dimanche 10 novembre 2013

C'est Phénoméno Logique !

Le terme phénoménologie peut faire référence à :
On distingue également :

La phénoménologie (du grec : phainómenon, ce qui apparaît ; et lógos, étude) est un courant philosophique qui se concentre sur l'étude des phénomènes, de l’expérience vécue et des contenus de conscience. Edmund Husserl est considéré comme le fondateur de ce courant, dans sa volonté de systématiser l'étude et l'analyse des structures des faits de conscience1.
Fondée au début du XXe siècle par Edmund Husserl, la phénoménologie s'étend au sein d'un cercle de disciples dans les universités de Göttingen et Munich en Allemagne (Edith Stein, Roman Ingarden, Martin Heidegger, Eugen Fink, Max Scheler, Nicolai Hartmann), et se propage rapidement à l'étranger, en particulier en France (grâce aux traductions et travaux de Paul Ricœur, d'Emmanuel Levinas, de Jean-Paul Sartre, de Maurice Merleau-Ponty) et aux États-Unis (Alfred Schütz et Eric Voegelin), souvent avec une très large prise de distance critique par rapport aux premiers travaux de Husserl, mais sans jamais que soit abandonnée sa volonté fondamentale de s'en tenir à l'expérience vécue.

L'inventeur présumé de l'expression est Jean-Henri Lambert, qui la traduit en « doctrine de l'apparence »2.


C'est le contexte qui détermine si l'on parle de la phénoménologie au sens fichtéen, hégélien ou husserlien, même si en général, le terme de phénoménologie, pris isolément, désigne la philosophie et la méthode de Husserl ou de ses héritiers.


Une section de la Critique de la raison pure de Kant devait s'appeler Phénoménologie ; mais Kant remplaça finalement ce nom par celui d'Esthétique transcendantale. Kant y opère la séparation entre la chose en soi et le phénomène, ce dernier étant donné dans le cadre transcendantal de l'espace, du temps et de la causalité :
« Il semble qu'une science toute particulière, quoique simplement négative (phaenomenologia generalis) doive précéder la métaphysique ; les principes de la sensibilité s'y verront fixer leur validité et leurs bornes, afin qu'ils n'embrouillent pas les jugements portant sur les objets de la raison pure, comme cela s'est presque toujours produit jusqu'à présent3. »


La phénoménologie est un concept central de la philosophie de Johann Gottlieb Fichte. Elle désigne la partie de la doctrine de la science qui développe la phénoménalisation (apparition, extériorisation) du fondement et du principe du savoir. Il ne peut y avoir de savoir absolu (qui n'est pas un savoir d'un objet mais de ce qui fait qu'un savoir est effectivement un savoir) que phénoménalisé. Aussi oppose-t-il, dès La Doctrine de la Science de 1804, à la doctrine de l'être et de la vérité la doctrine du phénomène ou phénoménologie. À la fin de sa vie, Fichte identifie même la phénoménologie à la doctrine de la science, parce que sans elle, le « savoir absolu » n'aurait pas d'existence.



L’étude ou science de la conscience est la phénoménologie de l’esprit. Elle étudie la manifestation phénoménale d’un sujet en tant qu’il se rapporte à un objet, i. e. en tant que conscience. Contrairement à la psychologie, qui étudie le rapport interne de l'esprit à lui-même, la phénoménologie renvoie la conscience à l'objet qui la détermine. La phénoménologie est donc la « science de l’expérience de la conscience ». Georg Wilhelm Friedrich Hegel décrit l’évolution dialectique de la conscience par le jeu des négations successives au cours de l'histoire, mais tout en ayant en vue l'idée que cette description a également une valeur génétique. Il s'agit donc, en faisant la phénoménologie de l'esprit, d'analyser les étapes par lesquelles, partant de la connaissance sensible, la conscience devient conscience de soi, Raison, et s'élève jusqu'au savoir absolu.
« Dans ma Phénoménologie de l'Esprit, qui forme la première partie du système de la connaissance, j'ai pris l'Esprit à sa plus simple apparition ; je suis parti de la conscience immédiate afin de développer son mouvement dialectique jusqu'au point où commence la connaissance philosophique, dont la nécessité se trouve démontrée par ce mouvement même4. »

Si pour Arthur Schopenhauer, le monde est notre représentation (c'est-à-dire que être et être une représentation, pour le sujet, c'est tout un), il s'agit toujours pour lui de chercher plus profond que cette évidence première : comment connaître ce que le monde peut être dans son être en soi ? Il s'agit pour lui de rechercher l’essence du phénomène à partir d'une étude descriptive préalable du donné phénoménal et en particulier, de la manière dont se donne à moi mon propre corps comme "volonté" :
« La Volonté, seule, lui [sc. à l'homme] donne la clef de sa propre existence phénoménale, lui en découvre la signification, lui montre la force intérieure qui fait son être, ses actions, son mouvement. Le sujet de la connaissance, par son identité avec le corps, devient un individu ; dès lors, ce corps lui est donné de deux façons toutes différentes : d'une part comme représentation dans la connaissance phénoménale, comme objet parmi d'autres objets et comme soumis à leur loi ; et d'autre part, en même temps, comme ce principe immédiatement connu de chacun, que désigne le mot Volonté5. »


Le philosophe et psychologue Franz Brentano, professeur de Sigmund Freud et d'Edmund Husserl est considéré comme le précurseur de la phénoménologie, notamment dans son cours sur l'intentionnalité chez Thomas d'Aquin, que l'on retrouve ensuite chez Husserl :
« Un trait distinctif des vécus qu'on peut tenir véritablement pour le thème central de la phénoménologie orientée « objectivement » : l'intentionnalité. Cette caractéristique éidétique concerne la sphère des vécus en général, dans la mesure où tous les vécus participent en quelque manière à l'intentionnalité, quoique nous ne puissions dire de tout vécu qu'il a une intentionnalité. C'est l'intentionnalité qui caractérise la conscience au sens fort et qui autorise en même temps de traiter tout le flux du vécu comme un flux de conscience et comme l'unité d'une conscience.6 »
Le premier pas de la phénoménologie, c'est donc l'intention, ou la reprise détournée, du concept d'intentionnalité, que Husserl emprunte à son maître Franz Brentano : son principe en est simple, toute conscience doit être conçue comme conscience de quelque chose.
« On ne trouve dans la donnée immédiate [de la conscience] rien de ce qui, dans la psychologie traditionnelle, entre en jeu, comme si cela allait de soi, à savoir : des data-de-couleur, des data-de-son et autres data de sensation ; des data-de-sentiment, des data-de-volonté, etc. Mais on trouve ce que trouvait déjà René Descartes, le cogito, l'intentionalité, dans les formes familières qui ont reçu, comme tout le réel du monde ambiant, l'empreinte de la langue : le « je vois un arbre, qui est vert ; j'entends le bruissement de ses feuilles, je sens le parfum de ses fleurs, etc. » ; ou bien « je me souviens de l'époque où j'allais à l'école », « je suis inquiet de la maladie de mon ami », etc. Nous ne trouvons là, en fait de conscience, qu'une conscience de...7 »
En conséquence, la phénoménologie prend pour point de départ la description des vécus de conscience afin d'étudier la constitution essentielle des expériences ainsi que l'essence de ce vécu. L'intuition fondamentale de Husserl, de ce point de vue, a consisté à dégager ce qu'il appelle l’a priori universel de corrélation, et qui désigne le fait que le phénomène tel qu'il se manifeste est constitué par le sujet, c'est-à-dire que le monde est « corrélé à ses modes subjectifs » :
« Jamais avant la première percée de la phénoménologie transcendantale dans les Recherches logiques, la corrélation du monde et de ses modes subjectifs de donnée n'avait provoqué le thaumazein [émerveillement] philosophique, bien qu'il se soit déjà fait sentir dans la philosophie pré-socratique (...). Jamais cette corrélation n'a éveillé un intérêt philosophique propre, qui eût fait d'elle le thème d'une scientificité propre. On restait englué dans cette évidence, que chaque chose a chaque fois pour chaque homme une apparence différente8. »
En ce sens, on peut donc bien dire que la phénoménologie est une science des phénomènes, mais à condition d'y entendre qu'elle a une vocation descriptive des vécus (de l'expérience subjective). Pour autant, l'activité constitutive du sujet de la corrélation ne doit pas faire croire que la phénoménologie serait un pur subjectivisme. Comme le dit Merleau-Ponty, « le réel est un tissu solide, il n'attend pas nos jugements pour s'annexer les phénomènes », et en conséquence, « la perception n'est pas une science du monde, ce n'est même pas un acte, une prise de position délibérée, elle est le fond sur lequel tous les actes se détachent et elle est présupposée par eux »9
La phénoménologie husserlienne se veut également une science philosophique, c'est-à-dire universelle. De ce point de vue, elle est une science apriorique, ou éidétique, à savoir une science qui énonce des lois dont les objets sont des « essences immanentes ».
« La phénoménologie pure ou transcendantale ne sera pas érigée en science portant sur des faits, mais portant sur des essences (en science « éidétique ») ; une telle science vise à établir uniquement des « connaissances d'essence » et nullement des faits10. »
Ce caractère apriorique oppose la phénoménologie transcendantale de Husserl à la psychologie descriptive de son maître Franz Brentano, qui en fut néanmoins, à d'autres égards, un précurseur.
« Le moment est venu de déterminer l'essence qu'a en vue la distinction faite par Brentano entre les diverses classes de vécus, à savoir l'essence correspondante au concept de conscience, au sens d'acte psychique11. »


La phénoménologie de Edmund Husserl se définit d'abord comme une science transcendantale qui veut mettre au jour les structures universelles de l'objectivité. Elle propose une appréhension nouvelle du monde, complètement dépouillée des conceptions naturalistes. D'où ce leitmotiv des phénoménologues qu'est le retour aux choses mêmes. Les phénoménologues illustrent ainsi leur désir d'appréhender les phénomènes dans leur plus simple expression et de remonter au fondement de la relation intentionnelle.
Le projet de la phénoménologie fut d'abord de refonder la science en remontant au fondement de ce qu'elle considère comme acquis et en mettant au jour le processus de sédimentation des vérités qui peuvent être considérées comme éternelles. Husserl espère ainsi échapper à la crise des sciences qui caractérise le XXe siècle.

Sa philosophie fut ensuite développée, et en des sens souvent infléchis, par des penseurs aussi divers que Maurice Merleau-Ponty, Max Scheler, Hannah Arendt, Gaston Bachelard, Dietrich von Hildebrand, Jan Patočka, Jean-Toussaint Desanti et Emmanuel Levinas.
Un disciple-dissident en particulier doit être isolé parmi les successeurs de Husserl, c'est Martin Heidegger. Hans-Georg Gadamer rapporte que Husserl disait que, au moins dans la période de l'entre-deux-guerres, « la phénoménologie, c'est Heidegger et moi-même. »12 Dans une célèbre lettre à Husserl, Heidegger a bien mis en évidence le lieu qui le séparait de son maître :
« Nous sommes d'accord sur le point suivant que l'étant, au sens de ce que vous nommez "monde" ne saurait être éclairé dans sa constitution transcendantale par retour à un étant du même mode d'être. Mais cela ne signifie pas que ce qui constitue le lieu du transcendantal n'est absolument rien d'étant - au contraire le problème qui se pose immédiatement est de savoir quel est le mode d'être de l'étant dans lequel le "monde" se constitue. Tel est le problème central de Sein und Zeit - à savoir une ontologie fondamentale du Dasein. »13
Autrement dit, l'enquête phénoménologique, pour Heidegger, ne doit pas tant porter sur les vécus de conscience, que sur l'être pour qui on peut parler de tels vécus, et qui est par là capable de phénoménalisation, à savoir le Dasein, c'est-à-dire, l'existant.
Le conflit phénoménologique entre Husserl et Heidegger a influencé le développement d'une phénoménologie existentielle et de l'existentialisme : en France, avec les travaux de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir ; en Allemagne avec la phénoménologie de Munich (Johannes Daubert, Adolf Reinach) et Alfred Schütz ; en Allemagne et aux États-Unis avec la phénoménologie herméneutique de Hans-Georg Gadamer et de Paul Ricœur.
Plus généralement, la phénoménologie, conçue comme méthode d'appréhension des phénomènes, peut aussi être axée autour d'un concept, jugé par les philosophes qui le rattachent au terme de phénoménologie (ce sont les phénoménologie de) comme exprimant la légalité de l'apparaître, le but de la phénoménologie ou encore plus simplement son objet d'étude privilégié :

L'intentionnalité (on trouve parfois aussi « intentionalité ») est un concept majeur de la philosophie de l'esprit du XXe siècle. Issu d'Aristote et de la philosophie médiévale, il est remis au centre des réflexions par Franz Brentano dans ses cours à Vienne à la fin du XIXe siècle. Dans l'acception contemporaine du mot, est intentionnel ce qui est « à propos de quelque chose », « contient quelque chose à titre d'objet », « a un objet immanent ». Les croyances sont un exemple typique d'états mentaux intentionnels. Elles sont nécessairement à propos de quelque chose. Certains philosophes, comme les phénoménologues, ont fait de l'intentionnalité une caractéristique centrale de la conscience, affirmation qui est controversée.

Conceptions médiévales

Le concept d'intentionnalité remonte aux scolastiques, notamment à partir des commentaires du De Anima d'Aristote. Alain de Libera1 relève les différents sens du terme :
"Intention (latin intentio). a) Sens psychologique : au XIIe siècle, traduction de l'arabe (ma'qûl, ma'nâ), pensée, concept, idée, signification. Traduit aussi le grec logos, au sens de forme (comme dans l'expression l'"intention d'une chose", intentio rei) et de formule (comme dans l'expression : "l'intention d'homme est "animal-raisonnable-mortel-bipède) ; b) en optique : "idole" [image] émise par un objet affectant l'appareil perceptif ; c) chez Avicenne : représentation d'origine non sensible (par ex. la saisie d'un danger), formée dans les sens internes, associée à une perception sensible (par ex. la vision d'un loup)...
Thomas d'Aquin héritera de cette polysémie et fera de l'intentio, dans le domaine intellectuel, la notion de la chose telle qu'elle est connue et appréciée par l'intellect2. Duns Scot est un bon témoin de cette diversité, qu'il s'efforce de réduire à quatre acceptions principales. a) l' intentio comme actus voluntatis (acte de volonté), acception éthique d' intentio, la première historiquement attestée, qui rejoint le sens courant de l'intention volontaire ; 2) l'intentio comme forme (la forme aristotélicienne, entendue à la fois comme forme et comme définition réalisée dans les choses extra-mentales) ; 3) l' intentio comme concept ; 4) l' intentio comme ratio tendendi in objectum (au sens de ce qui fait office de principe formel dans l'acte de visée par lequel une puissance cognitive s'oriente vers son objet)."

La reprise de Franz Brentano

Au début du XXe siècle, un philosophe et psychologue autrichien, dominicain et commentateur d'Aristote, Franz Brentano, remet le concept d'intentionnalité au centre de la pensée philosophique. Selon lui, l'intentionnalité est le critère permettant de distinguer les « faits » psychiques des « faits » physiques : tout fait psychique est intentionnel, c'est-à-dire qu'il contient quelque chose à titre d'objet, bien que ce soit toujours d'une manière différente (croyance, jugement, perception, conscience, désir, haine, etc.).
"Ce qui caractérise tout phénomène mental, c'est ce que les scolastiques du Moyen Âge nommaient l'in-existence intentionnelle (ou encore mentale) d'un objet, et que nous décrivons plutôt, bien que de telles expressions ne soient pas dépourvues d'ambiguïtés, comme la relation à un contenu ou la direction vers un objet (sans qu'il faille entendre par là une réalité), ou encore une objectivité immanente."3

L'intentionnalité en phénoménologie

Le concept d'intentionnalité est repris par Edmund Husserl, un élève de Franz Brentano, qui s'émancipe de ce dernier et fonde une nouvelle discipline : la phénoménologie. L'intentionnalité a toujours gardé un rôle central dans l'élaboration de la phénoménologie.(voir Heidegger et Être et Temps )
"Le concept d'intentionnalité, pris comme nous l'avons fait dans son ampleur indéterminée, est un concept de départ et de base absolument indispensable au début de la phénoménologie."4
Il restera le concept clé de la phénoménologie et de l'existentialisme au long du XXe siècle. Jean-Paul Sartre par exemple, s'inspire largement de ce concept, qu'il considère comme étant "l'idée fondamentale de la phénoménologie", comme "éclatement au monde"5.
Par la suite, il est également repris pour être analysé et critiqué par la philosophie de l'esprit analytique et plutôt anglo-saxonne (Searle notamment), dont le projet principal est de « naturaliser » l'intentionnalité, c'est-à-dire d'en rendre compte en termes non intentionnels.

Intentionnalité et intensionnalité

Dans cette démarche, les philosophes analytiques ont essayé de rapprocher l'intentionnalité du concept linguistique d'intensionnalité (avec un S), qui est une caractéristique de certaines propositions : les propositions intensionnelles (par opposition aux propositions extensionnelles) ne satisfont pas certaines règles de substituabilité extensionnelle. Ainsi, « Pierre croit que la Corse est au sud de la France » n'est pas équivalent à « Pierre croit que l'île de Beauté est au sud de la France » si Pierre ignore que l'île de Beauté est la Corse.
Toutefois, ce rapprochement a été critiqué, notamment par Searle. En effet, l'intensionnalité est un critère linguistique qui concerne des propositions, c'est-à-dire une façon d'exprimer les choses, alors que l'intentionnalité caractérise des phénomènes. Un état intentionnel peut être exprimé extensionnellement, et un état extensionnel peut être exprimé intentionnellement (exemple : dans « 9 est nécessairement supérieur à 5 », on ne peut remplacer « 9 » par « le nombre des planètes du système solaire » ; c'est donc une proposition intensionnelle qui ne concerne pas un fait intentionnel).

L'intentionnalité, critère du mental ?

Par ailleurs l'usage de l'intentionnalité comme critère du mental affirmée par Brentano a été abondamment critiquée : il y a des faits physiques qui sont intentionnels (un tableau, une photo, un texte) et des faits psychiques non intentionnels (un sentiment d'exaltation, d'angoisse, plus généralement l'ensemble des qualia). Ainsi l'intentionnalité ne serait une condition ni nécessaire ni suffisante de l'activité mentale ou de la conscience, bien qu'elle y occupe une place importante.




Alfred Schütz est un philosophe des sciences sociales, porteur d'une approche phénoménologique, et un sociologue, né à Vienne le 13 avril 1899 et mort le 20 mai 1959 à New York.
Il est considéré comme le fondateur de l’idée d’une sociologie phénoménologique. Il a été influencé par la sociologie compréhensive de Max Weber, par les thèses sur le choix et sur la temporalité d’Henri Bergson et, surtout, par la phénoménologie d’Edmund Husserl. Après son émigration aux États-Unis, l’influence du pragmatisme américain et du positivisme logique concourent à consolider son souci d’empiricité, qui a chez lui la forme d’une attention au monde concret, au monde vécu (au Lebenswelt).

Biographie

Né à Vienne le 13 avril 1899 au sein d’une famille juive, Alfred Schütz fait des études en droit, économie et sociologie à l’Université de Vienne, à la suite de quoi il obtient en 1921 un doctorat en philosophie du droit sous la direction de Hans Kelsen. Il travaille ensuite comme avocat d’affaires et obtient en 1927 (ou 1926, selon les sources) un poste de secrétaire exécutif à la Reitler and Company de Vienne, une firme bancaire privée ayant des activités internationales. Parallèlement à ce travail, il effectue des recherches à titre de chercheur indépendant et il fréquente à Vienne le Cercle de Mises, un cercle interdisciplinaire fondé par Ludwig von Mises où il noue des amitiés notamment avec Felix Kaufmann, Fritz Machlup et Eric Voegelin. Marié à Ilse Heime, qu'il épousa en 1926 après une fréquentation de six mois, celle-ci lui apporte un soutien considérable entre autres dans la réalisation d'un important ouvrage (dont elle saisit six versions), Der sinnhafte Aufbau der sozialen Welt. Eine Einleitung in die verstehende Soziologie, publié en 1932, dans lequel Schütz met en perspective la sociologie de Max Weber avec la phénoménologie d’Edmund Husserl.
Par la suite, en juin 1932, il se joint à un groupe de phénoménologues à Fribourg-en-Brisgau, à l’invitation de Husserl. Il y rencontre notamment Dorion Cairns et Eugen Fink, en plus d'avoir accès au manuscrit de Expérience et jugement, de Husserl, qui recèle une théorie des types et des prédicats. Impressionné par sa collaboration, Husserl lui propose alors de devenir son assistant. Cependant, afin de pourvoir aux besoins de sa famille, Schütz est contraint de décliner cette proposition et retourne à Vienne. Il partagera d'ailleurs son temps, pour la majeure partie de sa vie, entre son travail dans le monde des affaires et ses recherches en philosophie et en sciences sociales. Husserl, avec qui il conserve un contact étroit et entretient un échange épistolaire régulier jusqu’à la mort de celui-ci en 1938, dira de Schütz qu'il est « un homme d'affaires de jour, un philosophe la nuit ».
En 1938, lorsque les troupes allemandes envahissent l’Autriche, Schütz est congédié de la Reitler and Company de Vienne et, étant en voyage d’affaires à Paris, il se trouve séparé de sa famille durant trois mois, jusqu’à ce qu’il parvienne à les faire émigrer en France. Ayant retrouvé un poste à la Reitler and Company de Paris, il profite de ses relations d’affaires pour porter assistance à plusieurs personnes qui tentent de fuir l’Autriche. À la fin du mois d'août 1938, en compagnie d'économistes et d'intellectuels libéraux, il prend part au colloque Walter Lippmann qui a lieu à Paris. Puisqu'il craint l’avancement des troupes allemandes, le 14 juillet 1939 il émigre avec ses enfants aux États-Unis - dû aux quotas d'immigration qui s'étaient arrêtés dans le décompte des membres de sa famille, Ilse a quitté pour New York un an plus tôt et a pris en charge l'établissement de leur résidence.
Après ce nouvel exil, Schütz travaille à la Reitler and Company de New York, tout en aidant les immigrés. Il contribue avec Martin Farber à la fondation, en 1940, de l’International Phenomenological Society et de la revue Philosophy and Phenomenological Research dont il sera membre du comité éditorial jusqu’à sa mort. À partir de 1943, il enseigne à la Graduate Faculty of Political and Social Science de la New School for Social Research à New York. Il est mort le 20 mai 1959 à New York, à l’âge de 60 ans. Il a aussi eu un intérêt marqué pour la musique, ainsi que pour la peinture et la littérature (l’une de ses études met d’ailleurs en parallèle une analyse de Don Quichotte, de Miguel de Cervantes, avec la théorie des différents ordres de réalité de William James). Après sa mort, sa conjointe, Ilse, a largement contribué à l'édition de ses travaux et à la diffusion de ses idées.

Survol thématique de son œuvre

Outre la publication d’un livre important en 1932, Der sinnhafte Aufbau der sozialen Welt, les réflexions d’Alfred Schütz sont principalement développées, en anglais, dans une série d'articles scientifiques. La diversité de ses publications peut néanmoins être regroupée sous certaines thématiques communes.

L’idée de sociologie phénoménologique

À la base de l’idée de sociologie phénoménologique, Alfred Schütz a d’abord subi une influence des travaux sociologiques de Max Weber. Selon les thèses de celui-ci, la « signification subjective » que revêt l’action pour son auteur doit faire l’objet d’un acte interprétatif. À l’encontre d’une réduction de la sociologie à un modèle strictement causal, Weber développe sa théorisation du social en vue d’une interprétation des motifs subjectifs d’action, afin d’assurer une prise en compte par la sociologie de la dimension subjective des conduites. C’est de là que vient l’expression sociologie compréhensive : l’explication ne doit pas seulement être causale, elle doit aussi comporter une compréhension, un acte d’interprétation. Pour marquer ce qu’il considère comme une double face où se côtoient « explication » et « compréhension », puisqu’il ne les oppose pas l’une à l’autre, Weber parle de « compréhension explicative » ou encore « d’explication compréhensive ».
C’est cet apport théorique de légitimation de la dimension compréhensive inhérente aux actions sociales que Schütz retire des travaux de Weber, en soulignant l’importance de l’aspect interprétatif pour les sciences sociales, considérant d’ailleurs qu’il y a une primauté des sciences de la culture sur les sciences naturelles dans la mesure où celles-ci lui semblent revêtir (en elles-mêmes) une dimension culturelle. Cependant, malgré l’apport que représente la sociologie compréhensive, Schütz estime que la notion d’action dans les travaux de Weber demeure trop imprécise, notamment en ce qu’elle ne permet pas de distinguer convenablement l’action en tant qu’acte accompli (l’acte d’un sujet) de l’action dans ses dimensions d’accomplissement (l’action d’un sujet). De la sorte, les travaux de Weber sur la « conduite sociale » ne tiennent pas compte des structures temporelles de l’expérience et des projets d’action, ce qui constitue une lacune théorique rendant difficile, selon la critique de Schütz, le traitement précis du sens englobant l’action sociale.
À ce niveau, les travaux d'Edmund Husserl s’avèrent selon lui de première importance pour les sciences sociales en ce qu’ils offrent des analyses étayées des structures temporelles de la conscience – qui est elle-même constitutive du monde social – ainsi que plusieurs analyses du monde vécu, du Lebenswelt. Notons ici à titre indicatif que si Schütz connaît bien les premiers travaux de Husserl, il n’a en revanche pas eu accès aux manuscrits inédits de Husserl qui, comme l’a notamment montré Françoise Dastur (Husserl. Des mathématiques à l’histoire, PUF, 1995), témoignent d’une évolution de la réflexion de ce dernier sur le thème de l’intersubjectivité qui se fonde de plus en plus sur la notion de « chair » – une notion ensuite développée par Merleau-Ponty. Il faut donc avoir à l’esprit que lorsque Schütz parle des travaux de Husserl, et particulièrement lorsqu’il parle de sa notion d’intersubjectivité, c’est aux travaux publié du vivant de Husserl auxquels il réfère.
Considérant le potentiel des travaux de Husserl, Schütz remarque que la méthode de réduction eidétique n’est cependant pas directement applicable aux sciences sociales, car elle permet peu l’articulation des horizons propres à l’expérience, à la praxis, puisque ces horizons sont constitués d’une « sédimentation de sens », tel que Husserl l’a lui-même souligné dans Formale und transzendentale Logik (trad. Logique formelle et logique transcendantale). C’est ce type d’appropriation et d’application, jugée trop directe, de la phénoménologie eidétique aux problématiques des sciences sociales que Schütz reproche aux premières positions de Max Scheler, ainsi qu’aux travaux d’Edith Stein et ceux de Gerda Walther – des travaux qu’il juge, de ce point de vue, d’un usage naïf de la phénoménologie, comme il l’explique dans Husserl’s Importance for the Social Sciences (trad. L’importance de Husserl pour les sciences sociales).
C’est donc par un éclairage latéral des réflexions husserliennes qu’Alfred Schütz va développer l’idée de sociologie phénoménologique, se concrétisant par des analyses en philosophie des sciences sociales, traitant principalement des fondements de l’appareillage conceptuel ayant pour pivot la temporalité, la conscience et l’action sociale.

L’action sociale

Les structures du monde social

L’action s’enracine au sein d’un environnement comportant un rapport à autrui qui s’articule autour d’un axe temporel et d’un axe spatial. Aussi, selon Schütz, le monde social est structuré en quatre régions (Cf. Some structure of the Life-World, dans Collected Papers III, pp. 116-132) :
  1. L’horizon des prédécesseurs, c’est-à-dire les individus qui sont maintenant décédés (mais qui ont façonné divers sédiments historiques).
  2. L’horizon des successeurs, c’est-à-dire les individus qui ne sont pas encore nés, les générations à venir.
  3. L’horizon des « compagnons » (consociates), c’est-à-dire les individus qui partagent un même environnement que nous, autant d’un point de vue temporel qu'en vertu d'une proximité spatiale (être dans une même pièce, par exemple).
  4. L’horizon des contemporains, c’est-à-dire les individus qui vivent à la même époque que nous, qui nous sont contemporains, mais sans pour autant partager un même environnement spatial.
À cette structure s’ajoute, selon Schütz, deux types essentiels de rapports à autrui : un rapport de compréhension/interprétation et un rapport d’action/influence (directe ou indirecte) sur autrui. Évidemment, seul le rapport de compréhension/interprétation sera possible envers les prédécesseurs, alors que seul le rapport d’action/influence (indirecte) sera possible à l'égard des successeurs. La réciprocité des rapports compréhension-action n’étant possible que pour les contemporains et les « compagnons » (consociates).

Le vécu considéré comme allant de soi (taken for granted) et les typifications

Schütz remarque que le monde social est constitué d’acquis dont l’intégration est implicite dans les actions et les intentionnalités pratiques. Dans son quotidien, l’individu acclimaté à une culture intègre un ensemble de savoirs et savoir-faire qui aura le caractère d’allant de soi (taken for granted), ces savoirs et savoir-faire étant tenus pour acquis – jusqu’à ce qu’il y ait altérité. Par exemple, pour l’individu acclimaté à une culture, pris par son quotidien, « que le métro fonctionne demain, comme d’habitude, est pour lui une certitude qui est presque du même ordre de vraisemblance que le lever du soleil ce même lendemain. » (L’Étranger, dans Le chercheur et le quotidien, page 221). Les analyses devront donc prendre en compte, selon Schütz, qu’un ensemble d’allants de soi est inhérent au monde vécu – ces allants de soi se reflétant aussi dans le langage.
Un corollaire des allants de soi (taken for granted) est la typification du monde social ; cette typification entrant en jeu dans la perception des actions et des fonctions sociales. Par exemple, un facteur simplement croisé sur la rue n’est pas véritablement connu en tant que personne, mais est d’abord appréhendé comme étant un facteur typique. Il est à cet égard important de noter que Schütz choisit délibérément le terme de typification, plutôt que le terme d’idéal-type utilisé par Weber, afin de marquer le caractère non figé, selon Schütz, des typifications qui sont liées au monde vécu (au Lebenswelt).
De ces typifications de l'environnement social découleront certaines attentes normées, standardisées. C’est-à-dire que des attentes seront habituellement élaborées en vertu de certains types, faisant en sorte que les significations octroyées aux typifications acquièrent un caractère relativement commun qui s’impose dans certains milieux – bien que les typifications n’aient pas de nature figée. Par exemple, face à un vendeur « typique », on s'attend habituellement à ce que celui-ci souhaite vendre quelque chose, on s'attend à ce qu'il fasse preuve d’une certaine politesse, etc. – ceci étant lié à un monde vécu. Le monde social revêt ainsi diverses attentes, qui sont en lien avec des typifications du monde vécu, qui sont elles-mêmes en interaction avec divers ensembles d’allants de soi (taken for granted).

Les motifs en-vue-de (in-order-to motive) et les motifs parce-que (because motive)

Le langage ordinaire recèle une ambiguïté du terme « motif », qu’il importe de clarifier afin de pouvoir déployer une analyse plus fine des comportements. Selon Schütz, il importe de distinguer deux réseaux de concepts que le terme de motif recouvre : les motifs-en-vue-de (in-order-to motive) et les motifs parce-que (because motive) – ces deux types de motifs étant coprésent, selon Schütz.
  • Les motifs en-vue-de (in-order-to motive) réfèrent à une fin, en vertu de laquelle une action est faite. Les intentionnalités qui leur sont associées sont des intentionnalités prospectives. Selon l’exemple de Schütz, c’est d’un motif-en-vue-de dont il est question lorsqu’est stipulé que l’action d’un meurtrier a été motivée par un appât du gain. C’est au niveau des motifs-en-vue-de, selon Schütz, que se situe un « fiat volontaire » (voluntative fiat), opérant le passage de l’état virtuel, imaginaire, de l’intentionnalité prospective à un accomplissement de l’action (la responsabilité n'étant pas abolie par les motifs-en-vue-de).
  • Les motifs parce-que (because motive) ne sont pas prospectifs, mais réfèrent plutôt à l’intégration d’un réseau d’éléments passés – tel que soulevé par des lectures psychologiques des événements, par exemple. Ce qui est touché par les motifs parce-que, ce n’est pas l’action en tant que telle, mais plutôt le projet d’action. Toujours selon le même exemple de Schütz, c’est de motifs parce-que dont il est question lorsqu’est stipulé que l’action d’un meurtrier a été motivée par l’environnement où il a grandi, ainsi que par tel ou tel type d’expérience et telle ou telle donnée biographique. Les motifs parce-que ne constituent pas une motivation de l’action en tant que telle, mais plutôt du projet d’action : le fait que tel ou tel projet est envisagé en interaction avec tel ou tel intentionnalité prospective (afférente à un motif-en-vue-de). Les motifs parce-que demeurent fuyants au sein de l’action (Schütz entend par là l’action dans son accomplissement) et ne peuvent être délimités qu’eu égard à l’acte (c’est-à-dire l’action une fois accomplie).

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