« une catégorie d'amour soit absente des Histoires d'amour, l'amour d'une femme pour la femme. »


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