mardi 10 avril 2012

Raymond et Lucie Aubrac, la flamme de l'engagement


Lucie Aubrac (1912-2007) - Raymond Aubrac (1914-2012).

Figure de la Résistance avec sa femme Lucie, Raymond Aubrac poursuivit son engagement bien après la libération de la France. Et délivra avec elle un message aux jeunes générations: «Oser, c’est créer».

Dans le couple, c’est Lucie qui capte la lumière. Parce son aventure est peut-être la plus romantique. C’est elle qui organisa les évasions de Raymond, son mari, lorsqu’il fut prit par l’ennemi. La première fois, elle ne s’appelait pas encore Aubrac. Et c’est son personnage qui sera porté à l’écran sous les traits de Carole Bouquet, pour incarner l’engagement féminin dans la Résistance.

Mais Raymond a aussi été une figure de la lutte contre le nazisme, avec elle à son côté, ou l’inverse, si bien qu’on n’imaginerait pas de les séparer dans une lutte qu’ils menèrent ensemble jusqu’à plus de quatre vingt-dix ans chacun, lorsqu’ils cosignèrent en 2007 la préface du livre L’autre campagne.

Ils y dénonçaient « l’égoïsme, le repli sur soi, la peur et le mépris de l’autre, le déni de l’intérêt général eu bénéfice de quelques particuliers, bref le recul de la démocratie ». Avec ce message rédigé à deux, pour les jeunes générations : «Résister, c’est oser. Et oser, c’est créer.» Le même message de Stéphane Hessel dans Indignez-vous.

Raymond, Samuel de son nom, est un jeune ingénieur des Ponts et Chaussées lorsqu’il fait la connaissance, à Strasbourg, d’une jeune enseignante, bourguignonne de souche. La guerre vient d’éclater lorsqu’ils se marient, en décembre 1939. Raymond endosse l’uniforme, est fait prisonnier et déporté à Sarrebourg. Lucie organise son évasion, la première. Le couple se réfugie à Lyon.

Il leur faut changer de nom: Raymond choisit celui d’un personnage de roman, commissaire dans une série policière en vogue. Ce sera Aubrac. A Lyon, il rencontre Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Ensemble, avec Lucie, ils vont créer un journal clandestin, «Libération», qu’ils lanceront en 1941.

Avec d’Astier, Raymond participe à la création du réseau Libération-sud, organise des sabotages, forme les recrues. Il devient membre de l’état-major de l’armée secrète. Par deux fois, la Gestapo de Lyon l’arrête. Par deux fois, Lucie parvient à le libérer. La deuxième arrestation prend une tournure dramatique : pris dans une rafle en même temps que Jean Moulin, Raymond est enfermé à la prison de Montluc. Il sera torturé. Face à lui, Klaus Barbie.

Lucie est enceinte de leur deuxième enfant. A la tête d’un commando, elle parvient à délivrer quatorze prisonniers lors d’un transfert en camion. Raymond fait partie du groupe.

Contraints à la clandestinité, Raymond et Lucie avec leur fils Jean-Pierre partent en avion pour Londres. Quelques jours plus tard, Catherine, leur deuxième enfant, voit le jour. Le mythe de Lucie naissait en même temps.

Elle fonde un journal, il démine

L’engagement reprit pour Raymond, plus conventionnel, à Alger, au côté du général de Gaulle. Il hésita alors à reprendre son nom. Il craignait les mesures de rétorsion pour les membres de sa famille prisonniers. C’est donc sous le nom d’Aubrac qu’il signa ses premiers textes officiels. Il le conservera, même une fois l’armistice signé, lorsqu’il sera nommé Commissaire régional de la République à Marseille.

La responsabilité est énorme, il y revenait encore à la fin de sa vie:

«Ni le général de Gaulle ni la Résistance ne voulaient de l’administration militaire que les Etats-Unis avaient mise sur pied pour les pays occupés, après leur libération. Il avait été prévu de nommer un commissaire de la République dans les dix-huit régions du pays, avec tous les pouvoirs pour rétablir la légalité républicaine. J’ai nommé des préfets, créé des tribunaux… Nous avions tous les pouvoirs de l’appareil d’Etat, législatif, exécutif, et judiciaire. J’ai par exemple exercé le droit de grâce dans plusieurs dizaines de cas. Et j’ai pris environ 1.550 arrêtés, toujours sous le pseudonyme de Raymond Aubrac. C’était une mission de transition, pour réorganiser le pays et éviter que les alliés ne s’en chargent.»

La reconstruction du pays est engagée. Alors que Lucie fonde un journal Privilèges de femmes, Raymond, l’ingénieur, est chargé, au sein du ministère de la Reconstruction, d’organiser et de réaliser le déminage de toute la France. «C’était une mission dangereuse, urgente et compliquée, que nous avons menée avec 50.000 prisonniers allemands et quelques milliers de Français pour les encadrer. Nous avons retiré 13 millions de mines, mais 2500 personnes ont été tuées sur les chantiers. Tout ceci, aujourd’hui, est complètement oublié», commentait-il des décennies plus tard.

L'Indochine, l'Algérie, et l'enseignement

Son engagement, avec Lucie, trouva aussi à s’appliquer dans les luttes anti-coloniales. Dès 1946, juste avant que la guerre d’Indochine n’éclate, le couple hébergea Hô Chi Minh qui fondera la République démocratique du Vietnam. Raymond restera d’ailleurs toute sa vie un invité d’honneur du pays, où il se rendit encore à plus de 90 ans. Avec Lucie, il prit également position contre la guerre d’Algérie. En répétant ce passage de l’appel du 18 juin 1940: «La flamme de la résistance ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas».

Jusqu’à la fin de sa vie, Raymond Aubrac lutta pour diffuser les valeurs d’engagement et de résistance contre l’intolérance et le racisme. Plus intéressée que lui par l’approche pédagogique, à l’origine de son choix pour l’enseignement, Lucie avait entrepris de donner des conférences dans des lycées et de multiplier les messages en direction des jeunes.

Raymond l’admirait pour sa capacité d’indignation toujours intacte, qu’il partageait. Alors, c’est tout naturellement qu’il alla lui-aussi à la rencontre des jeunes, dans le sillage de Lucie ou inversement comme au début de leur engagement commun. Jusqu’au bout.

Gilles Bridier


Lucie Aubrac (de son vrai nom Lucie Samuel, née Bernard), née le 29 juin 1912 à Paris[1]Saône-et-Loire, morte le 14 mars 2007 à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), fut une résistante française à l'Occupation allemande et au régime de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle était l'épouse de Raymond Aubrac. de parents originaires de

Formation et itinéraire avant le début de la Résistance[modifier]

Louis Bernard, le père de Lucie, était d'une famille de cultivateurs de la région de Cluny en Saône-et-Loire, alors que la mère de Lucie, Louise Vincent, était d'une famille de vignerons pauvres de La Chapelle-de-Guinchay, toujours en Saône-et-Loire. Au moment de la naissance de Lucie, en 1912, dans le 14e arrondissement ses parents sont établis en région parisienne. Jardinier de formation, son père travaillait à la maison Vilmorin, mais les deux époux Bernard louent un bistrot dans Paris[1]. La maladie de Louis oblige les Bernard à quitter leur bistrot et tous deux travaillent en banlieue dans une blanchisserie de Dugny en 1913, au moment de la naissance de Jeanne, l'unique sœur de Lucie. C'est pour que Louis exerce son métier de jardinier que la famille s'installe dans l'Eure, à Bernay. Mobilisé en 1914, Louis est blessé en 1915 et réintègre son foyer, partiellement invalide, en 1918. Les deux filles sont reconnues pupilles de la nation en 1924[1]. En l'absence de son mari, Louise est placée comme laitière, puis, chez une comtesse, dans l'Eure, puis, installée en ville, elle est couturière pour l'armée. Lucie et sa sœur sont envoyées en 1916 chez les grand-mères de Saône-et-Loire où toute la famille se retrouve au cours de l'été 1918[1].

En 1918, les parents de Lucie trouvent un emploi au château du Plessis à Blanzy, lui comme jardinier, elle comme laitière chez le comte et la comtesse de Barbentane. À partir de 1919, les parents Bernard louent une maison à Montchevrier près de Blanzy et la vie des deux filles devient plus calme. Lucie fait sa première communion et fréquente l'école primaire de Blanzy où elle passe son certificat d'études en 1925[2]. Les parents Bernard poussent leurs filles à poursuivre leurs études, avec des bourses de pupilles de la nation, au cours complémentaire de filles de Montceau-les-Mines, et pour que les études de Lucie puissent se poursuivre dans les meilleures conditions, ils déménagent en 1928 à Vitry-sur-Seine. Lucie entre à l'École normaleBatignolles qui prépare à devenir institutrice, alors que ses parents travaillent aux tréfileries de Vitry, elle comme ouvrière et lui comme jardinier[3]. Lucie échoue en 1929 et en 1930 mais réussit en 1931 le concours d'entrée à l'École normale d'institutrice. Elle choisit pourtant de ne pas y entrer « L'idée d'être interne, empêchée de circuler, m'était insupportable ! » a-t-elle écrit[4], explication qui ne paraît pas absurde à son biographe Laurent Douzou[5]. Cette décision est évidemment mal prise par ses parents, ce qui l'amène à prendre une chambre au quartier latin et à essayer de vivre par ses propres moyens[3]. des

À dater de son renoncement à l'École normale, Lucie devient complètement indépendante et acquiert une liberté qu'elle revendiquera plus tard comme une composante essentielle de son itinéraire[6],[7]. Elle effectue probablement des remplacements d'institutrice, fait la plonge dans un restaurant proche du lycée Chaptal où elle aurait rencontré des professeurs qui l'auraient poussée à faire des études supérieures d'histoire[6]. Pour faire des études à la Sorbonne, elle doit d'abord passer le baccalauréat qu'elle prépare en autodidacte et dont elle obtient la première partie en juillet 1932 et la deuxième partie (B-philosophie) en 1933. Elle a alors 21 ans, mais elle avait commencé à préparer des certificats d'histoire et géographie en même temps que la deuxième partie du bac[8]. Sa préparation à l'École normale d'institutrice ne l'a évidemment pas préparée à faire des études supérieures. En particulier, elle n'avait jamais fait de latin, pourtant indispensable pour décrocher le certificat d'histoire ancienne auquel elle échoue à trois reprises consécutives, mais elle finit néanmoins par obtenir tous les certificats nécessaires pour avoir le titre de licenciée es lettres qui lui permet de préparer l'agrégation d'histoire et géographie qu'elle réussit du premier coup en septembre 1938. Elle avait abandonné toute activité militante pour préparer le concours[8].

Parallèlement à ses études et aux divers emplois qui lui permettent de gagner sa vie, Lucie fréquente le Cercle international de jeunesse, fondé par section française des quakers[9]. Cette association à coloration pacifiste et qui cultive la tolérance fait venir des conférenciers souvent de grande notoriété pour des causeries-débats hebdomadaires, mais elle organise également des réunions amicales et des excursions dominicales. C'est avec le cercle international que Lucie se rend à Berlin en 1932 et qu'à son retour elle écrit un article dans L'Écho des Amis et c'est également par le cercle qu'elle se rend en Angleterre[9]. Ayant assisté à une conférence de Jean Zay, elle participe à sa campagne électorale dans le Loiret en 1936. Il semble qu'en 1937, elle a cessé de fréquenter assidûment le cercle[9].

Parallèlement à ses activités au Cercle, Lucie milite ardemment aux Jeunesses communistesParti communiste, elle écrira : (JC). Son adhésion date du début de 1932. Dans l'autobiographie qu'elle rédigera en 1945 à l'usage de l'appareil du

« J'ai adhéré aux Jeunesses en 1932. Mes contacts avec les quakers m'avaient donné de premières idées pacifistes. Les difficultés matérielles que j'ai connues m'ont fait adapter mon pacifisme à des idées plus combatives et j'ai adhéré aux JC sans savoir rien de plus sur le PC que son côté alors antimilitariste. »[9]

Physiquement courageuse, douée d'une répartie facile, Lucie devient populaire auprès des JC du rayon du 13e arrondissement auquel est rattachée sa cellule du 5e arrondissement et elle devient membre du bureau de Paris-Ville. André Marty qui la fréquente dans le 13e arrondissement écrira en 1952 « que le seul moment où il y avait eu une Jeunesse communiste digne de ce nom dans le 13e arrondissement était celui où Lucie Bernard en avait tenu les rênes en sa qualité de secrétaire »[9]. À la Sorbonne, elle s'inscrit à l'Union fédérale des étudiants, toujours dans la mouvance communiste et elle y noue des amitiés durables avec Victor Leduc, Joseph Epstein, Jean-Pierre Vernant et son frère[9]. En 1935, elle aurait refusé la proposition faite par Raymond Guyot de suivre l'École des cadres de Moscou. Dans le cadre de l'UFE, elle collabore à la revue l'Avant-garde et elle a des contacts assez étroits avec Ricard, un groupe secret qui réunit les étudiants de grandes écoles, non encartés, appelés à occuper peut-être de hautes fonctions. Lucie et le groupe Ricard sont rattachés à une cellule de Panhard & Levassor[9].
En 1938, Lucie qui se concentre sur la préparation de l'agrégation prend ses distances avec le Parti.

Avec son statut de professeur agrégé, Lucie met un terme à la vie de privations qui aura été son lot de 1930 à 1938[10]. Nommée professeur à Strasbourg, elle rencontre Raymond Samuel, un jeune ingénieur des ponts et chaussées qui faisait son service militaire comme officier du génie. Raymond avait fait partie du groupe Ricard, mais il semble que Lucie, contrairement à Raymond, n'a pas gardé le souvenir d'une rencontre antérieure à Strasbourg[10]. Bénéficiaire d'une bourse David-Weil pour aller travailler un an aux États-Unis en vue de préparer une thèse de géographie sur la colonisation des Montagnes Rocheuses du sud, la déclaration de guerre diffère son départ, car elle ne veut pas quitter Raymond qu'elle épousera en décembre 1939[10]. Elle enseigne quelques mois à Vannes, où elle a, entre autres, pour élève Simone Signoret, coincée en Bretagne par la guerre[11].

La Résistance

En août 1940, elle organise l'évasion de son mari, prisonnier de guerre à Sarrebourg[12]. Le couple se réfugie à Lyon où Raymond a trouvé un emploi d'ingénieur dans un cabinet de brevets d'invention mais Lucie garde le bénéfice de sa bourse et n'enseigne pas l'année scolaire 1940-1941[13]. Elle obtiendra un poste au lycée Edgar-Quinet de Lyon en octobre 1941, sous son nouveau nom d'épouse, Lucie Samuel. En automne 1940, de passage à Clermont-Ferrand ou peut-être tout simplement à Lyon elle retrouve Jean Cavaillès, professeur de philosophie et qui a été son collègue à Strasbourg[14]. Celui-ci lui présente Emmanuel d'Astier de La Vigerie, journaliste, qui a créé deux mois plus tôt une organisation anti-nazie et anti-vichyste dénommée « La dernière Colonne »[14],[15]. Cette rencontre est décisive. Raymond et elle consacrent alors tout leur temps libre aux activités de cette organisation : diffusion de tracts, recrutement, sabotages... Alors qu'elle est déjà engagée avec le groupe de Cavaillès et d'Astier, Lucie retrouve un ancien camarade communiste André Ternet qu'elle aurait aidé à mettre sur pied des moyens d'édition et d'émission clandestine. Elle a également un contact avec Georges Marrane qui représente le Parti communiste français en zone Sud[14].

À partir du mois de mai 1941, après la naissance de Jean-Pierre, leurs fils ainé, Raymond et Lucie aident Emmanuel d'Astier à faire un journal dont la parution du 1er numéro, deux mois plus tard, marque la naissance du mouvement Libération-Sud[15],[12]. Sous divers pseudonymes, on retiendra Catherine pour Lucie et Aubrac pour Raymond[16], Lucie et Raymond contribuent à faire de Libération le mouvement de Résistance le plus important en zone Sud après le mouvement Combat fondé par Henri Frenay. Professeur bien noté et assidu au cours de l'année scolaire 1941-1942, les activités clandestines de Lucie Samuel sont la cause de multiples retards au premier trimestre de l'année scolaire 1942-1943. Elle est en congé maladie sans discontinuer du 9 janvier au 4 mai, puis du 22 mai au 21 juin[17]. De passage à Lyon en janvier 1942, Jacques Brunschwig, adjoint d'Emmanuel d'Astier, donne une idée des activités de Lucie Samuel à cette époque :

« [...] Le mari formait l'élément pondérateur. Lucie Aubrac est une intellectuelle, peu pondérée, n'ayant pas d'esprit d'organisation, confuse et bouillonnante, douée d'un dynamisme excessif. Elle est d'un courage étonnant et donna un travail considérable. Bien qu'ayant un jeune bébé, elle travaillait la nuit, allait coller des tracts et papillons en ville, etc. »[17]

Lucie et Raymond Aubrac font partie du noyau de Libération-Sud. Elle assiste aux réunions de la direction qui se passent souvent à son domicile. Lucie est chargée des liaisons avec Libération-Nord et à ce titre, se rend souvent à Paris[17].

À partir de novembre 1942, les Allemands occupent la zone Sud et donc Lyon. Les résistants sont alors pourchassés par la Gestapo mais aussi par la milice créée en janvier 1943. Un premier coup dur frappe Libération-Sud le 15 mars 1943 avec l'arrestation par la police lyonnaise d'un agent de liaison inexpérimenté qui entraîne celle de neuf autres personnes dont Raymond Aubrac. Ce dernier avait été chargé par d'Astier à l'été 1942 de diriger la branche paramilitaire du mouvement, c'est-à-dire de former des « groupes francs », sortes de commandos qui forment le bras armé du mouvement[16]. « Catherine », alias Lucie Samuel, n'a de cesse de monter des coups pour libérer ses camarades avec l'aide des groupes francs nouvellement formés. Son zèle est parfois jugé intempestif : Jacques d'Andurain, membre de ces groupes francs, se montrera critique en 1946 vis-à-vis de « l'attitude de Lucie Aubrac qui, après l'arrestation de son mari, voulait que toutes les forces de Libération, toutes affaires cessantes, fussent mises au service de l'évasion »[18]. Faute de pouvoir faire agir les corps francs, Lucie se rend directement chez le procureur qui a l'affaire en charge, se présente comme une envoyée des services gaullistes et le menace de mort si François Vallet — c'est le nom d'emprunt — sous lequel Raymond a été arrêté, n'était pas libéré. De fait, Raymond est mis en liberté provisoire entre le 10 et le 12 mai[18]. Le 24 mai[19]Lucie organise, avec la participation de son mari[20], l'évasion de l'hôpital de l'Antiquaille des comparses de Raymond qui, eux, n'avaient pas été mis en liberté provisoire : Serge Ravanel, Maurice Kriegel-Valrimont et François Morin-Forestier[21],[22]. Ils leur avaient d'abord procuré des médicaments pour les rendre malades afin qu'ils soient transférés à l'hôpital de l'Antiquaille où il était plus facile d'organiser l'évasion[18].

Après ce coup, Lucie et Raymond prennent quelques jours de vacances sur la Côte d'Azur, à Carqueiranne, avec leur fils âgé de deux ans[18].

Le 21 juin, Raymond est à nouveau arrêté, cette fois-ci par la Gestapo, à Caluire, avec Jean Moulin notamment. En outre, sont arrêtés : le Dr Frédéric Dugoujon, leur hôte de la villa Castellane, Henri Aubry, du mouvement Combat, Bruno Larat, André Lassagne, de Libération-Sud, le colonel Albert Lacaze, du 4e bureau de l'Armée secrète et le colonel Émile Schwarzfeld, responsable du mouvement lyonnais France d'abord[23]. René Hardy parvient à s'enfuir dans des conditions controversées qui le rendent suspect de trahison[23]. C'est évidemment un coup très dur pour Lucie. Une de ses amies la dépeint au bord du désespoir le 24 juin, mais sur la voie du rétablissement six jours plus tard[18]. Elle envoie Jean-Pierre à la campagne avec la bonne et prépare à nouveau l'évasion de son mari, ce qui ne l'empêche pas de participer à d'autres opérations : en septembre 1943, elle se fait passer pour un médecin pendant quelques jours, le temps de prendre contact, à l'hôpital de Saint-Étienne, avec quatre résistants arrêtés dans cette ville, blessés, dont Robert Kahn, (chef des Mouvements unis de la Résistance (MUR) de la Loire, et frère de Pierre Kahn-Farelle, « Pierre-des-Faux-papiers ») et d'organiser le 6 septembre une exfiltration des quatre résistants avec un commando de faux gestapistes censé les conduire à un interrogatoire[24],[18].

Raymond Aubrac est emprisonné à la prison de Montluc de Lyon. Dès la fin du mois de juin et en septembre, elle va voir en personne le chef de la Gestapo à Lyon, Klaus Barbie, et le prie de la laisser voir son prétendu fiancé dont elle était enceinte — ce qui était vrai — et d'autoriser leur mariage en prison[25]. Elle se présente sous le nom de Guillaine de Barbentane[26], et trompe Barbie en lui disant qu'une personne de sa condition ne pouvait être mère sans être mariée. Lors de cette visite, elle fait parvenir à Raymond les plans de l'évasion[27]. C'est pendant un transfert, le 21 octobre 1943, que Lucie et ses compagnons attaquent, avenue Berthelot, à 300 mètres[16],[28]. avant le boulevard des Hirondelles, le camion allemand dans lequel se trouvent quatorze résistants dont son mari. Six allemands, le chauffeur du camion cellulaire et les cinq gardes (qui croyant à une soudaine panne ne s'étaient pas méfiés) sont tués pendant l'attaque et les résistants parviennent à s'évader

Londres et la Libération (1944-1945)

Après cette évasion, Lucie enceinte, Raymond et leur fils Jean-Pierre entrent dans la clandestinité, de refuge en refuge[12]. Ils parviendront à rejoindre Londres le 8 février 1944. Lucie Aubrac, c'est désormais le nom sous lequel on l'appelle, y a été précédée de sa légende, tissée avec enthousiasme par Emmanuel d'Astier[29]. Lucie accouche le 12 février[29] d'une fille, Catherine, qui eut pour parrain le général de Gaulle[12]. Lucie est désignée pour siéger à l'Assemblée consultative provisoire d'Alger mais son accouchement rend inopportun son transfert à Alger et ce sera Raymond qui siègera à sa place pour représenter Libération-Sud[30]. Le 24 mars, Maurice Schumann consacre l'essentiel de son émission radiophonique Honneur et Patrie à destination de la France, aux exploits de la première Française que la « France combattante du dedans » a envoyé à l'Assemblée consultative[29]. Lucie intègre d'ailleurs le comité exécutif de propagande qui définit les orientations de la propagande en direction de la France et prend directement la parole le 5 avril 1944 au micro de la BBC pour commenter l'entrée de ministres communistes dans le CFLN. À la radio ou lors de conférences, elle s'exprime avec aisance et sait trouver le mot juste. C'est pourquoi on lui donne souvent la parole : elle intervient à nouveau le 20 avril pour exalter le combat des femmes, le 28 avril pour donner des consignes pour le 1er Mai et le 7 juin, juste après le débarquement, pour s'adresser aux femmes[29].

Le 27 juillet 1944, elle se fait confier par d'Astier un ordre de mission pour accomplir une mission de liaison en France libérée auprès des Comités de Libération et des mouvements de Résistance. Laissant ses enfants à Londres, elle s'installe ensuite à Paris pour siéger à l'Assemblée consultative, ne rejoignant que rarement son mari qui a été nommé commissaire régional de la République à Marseille[31]. Lors de la visite du général de Gaulle à Marseille, le 15 septembre, elle modifie le plan de table établi par le protocole et place les responsables locaux FFI et chefs de la Résistance aux places d'honneur. De Gaulle ne desserre les dents que pour faire honneur au repas[31]. Elle fait également ouvrir des maisons d'enfants en Provence pour accueillir les orphelins de résistants, dont une ouvre le 19 novembre 1944 dans la propriété du maréchal Pétain, à Villeuneuve-Loubet et quatre autres le 1er janvier 1945[31]. Elle va chercher ses propres enfants à Londres au début du mois d'octobre[31]. Révoqué de ses fonctions de commissaire de la République, Raymond Aubrac rejoint Paris en janvier 1945 et s'installe avec sa famille dans un appartement réquisitionné de la rue Marbeuf. À l'Assemblée consultative, Lucie siège dans les commissions de l'Éducation nationale, de la Justice, de l'Épuration, et enfin, du Travail et des Affaires sociales. Elle est aussi active dans les instances dirigeante du MLN qui a succédé aux MUR. Elle est la directrice de Femmes, l'hebdomadaire pour femmes du mouvement[31]. Sympathisante communiste, Lucie Aubrac est favorable à l'unification du MLN avec le Front national et c'est peut-être la raison pour laquelle, minoritaire, elle quitte la direction du journal en juillet 1945, mais lorsqu'en tant que présidente des femmes du MLN, elle veut prendre contact avec l'organisation communiste Union des femmes françaises, elle se fait recevoir de façon exécrable par Claudine Chomat qui lui aurait déclaré : « Nous n'avons rien à dire aux agents du BCRA »[32].

Libérée de ses obligations vis-à-vis du MLN, Lucie Aubrac publie en octobre 1945 un petit livre de 114 pages, La Résistance (naissance et organisation) où elle présente une vision assez éclectique de la Résistance, minimisant ses responsabilités dans Libération-Sud, mais exploitant son expérience personnelle par des anecdotes qui éclairent la compréhension[32]. Son titre de cofondatrice d'un mouvement de Résistance lui donnant droit à un crédit de papier, elle fonde avec l'appui de quelques amis, dont Marcel Bleustein-Blanchet qu'elle a connu à Londres, un hebdomadaire, Privilèges des femmes dont le titre évoque les nouveaux droits acquis par les femmes, notamment le droit de vote. Le premier numéro sort en octobre 1945 et le septième et dernier numéro, en décembre de la même année. Le journal n'a pas réussi à se faire une place entre les deux journaux concurrents, celui du MLN et celui de l'UFF. Le couple Aubrac devra s'acquitter des dettes contractées pour ce projet pendant plusieurs années[32].

Relations avec le parti communiste (1945-1948)

Lucie Aubrac et sa fille Élizabeth avec Ho Chi Minh en 1946.

Entre 1945 et 1947, Lucie Aubrac effectue des démarches répétées pour réintégrer au grand jour le Parti communiste[32],[33]. La chose n'est pas simple pour cette ancienne militante qui a accédé au vedettariat sans que l'image du Parti n'en tire de bénéfice. Pour les élections législatives de 1946, elle se présente en troisième position sur la « liste communiste et d'union républicaine et Résistance » de Saône-et-Loire emmenée par Waldeck Rochet. Elle n'est pas élue[32]. Dans les archives du Parti communiste, Laurent Douzou a retrouvé quantité d'appréciations positives à son égard, provenant aussi bien de militants de base ou de dirigeants de premier ordre comme Georges Marrane ou André Marty, mais aussi des annotations très sévères sur son opuscule La Résistance où sa lecture des événements n'a rien à voir avec celle du Parti[32],[33].

Dans une note de synthèse de juin 1947, les points positifs dont Lucie Aubrac se voit créditée sont son dynamisme, sa hardiesse et sa notoriété, mais aussi le fait qu'elle soit professeur, mère de quatre enfants et que son mari a montré son attachement au Parti à différentes reprises. Dans les points négatifs, sont retenus : son séjour à Londres où elle a été mise en avant par les Anglais et les services de De Gaulle, mais aussi le fait qu'elle soit « assez ambitieuse ». Son livre, « très négatif pour le Parti » est évidemment mis dans les éléments à charge. L'auteur de la note estime qu'après le procès de René Hardy, elle et son mari sortent complètement blanchis des éléments obscurs des arrestations de Caluire[34].

Le dernier point négatif mentionné de la note de 1947 était : « Vient de reprendre sa place au Parti ». Autrement dit, le Parti préférait un Raymond Aubrac qui n'adhère pas au Parti mais le soutient à une Lucie qui veut adhérer au Parti mais que l'on sait définitivement indépendante. À défaut de militer sous la casaque communiste, Lucie fera partie, comme Raymond, des « compagnons de route » qui sont actifs dans le Mouvement de la Paix, lequel reçoit l'aval du Parti communiste dès sa fondation[33].

Le Mouvement de la paix et autres engagements (1948-1958)

Raymond Aubrac figure en effet parmi les fondateurs du Mouvement de la paix, en février 1948, mais par la suite, Lucie s'y montre beaucoup plus active et intervient fréquemment dans les meetings, effectue des déplacements à l'étranger. Elle est, par exemple, à Stockholm en mars 1950, lorsqu'est lancé l'appel de Stockholm qui exige « l'interdiction absolue de l'arme atomique »[35]. Ces déplacements sont difficilement conciliables avec son métier de professeur et l'Éducation nationale n'accordant pas forcément les mises à dispositions nécessaires pour toutes ces manifestations. Lucie est affectée au lycée Racine, puis au lycée Jules-Ferry et enfin au lycée d'Enghien, établissement expérimental où elle est à son aise et où elle s'installe pour une longue durée[35],[36].

Au long de la décennie qui suit la Libération, les engagements et activités de Lucie Aubrac sont multiples. Elle soutient Henri Martin lorsque ce matelot communiste est poursuivi pour propagande hostile à la Guerre d'Indochine[37]. À partir de 1956, elle est associée au travaux du Comité d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale[38]. Elle est également « liquidatrice » nationale de Libération-Sud, ce qui consiste à homologuer l'appartenance des différents membres au mouvement de façon à ce qu'ils puissent faire des demandes de pension[38].

En 1946, Lucie avait donné naissance à un troisième enfant, Élizabeth "Babette", dont Hô Chi Minh s'était proclamé le parrain. (Voir l'article : « Raymond Aubrac »).

L'étranger : le Maroc, Rome (1958-1976)

Pendant vingt-deux années, les Aubrac vont vivre à l'étranger, à Rabat au Maroc, d'abord, et, à partir de 1964 à Rome. Lucie et Raymond Aubrac ont chacun écrit que le départ au Maroc, en 1968 était en partie lié à une prise de distance vis-à-vis du mouvement communiste, au niveau national pour Lucie, et international pour Raymond[39]. En 1995, Lucie écrit en effet :

« Que le PC accepte de voir partir le contingent en Algérie et l'envie de ne pas condamner le PC nous a incités à nous expatrier [...]. Vivre au Maroc était une manière de marquer ma solidarité avec les peuples colonisés par la France, tout en prenant mes distances par rapport à cette guerre dans laquelle je ne savais comment intervenir. »[40].

Quant à Raymond, il avait œuvré pendant dix années dans BERIM, un bureau d'études qu'il avait créé avec des camarades plus ou moins communistes et qui était très investi dans les échanges économiques Est-Ouest. En 1996, il écrit :

« D'autres raisons [que celles relatives à BERIM] me poussèrent à changer d'air et à modifier ma trajectoire. le contexte politique était plus difficile à vivre. Ces démocraties populaires au contact desquelles j'avais travaillé presque dix ans ne parvenaient manifestement pas à créer les conditions d'une vie harmonieuse [...]. Il fallait partir : Lucie et moi en étions convaincus. »[41]

À Rabat, Lucie enseigne au lycée Moulay-Youssef. Ce sont pour elle de bonnes années[39]. L'installation au Maroc résultait d'une proposition faite à Raymond de travailler comme conseiller technique en liaison avec le Gouvernement marocain. C'est encore pour suivre son mari devenu fonctionnaire international à la FAO que Lucie s'installe à Rome avec ses deux plus jeunes enfants. Cette fois-ci, son intégration au lycée Chateaubriand se passe moins bien. Elle fait valoir ses droits à la retraite en 1966. Elle a alors 54 ans et n'aura finalement passé que dix-huit années de sa vie à exercer la profession de professeur de lycée. « Elle adorait autant enseigner qu'elle abhorrait être sous le joug », note son biographe Laurent Douzou qui observe que ses relations avec les différents proviseurs n'ont pas été toujours excellentes[42]. Passionnée d'archéologie et d'histoire ancienne, elle ne s'ennuie évidemment pas dans la ville aux sept collines[42] : conférences, publication d'une étude sur Rome[43].

Paris (1976-2007)

Après un passage par New York, les Aubrac sont de retour à Paris en 1976 quand Raymond prend sa retraite. Inutile de dire que celle qui fut une star à Londres en 1944 a été quelque peu oubliée des Français. Lucie renoue avec la vie militante à la Ligue des droits de l'homme. Elle soutient la candidature de François Mitterrand aux élections présidentielles de 1981 et de 1988[44].

L'organisation de l'évasion de son mari quelques mois après l'arrestation de Caluire du 21 juin 1943 a beaucoup contribué à la célébrité de Lucie Aubrac lors de son arrivée à Londres en février 1944. René Hardy qui participait à la réunion avait tout de suite été soupçonné d'être responsable de cet événement catastrophique dans lequel était tombé Jean Moulin, chef de la Résistance française. Hardy avait été acquitté au bénéfice du doute à l'issue d'un procès ouvert en 1947. Bien que Combat, le mouvement auquel il avait appartenu l'ait lâché, il est à nouveau acquitté lors d'un second procès en 1950.

Deux événements vont conduire Lucie Aubrac à revenir sur les événements de Caluire et à publier en septembre 1984 Ils partiront dans l'ivresse un récit autobiographique sous forme d'un journal recomposé couvrant les neuf mois de sa grossesse, de mai 1943 à février 1944[45] : d'une part, la publication par René Hardy, en avril 1984, d'un ouvrage dans lequel il met en cause Aubrac et Bénouville, et d'autre part, l'extradition en France de Klaus Barbie qui avait menacé de faire des révélations compromettantes pour la Résistance[46]. Après une prestation brillante à l'émission de Bernard Pivot, Apostrophes, Lucie Aubrac revient sur le devant de la scène, invitée aussi bien à la télévision dans les diverses émissions sur la Résistance que dans de nombreux établissements scolaires où elle donne son témoignage sur la Résistance, souvent en compagnie de Raymond qui devient ainsi le « mari de Lucie » alors qu'à Rome et à New York, Lucie était « la femme de Raymond »[45].

En 1983, Klaus Barbie est extradé de Bolivie et il est jugé à Lyon en 1987, non pas pour les arrestations de Caluire ou des crimes perpétrés dans le cadre de la lutte contre la Résistance — pour lesquels il y a prescription — mais pour crimes contre l'humanité. Il est condamné à la peine maximum, la réclusion à perpétuité. Le 4 juillet 1990, Barbie demande à comparaître devant le juge Hamy accompagné de son avocat Jacques Vergès pour lui remettre un texte de 63 pages[26] que l'on appellera Testament de Barbie, qui circulera dans les salles de rédaction dès la mort de Barbie en 1991, mais ne sera connu du grand public qu'en 1997, avec la publication du livre de Gérard Chauvy : Aubrac, Lyon, 1943[47]

Un téléfilm de 1993 reprend la trame du récit Ils partiront dans l'ivresse[48] et, en mars 1997, on annonce la sortie d'un film, Lucie Aubrac de Claude Berri. C'est donc le moment que choisit le journaliste et historien lyonnais Gérard Chauvy pour publier son livre Aubrac, Lyon, 1943 dans lequel il dévoile le document connu sous le nom Testament de Barbie et produit un certain nombre de documents d'archives connus ou inédits qui mettent en évidence les incohérences dans les différents récits et témoignages que Lucie et Raymond Aubrac ont fait depuis leur arrivée à Londres en 1944 sur les événements survenus à Lyon entre mars et octobre 1943. Il fait ainsi largement état, sans l'accréditer, de ce « testament » dans lequel Raymond Aubrac est présenté comme un agent au service de Barbie, « retourné » lors de sa première arrestation de mars 1943. Toujours selon ce document de Barbie, Lucie aurait été l'agent de liaison entre Aubrac et lui et ce serait elle qui lui aurait téléphoné la date et le lieu de la réunion de Caluire[49],[26]. En conclusion, Chauvy, sans adhérer à la thèse de la trahison du Testament de Barbie, indique : « Aujourd'hui, aucune pièce d'archives ne permet de valider l'accusation de trahison proférée par Klaus Barbie à l'encontre de Raymond Aubrac, mais au terme de cette étude, on constate que des récits parfois fantaisistes ont été formulés[50]. » Le livre de Chauvy contenait cependant suffisamment d'ambiguïtés tendant à crédibiliser le testament de Barbie diffamation[16],[26]. pour que le couple Aubrac obtienne d'un tribunal la condamnation de Chauvy pour

Pour pouvoir répondre à la calomnie dont il est estime être victime, Aubrac demande au journal Libération d'organiser une « réunion d'historiens ». Sous le nom de « table ronde », celle-ci se tient le samedi 17 mai 1997 dans les locaux du journal qui reproduit l'intégralité des débats dans un numéro spécial du 9 juillet[51]. Les participants à cette table ronde ont été choisis par Libération et Raymond Aubrac : François Bédarida, Jean-Pierre Azéma, Laurent Douzou, Henry Rousso et Dominique Veillon, spécialistes de l'histoire des « années noires » et de l'histoire de la Résistance. Daniel Cordier, compagnon de la Libération, « historien amateur » biographe de Jean Moulin est également présent. À la demande des Aubrac, sont également présents l'anthropologue de l'histoire de l'Antiquité Jean-Pierre Vernant, en tant que « Résistant de la première heure » et Maurice Agulhon, historien du XIXe siècle[51].

Les historiens des arrestations de Caluire retiennent de ce débat que Lucie Aubrac a précisé que des livres qu'elle avait écrits comme Ils partiront dans l'ivresse ou Cette exigeante liberté[52][53], et que Raymond Aubrac ne savait pas expliquer pourquoi il avait donné plusieurs versions concernant la date exacte où il avait été reconnu par la Gestapo comme Aubrac. La raison pour laquelle Aubrac n'avait pas été transféré à Paris, comme ses camarades reste également un sujet d'interrogation pour les historiens présents dont aucun ne déclare donner un quelconque crédit aux accusations de Barbie-Vergès[54]. n'étaient pas des ouvrages historiques mais des récits qui se voulaient « justes »

Cette « table ronde » fut par ailleurs l'occasion d'une vaste polémique entre historiens sur la façon de traiter des témoins comme les Aubrac. Du côté des historiens ayant participé à la table ronde, Henri Rousso, par exemple, justifie l'interrogatoire quelque peu sévère du couple Aubrac, car, écrit-il un film comme Lucie Aubrac produit une confusion entre l'héroïne et la star, le héros, libre devant l'histoire n'ayant de compte à rendre à personne[55]. Pour un historien comme Serge Klarsfeld, au contraire, il est inconvenant de soupçonner à l'excès des héros de la Résistance « Personnellement, quand je suis confronté à l'un de ces acteurs ayant joué le rôle du « méchant », je ne lui reproche jamais que les actes qu'il a commis et je me sens blessé de voir reprocher à ceux qui ont joué le rôle du « gentil » les actes qu'ils auraient pu commettre[56]. »

Après la table ronde, Jean-Pierre Vernant publiait un commentaire sur l'ensemble des débats où il écrivait notamment :

« Combien ai-je connu de ces femmes, de tout âge et de toute condition, sans qui la Résistance n'eût pas été possible. Qui dira la fermeté de leur caractère, leur énergie, leur résolution, leur modestie ? Mais cela ne m'empêche pas d'affirmer, légende ou histoire, que Lucie est un être d'exception, incomparable à sa façon, et qu'on doit admirer en bloc, comme elle est, et sans réserve. »[57] En 2009, douze ans après la sortie du livre de Chauvy et dix-neuf ans après la rédaction du Testament de Barbie, aucun élément n'est venu étayer la thèse de Barbie ou donner un sens particulier aux contradictions relevées par Chauvy[58]. Après le décès de Lucie Aubrac, l'historien Laurent Douzou qui la connaissait bien depuis son travail de thèse sur le mouvement Libération-Sud décide d'écrire une biographie de Lucie en s'en tenant à la méthode historique. Il confirme que d'une façon générale, les récits autobiographiques de Lucie s'écartent notablement des faits historiques :

Lucie Aubrac lors d'une conférence à Beaugency en 2001

« Je ne tardai pas à découvrir que sur de nombreux aspects de son enfance et de ses premiers pas d'adulte, tantôt anecdotiques, tantôt importants, Lucie Aubrac avait transformé la réalité, parfois par omission, parfois avec un étonnant luxe de détails [...]. Pour l'essentiel, les libertés prises par Lucie Aubrac ont surtout eu trait [...] à sa jeunesse[59]. »

Douzou montre aussi que les historiens ont accueilli sans aucun esprit critique la parution du récit de 1984, Ils partiront dans l'ivresse, dont rien ne signalait qu'il était en partie romancé[45]. Par ailleurs, Douzou montre aussi que si les détails peuvent s'écarter de la réalité, les grandes lignes des différents récits que Lucie a fait de l'année 1943, y compris les évènements les plus rocambolesques ne sont pas prises en défaut par une critique faisant appel à la méthodologie historique[60].

Son engagement est aussi social et politique, lorsqu'elle signe, pour la commémoration du 60eConseil national de la Résistance du 15 mars 1944, avec plusieurs figures de la Résistance dont Maurice Kriegel-Valrimont, Germaine Tillion et Daniel Cordier, un appel aux jeunes générations à réagir devant la remise en cause du « socle des conquêtes sociales de la Libération » et « [...] à faire vivre et retransmettre l'héritage de la Résistance et ses idéaux toujours actuels de démocratie économique, sociale et culturelle »[61] ; ou encore lorsqu'elle signe, pendant le mouvement anti-CPE, un « appel des résistants » appelant les Français à mettre un terme à la « casse du pouvoir actuel ». Elle fut de même, en 2001, présidente du Comité national de soutien à la candidature présidentielle de Jean-Pierre Chevènement. anniversaire du Programme du

Avec son mari, elle signe la préface du livre collectif L'Autre Campagne (La Découverte, 2007) faisant des propositions alternatives à celles des divers candidats aux élections présidentielles de 2007[62].

Elle fut aussi membre du comité de parrainage de la Coordination française pour la Décennie de la culture de paix et de non-violence.

Décès

Elle meurt le 14 mars 2007 à l'hôpital suisse de Paris à Issy-les-Moulineaux (où elle était hospitalisée depuis deux mois et demi) à l'âge de 94 ans. L'hommage de la classe politique d'époque est unanime, du président de la République, Jacques Chirac, au premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande, en passant par le Premier ministre Dominique de Villepin, ou encore tous les candidats à l'élection présidentielle française de 2007.

Ses obsèques, avec les honneurs militaires, ont eu lieu le 21 mars aux Invalides[63],[64], en présence du chef de l'État[65], du Premier ministre, de plusieurs ministres, ainsi que d'un grand nombre de personnalités politiques (Marie-George Buffet, Jean-Pierre Chevènement, Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy...).

Les cendres de Lucie Aubrac ont été transférées au cimetière de Salornay-sur-Guye, village du Clunisois où est né son père. Des voix de tous bords politiques se sont élevées pour demander son transfert au Panthéon.

Hommages

Les promotions 2007 de l'Institut d'études politiques de Rennes et de l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence, de l'École nationale du Trésor public (ENT), la promotion 2007-2008 de l'Institut national des études territoriales (INET) et de l'Institut régional d'administration (IRA) de Lille ainsi que de l'IRA de Lyon ont pris le nom de Lucie Aubrac pour rendre hommage à la résistante à peine décédée. La promotion 2011-2012 de l'IRA de Bastia a choisi à son tour le nom de Lucie Aubrac.

Afin d'honorer l'action de la résistante, un certain nombre d'établissements scolaires portent le nom de Lucie Aubrac.

Un amphithéâtre à l'Université Lumière Lyon 2 porte son nom.

Distinctions

Légende

Un comics, Lucie to the Rescue, retraçant l’évasion d'octobre 1943, a été édité en 1944[66].

Sa vie a été adaptée au cinéma par le réalisateur Claude Berri en 1997. Elle était incarnée à l'écran par Carole Bouquet. En 1993 déjà, son histoire avait donné la trame de Boulevard des hirondelles.




Le film Les Femmes de l'ombre a été inspiré à son réalisateur par la mort de Lucie Aubrac en 2007.


Divers : Jeanne et Pierre Norgeu

Jeanne, la sœur de Lucie Aubrac, s'est mariée en 1933 avec Pierre Norgeu. Jeanne et Pierre Norgeu ont fréquenté, comme Lucie le Cercle international de jeunesse[67]. Ils étaient résistants à Lyon en même temps que le couple Aubrac[68]. Ils étaient également au Maroc à la même époque que Lucie et Raymond[69].

Notes et références

  1. a, b, c et d Laurent Douzou, Lucie Aubrac, Perrin, 2009 (ISBN 2-221-09997-4), p. 21-27.
  2. Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 28-32.
  3. a et b Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 33-45.
  4. Lucie Aubrac, Cette exigeante liberté, entretiens avec Corinne Bouchoux, Éditions de l'Archipel, 1997, p. 25.
  5. Laurent Douzou, dans Lucie Aubrac 2009, op. cit., n'exclut pas non plus une réaction d'orgueil. L'invraisemblable nombre d'erreurs factuelles contenues dans Cette exigeante liberté l'amène à se montrer très circonspect.
  6. a et b Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 46-60.
  7. Lucie Aubrac, Cette exigeante liberté, op. cit.
  8. a et b Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 74-88.
  9. a, b, c, d, e, f et g Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 54-74.
  10. a, b et c Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 82-88.
  11. Simone Signoret, La Nostalgie n'est plus ce qu'elle était, Éditions du Seuil, 1978.
  12. a, b, c et d Laurent Douzou, article « Lucie Aubrac », dans François Marcot (dir.), Dictionnaire historique de la Résistance, Robert Laffont, 2006 (ISBN 2-221-09997-4), p. 353-354.
  13. Laurent Douzou, dans Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 93-103, est formel sur ce point, en contradiction, donc, avec des récits de Lucie ou de Raymond qui évoquent une prise de fonction au lycée Edgar-Quinet en 1940, par exemple : Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, Éditions Odile Jacob, 1996 ; 2e édition de poche, 2000 (ISBN 2-7381-0850-4), p. 72.
  14. a, b et c Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 102-109.
  15. a et b Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 72-76.
  16. a, b, c et d Laurent Douzou, article « Raymond Aubrac », dans François Marcot (dir.), Dictionnaire historique de la Résistance, Robert Laffont, 2006 (ISBN 2-221-09997-4), p. 354-355.
  17. a, b et c Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 110-122.
  18. a, b, c, d, e et f Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 123-139.
  19. Laurent Douzou, article « Serge Ravanel », dans François Marcot (dir.), Dictionnaire Historique de la Résistance, Robert Laffont 2006 (ISBN 2-221-09997-4), p. 510-511.
  20. Lucie Aubrac, Ils partiront dans l'ivresse, Seuil, coll. « Points », Paris, 1997 (ISBN 2020316544 et 978-2020316545), p. 34-37.
  21. François Morin, pseudonyme Forestier, était du mouvement Combat.
  22. « Morin-Forestier François » [archive], sur memoresist.org, consulté le 14 décembre 2009.
  23. a et b Dominique Veillon, article « 21 juin 1943 : les arrestations de Caluire », dans Dictionnaire Historique de la Résistance, François Marcot (dir.), Robert Laffont 2006 (ISBN 2-221-09997-4), p. 625-626.
  24. Lucie Aubrac, Ils partiront..., op. cit., p. 121-128.
  25. Lucie Aubrac, Ils partiront..., op. cit., p. 83-89 et 129-135.
  26. a, b, c et d « Aubrac-Amouroux : un face-à-face pour l’Histoire » [archive], entretien avec Lucie et Raymond Aubrac, par Henri Amouroux, Le Figaro, 1997 ; sur lefigaro.fr.
  27. Lucie Aubrac, Ils partiront dans l'ivresse, op. cit. : 30 août et jours suivants. Comme il sera reconnu que Lucie Aubrac prenait dans ses récit une certaine liberté avec les faits réels, elle-même le reconnaîtra, cette histoire d'aspect rocambolesque a évidemment été mise en cause. Après avoir croisé les récits de Lucie Aubrac avec celui d'un proche, Eugène Cotton, écrit en 1946, Laurent Douzou conclut (op. cit., 2009, p. 135-136) : « Ce récit déroule une trame quasi-identique à celui de Lucie. »
  28. À plusieurs reprises, Lucie Aubrac s'est élevée publiquement contre le fait qu'on la créditait de la libération de son seul mari, en se référant à des dates différentes. Elle précisait : « Non, de 14 résistants, dont mon mari » (Source : rediffusion d'une interview de Lucie Aubrac en 1996 (Europe 1, 15 mars 2007).
  29. a, b, c et d Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 143-163.
  30. Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, p. 145.
  31. a, b, c, d et e Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 164-166.
  32. a, b, c, d, e et f Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 166-197.
  33. a, b et c Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 198-216.
  34. Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 188.
  35. a et b Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 212-216.
  36. Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 221-222.
  37. Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 216-221.
  38. a et b Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 231-233.
  39. a et b Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 242-248.
  40. Lucie Aubrac, Cette exigeante liberté, op. cit., p. 172-175.
  41. Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 276-277.
  42. a et b Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 250-256.
  43. « Les grandes villes du monde – Rome », Notes et études documentaires, 30 mai 1970, no 3, La Documentation française.
  44. Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 257-263.
  45. a, b et c Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 268-297.
  46. Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009, op. cit., p. 264.
  47. Gérard Chauvy, Aubrac, Lyon, 1943, Albin Michel, 1997 (ISBN 2-226-O8885-7), p. 371-423.
  48. Boulevard des hirondelles réalisé par Josée Yanne.
  49. Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 442-445.
  50. Gérard Chauvy, Aubrac..., op. cit., p. 266-268.
  51. a et b « Les Aubrac et les historiens », Libération, 9 juillet 1997 (l'intégralité des débats et d'autres articles parus dans le cours du mois de juillet).
  52. Lucie Aubrac, Corinne Bouchoux Cette exigeante liberté, L'Archipel, avril 1997.
  53. Dossier de Libération, 9 juillet 1997, p. XVI
  54. Dossier de Libération, 9 juillet 1997, p. XXII-XXIII
  55. Henri Rousso, De l'usage du « mythe nécessaire », Libération, 11 juillet 1997.
  56. Serge Klarsfeld, « Affaire Aubrac : Serge Klarsfeld répond à Jean-Pierre Azéma », Libération, 1er septembre 1997.
  57. Jean-Pierre Vernant, Faut-il briser les idoles ?, Libération, 12 juillet 1997.
  58. Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009 op. cit..
  59. Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009 op. cit., p. 12-13.
  60. Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009 op. cit., p. 110-140.
  61. Créer c'est résister, résister c'est créer, treize personnalités du Conseil national de la Résistance, pour le 60e anniversaire du programme. [archive]
  62. Pour un autre Programme, la préface de Lucie et Raymond Aubrac [archive], sur lautrecampagne.org.
  63. « Hommage solennel à Mme Lucie Aubrac » [archive] – « M. Jacques Chirac, président de la République, rend un hommage solennel à Mme Lucie Aubrac aux Invalides. », site de la présidence de la République française, 21 mars 2007.
  64. « Aux Invalides, la France rend un hommage solennel à Lucie Aubrac » [archive], 21 mars 2007, sur anciencombattant.com.
  65. « Allocution en hommage à Lucie Aubrac » [archive] – « Allocution de M. Jacques Chirac, président de la République, en hommage à Lucie Aubrac », site de la présidence de la République française, 21 mars 2007.
  66. Raymond Aubrac. Une BD américaine de 1944 raconte la résistance du couple [archive], Ouest France, 11 avril 2012. Consulté le 11 avril 2012
  67. Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009 op. cit., p. 58.
  68. Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009 op. cit., p. 137.
  69. Laurent Douzou, Lucie Aubrac, 2009 op. cit., p. 248.


Raymond Aubrac, de son vrai nom Raymond Samuel, né le 31 juillet 1914 à Vesoul et mort le 10 avril 2012[1],[2],[3],[4] à l'hôpital militaire du Val-de-Grâce à Paris[5], est un résistant français à l'Occupation allemande et au régime de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale.

Ingénieur civil des Ponts et Chaussées (promotion 1937). Il est spécialement connu pour s'être engagé avec son épouse Lucie dès 1940 dans la Résistance intérieure française. Sous le pseudonyme Aubrac, aux côtés d'Emmanuel d'Astier de La Vigerie, il participe, dans la région lyonnaise, à la création du mouvement Libération-Sud, plus tard intégré dans les MUR dont le bras armé fut l'Armée secrète : Aubrac y secondera le général Delestraint.

À la Libération, il est nommé commissaire de la République à Marseille, puis responsable du déminage au ministère de la Reconstruction. Compagnon de route du PCF, il crée ensuite BERIM, un bureau d'études investi dans les échanges Est-Ouest avant de devenir conseiller technique au Maroc et fonctionnaire de la FAO.

Ami d'Hô Chi Minh depuis 1946, il est sollicité par Henry Kissinger pour établir des contacts avec le Nord Vietnam, pendant la guerre du Viêt Nam entre 1967 et 1972.

Formation et itinéraire jusqu'en 1940

L'Histoire de France semble marquer le jeune Raymond Samuel dès sa naissance, puisqu'il naît le 31 juillet 1914, le jour de l'assassinat de Jean Jaurès et à la veille de la Première Guerre mondiale. Raymond Samuel est fils de commerçants juifs aisés, propriétaires de magasins de confection à Vesoul et à Dijon[6]. Son père Albert est né à Vesoul le 2 mars 1884[7], sa mère, Hélène Falk[8] née, le 2 mars 1894[9], à Crest, dans un milieu de petits commerçants, est plus intellectuelle. La pratique religieuse des deux parents est peu prononcée[10]. Le père est plutôt conservateur alors que la mère est sensible aux idées progressistes[10]. Le jeune Raymond passe son enfance et sa jeunesse dans une dizaine de villes de province, fréquente les Éclaireurs de France, laïques, mais aussi un cercle d'études juives.

Après le baccalauréat, il devient interne à Paris au Lycée Saint-Louis, échoue au concours d'entrée de Polytechnique et entre à l'École nationale des ponts et chaussées en 1934[10]dont il sort diplômé en 1937, dans la même promotion que le prince Souphanouvong, un des fondateurs du Pathet Lao et premier président de la République Démocratique Populaire du Laos.[11]. Pendant ces années étudiantes, Raymond fréquente l'Université ouvrière, un cercle d'études marxistes où enseignent des intellectuels communistes comme Gabriel Péri ou Georges CogniotParti communiste, il n'en devient pas adhérent[11]. Comme la majorité des élèves de grandes écoles, il suit la « PMS » (préparation militaire supérieure) ce qui lui permet d'être officier pendant son service militaire[11]. Auparavant, bénéficiaire d'une bourse d'études, il est parti aux États-Unis en août 1937 pour le Massachusetts Institute of Technology(MIT) et l'Université Harvard[6] où il a l'occasion de suivre les cours de Joseph Schumpeter. mais, s'il reste proche du

Il fait son service militaire comme officier du génie sur la Ligne Maginot au moment où éclate la Seconde Guerre mondiale. Il retrouve à Strasbourg Lucie Bernard qu'il a déjà rencontrée à Paris dans des réunions d'étudiants communistes et qu'il épouse le 14 décembre 1939[6]. Fait prisonnier par les Allemands le 21 juin 1940, il s'évade avec l'aide de sa femme et tous deux gagnent la zone libre[6].

Les années durant la Résistance intérieure française

Le couple Samuel s'installe à Lyon où Raymond a des tantes maternelles. Raymond trouve un emploi d'ingénieur dans un cabinet de brevets et Lucie obtient un poste au lycée de jeunes filles Edgar-Quinet[12]. En octobre 1940, de passage à Clermont-Ferrand, Lucie retrouve Jean Cavaillès, professeur de philosophie et qui a été son collègue à Strasbourg. Celui-ci lui présente Emmanuel d'Astier de La Vigerie, journaliste, qui a créé deux mois plus tôt une organisation anti-nazie et anti-vichyste dénommée « La dernière Colonne »[12]. Cette rencontre est décisive. Raymond et elle consacrent alors tout leur temps libre aux activités de cette organisation : diffusion de tracts, recrutement, sabotages... À partir du mois de mai 1941, après la naissance de Jean-Pierre, leurs fils ainé, ils aident Emmanuel d'Astier à concevoir un journal dont la parution du 1er numéro, deux mois plus tard, marque la naissance du mouvement Libération[12].

Sous divers pseudonymes dont celui d'Aubrac, Lucie et Raymond contribuent à faire de Libération le mouvement de résistance le plus important en zone Sud après le mouvement Combat fondé par Henri Frenay[6]. Les époux Aubrac, puisqu'il convient désormais de les appeler ainsi, appartiennent au noyau central du mouvement « non en vertu de nos mérites, écrira plus tard Raymond, mais comme souvent dans les organisations clandestines, du fait du hasard, des contacts et de l'amitié »[13]. C'est ainsi que Raymond a eu l'occasion de rencontrer tous les dirigeants de Libération-Sud, mais aussi Yves Farge de Franc-Tireur, Henri Frenay, de Combat ou des envoyés de Londres comme Yvon Morandat[14]. Emmanuel d'Astier apprécie les talents d'organisateur de Raymond Aubrac et en été 1942, il lui confie la direction de la branche paramilitaire du mouvement qui vient d'être créée[6].

Au printemps 1941, Raymond avait été congédié du cabinet de brevets où il travaillait, le patron de celui-ci, André Armengaud ayant expliqué qu'avec le développement de ses affaires avec Berlin, il ne souhaitait pas laisser son bureau de Lyon sous la responsabilité d'un Juif. Raymond se met alors au service d'une entreprise de travaux publics[12].

À partir de 1942 et de l'arrivée en France de Jean Moulin, Libération-Sud se trouve impliqué dans la démarche d'unification des mouvements de résistance de la zone sud aux côtés de Combat et de Franc-Tireur. L'Armée secrète est le nom donné au regroupement des branches militaires des différents mouvements. Le commandement en est confié au général Charles Delestraint et Aubrac est intégré à la sorte d'état-major réuni autour de Delestraint[15]. En novembre 1942, la zone Sud a été envahie par les Allemands, et les résistants sont pourchassés directement par la Gestapo dirigée à Lyon par Klaus Barbie, mais c'est par la police lyonnaise qu'Aubrac est arrêté le 15 mars 1943. Il obtient sa mise en liberté provisoire le 10 mai[6]. Le 24 mai[16] Lucie organise, avec la participation de son mari[17], l'évasion de l'hôpital de l'Antiquaille, de leurs compagnons Serge Ravanel, Maurice Kriegel-Valrimont et François Morin-Forestier[18],[19]. Le 21 juin, Raymond est à nouveau arrêté, cette fois-ci par la Gestapo, à Caluire, avec Jean Moulin et d'autres participants à cette réunion qui avait pour but de régler des conflits internes entre Jean Moulin et les mouvements de Résistance en zone Sud : le DrFrédéric Dugoujon, leur hôte de la villa Castellane, Henri Aubry, du mouvement Combat, Bruno Larat, Lassagne, de Libération-Sud, le colonel Lacaze, du 4e bureau de l'Armée secrète et le colonel Schwartzfeld, responsable du mouvement lyonnais France d'abord[20]. René Hardy[20]. parvient à s'enfuir dans des conditions controversées qui le rendent suspect de trahison

Raymond Aubrac est emprisonné à la prison de Montluc de Lyon. Il s'évade le 21 octobre 1943[6]. Après cette évasion, Lucie enceinte, Raymond et leur fils Jean-Pierre entrent dans la clandestinité, de refuge en refuge[21]. Ils parviendront à rejoindre Londres en février 1944. Auparavant, ils auront appris, en décembre 1943, que les parents de Raymond et son frère Paul ont été arrêtés comme Juifs, dirigés sur Drancy avant de périr, assassinés, à Auschwitz[22]. Albert et Hélène Samuel sont déportés par le convoi n° 66 du 20 janvier 1944 [23].Lucie accouche, le 12 février 1944, d'une fille, Catherine (Catherine Vallade)[24]. pendant son transfert de l'École de santé militaire à la prison grâce à une opération montée par Lucie

Il ne semble pas que pendant ces années de Résistance, Aubrac se soit associé à des tentatives de noyautage communiste de la Résistance non communiste : sollicités en ce sens par Maurice Kriegel-Valrimont, qu'ils avaient par ailleurs en estime, Raymond et Lucie Aubrac n'ont pas donné suite[25].

Alger (février-août 1944)

Lucie Aubrac avait été désignée pour siéger à l'Assemblée consultative d'Alger comme représentante de Libération-Sud. Son accouchement l'oblige à rester à Londres, mais Emmanuel d'Astier qui est depuis novembre 1943 à Alger où il a été nommé commissaire à l'intérieur du Comité français de la libération nationale (CFLN) demande à Raymond de venir le rejoindre et c'est donc ce dernier qui siège à l'assemblée où, selon ses propres dires, il s'ennuie[26]. Après avoir été reçu par de Gaulle en avril 1944, il est nommé directeur des affaires politiques au commissariat de l'Intérieur où son rôle aurait notamment été d'atténuer les tensions entre d'Astier et Passy, chef du Bureau central de renseignements et d'action (BCRA), le service de renseignements et d'action de la France libre. Au Conseil des ministres, la nomination d'Aubrac soulève les objections de Henri Frenay et de René Mayer qui déclarent « qu'il y a déjà trop d'israélites au commissariat à l'intérieur ». De Gaulle avait clos le débat, mais Aubrac ayant eu vent de l'incident démissionne de l'Assemblée et s'engage dans les parachutistes avec son grade de sous-lieutenant[27]. Convoqué quelques semaines plus tard par de Gaulle[28], Aubrac se voit proposer un certain nombre de postes mais refuse de sortir de l'alternative entre directeur des affaires politiques et parachutiste[27]. Après le débarquement en Normandie, un compromis sera trouvé et Aubrac aurait dû être représentant du Gouvernement dans la zone libérée, au centre de la France, par l'opération aéroportée Caïman qui n'aura finalement pas lieu. Le 6 août 1944, alors que se prépare le débarquement de Provence, Aubrac est nommé commissaire régional de la République pour une zone qui correspond, approximativement, à la Provence et la Côte d'Azur[29].

Commissaire de la République à Marseille (fin 1944)

Après le débarquement de Provence, le 15 août 1944, Aubrac réside donc à Marseille jusqu'en janvier 1945 où il est remplacé par Paul Haag. Dans les mémoires qu'il publie en 1996, Raymond Aubrac met en avant les deux handicaps qui conditionnaient l'exercice de ses fonctions : son jeune âge et son impréparation pour exercer ses fonctions et ensuite son isolement, résultant en partie du manque de préparation : il n'avait guère eu le temps de choisir ses collaborateurs[30]. Il souffre aussi de l'éloignement de sa femme Lucie au sujet de laquelle il écrit « Lucie, dont la perspicacité et l'intuition ont été, tout au long de ma vie, mon plus sûr soutien, n'était pas à mes côtés »[30]. Lucie a en effet pris sa place à l'Assemblée consultative de Paris, mais il semble qu'elle ait rejoint son mari à Marseille au bout de quelques semaines[6],[31]. Aubrac met également en avant les questions qui l'ont le plus absorbé pendant son mandat : le ravitaillement, les forces de l'ordre, l'épuration, les réquisitions d'entreprises, le relèvement des salaires et les rapports avec les autorités alliées[30].

De Gaulle avait averti l'intéressé que le choix du commissaire de la République à Marseille avait été difficile : « Avec l'accord de la Résistance, le choix s'est porté sur vous [...] »[29]. Il aurait été question de nommer Gaston Monmousseau à ce poste[32], mais de Gaulle mesure au plus près les postes de l'appareil d'État qu'il convient d'accorder aux communistes[33]. Le contexte de la période où Aubrac est en poste à Marseille est en effet un moment crucial des rapports entre de Gaulle et les communistes : la dissolution des milices patriotiques, dominées par les communistes, le 28 octobre 1944 est condamnée par le PCF. Mais le même jour, le Conseil des ministres donne un avis favorable au retour de Maurice Thorez qui condamnera les milices patriotiques quelques semaines plus tard[34]. Emmanuel d'Astier de la Vigerie, considéré comme proche du PCF, est remplacé au commissariat à l'Intérieur par un socialiste, Adrien Tixier. C'est dans ce contexte politique qu'il faut apprécier le passage d'Aubrac à Marseille.

Aubrac qui, à l'époque n'est pas encore identifié comme proche des communistes[32] s'acquittera de sa tâche en s'appuyant largement sur la CGT, très forte à Marseille et sur les communistes locaux, en particulier Jean Cristofol provoquant l'hostilité croissante de la part des socialistes locaux dont la figure de proue était déjà Gaston Defferre, nommé par Aubrac président de la délégation municipale, c'est-à-dire maire de la ville[35]. La police que le commissaire régional trouve à son arrivée a été largement compromise avec le régime de Vichy[32]. Pour que l'épuration soit menée par les forces de l'ordre plutôt que par les milices patriotiques, Aubrac institue le 23 août 1944 les Forces républicaines de sécurité (FRS), précurseurs des Compagnies républicaines de sécurité. Les FRS recrute essentiellement dans les rangs des Francs-tireurs et partisans et des milices patriotiques. Selon les mots de l'historien Philippe Buton, « Première forme d'une « police démocratisée », ces FRS et leurs 3 100 policiers se distinguent des milices patriotiques par leur statut officiel, mais s'en rapprochent par le poids décisif du PCF en leur sein[36]. »

À la Libération, surtout dans la zone Sud, il se développe un mouvement de gestion ouvrière des entreprises souvent lié aux organisations ouvrières locales. À Marseille, l'animateur du mouvement est Lucien Molino, cadre communiste et secrétaire de l'Union départementale CGT des Bouches-du-Rhône[37]. Aubrac le reçoit dès son arrivée à Marseille, le 24 août[38]. Entre le 10 septembre et le 5 octobre, il ordonne la réquisition de quinze entreprises comprenant au total 15 000 ouvriers. Pour Aubrac, c'est en consultant les responsables syndicaux qu'on peut choisir parmi les principaux ingénieurs de chaque entreprise celui qui réunit compétence, autorité et confiance du personnel[38]. Les directeurs sont donc nommés après accord de la CGT, mais aussi, on institue des cours de syndicalisme, des permanents syndicaux et politiques sont rétribués par les entreprises[37]. Cette affaire de réquisitions contribue à le faire passer pour proche des communistes aux yeux des socialistes de la région et sera l'un des éléments de son départ[6]. Plus tard, dans ses mémoires, Aubrac explicitera ainsi la situation politique à Marseille : « La rivalité politique à Marseille est une vieille histoire. Il m'est apparu après la Libération, tandis que les partis classés plus à droite n'étaient pas encore restructurés dans la région, que les socialistes marseillais avaient cherché des alliés dans les couches les plus modérées de l'opinion [...][35] ».

Sa fonction de commissaire de la République le place également à la tête de l'épuration. Il réclame ainsi l'arrestation de Jean Giono qui surviendra le 8 septembre 1944[39].

Le déminage et le ministère de la reconstruction (1944-1948)

De retour à Paris, Aubrac rencontre le ministre de la Reconstruction Raoul Dautry qui lui propose le poste de commissaire aux Travaux pour la Bretagne. Quelques semaines plus tard, il est nommé inspecteur général, responsable des opérations de déminage sur l'ensemble du pays. Au milieu de l'année 1945, les effectifs directement affectés au déminage se composent de 3 000 démineurs civils et 48 500 prisonniers de guerre. Les pertes sont grandes : 500 tués et 700 blessés parmi les Français et environ 2 000 tués et 3 000 blessés parmi les Allemands. La question s'était posée de savoir si l'emploi de prisonniers de guerre était conforme aux conventions de Genève. Il ne l'était évidemment pas. L'argument qui emporta finalement l'adhésion du ministre Dautry était que les mêmes conventions de Genève n'autorisaient pas les armées à laisser derrière elles des mines qui tuaient des civils. Aubrac n'accepte pas la proposition de Dautry de le suivre au CEA qu'il avait pour mission de créer avec Frédéric Joliot-Curie. Il reste au ministère de la Reconstruction avec les ministres communistes François BillouxCharles Tillon, jusqu'en 1948, où les communistes ayant quitté le gouvernement, le MRP Jean Letourneau prend la tête du ministère et nomme Aubrac inspecteur général. Le manque d'affinités avec le nouveau ministre pousse Aubrac à quitter la haute administration[6],[40]. et

BERIM (1948-1958)

En 1948, Aubrac, qui se définira à cette époque comme « compagnon de route » du Parti communiste[41] quitte l'administration et le grade honorifique d'inspecteur général auquel il avait été promu et fonde un bureau d'études, BERIM[42] (Bureau d'études et de recherches pour l'industrie moderne), qui est un bureau d'études, avec trois associés : Marc Weil, Marcel Mosnier et René Picard. Les quatre fondateurs sont communistes ou « communisants ». Dans les premières années, BERIM agit principalement dans les villes de la région parisienne à municipalité communiste et dans les communes sinistrées de Normandie, de Bretagne et des Vosges. Le bureau d'études participe à l'urbanisme en établissant des projets de réseaux – eaux, égouts, circulation – ou en intervenant auprès d'architectes investis dans les grands ensembles immobiliers[43].

Dès l'été 1948, BERIM développe ses activités dans les pays de l'Est de l'Europe, où Aubrac voyage beaucoup, mais c'est avec la Tchécoslovaquie qu'il aura l'activité professionnelle la plus intense. BERIM fait ainsi partie d'une nébuleuse d'entreprises de diverses natures : financière, bureau d'étude, export-import, proches du PCF et qui sont le point de passage obligé pour tout échange industriel ou commercial avec les pays de l'Est. Aubrac est ainsi en relation avec Jean Jérôme, responsable des finances occultes du PCF très investi dans les échanges commerciaux avec les Partis frères, Charles Hilsum, président de la Banque commerciale pour l'Europe du Nord[44]. La plus grosse affaire qu'Aubrac doit traiter concerne une transaction compliquée à propos d'un laminoir impliquant, dans le contexte de la guerre froide, les États-Unis, la Tchécoslovaquie et l'Allemagne. Cette affaire s'étale de 1948 à 1952. L'un des interlocuteurs tchèques d'Aubrac est Artur London, arrêté en 1951 lors des Procès de Prague[44]. Dans ses mémoires, Aubrac écrit que c'est en 1956, lorsqu'il a retrouvé London à sa sortie de prison, qu'il a découvert les horreurs de la police de Staline, ce qui marquera de façon déterminante ses réflexions politiques et ses choix de vie. La découverte des horreurs du stalinisme n'est pas contradictoire avec une image plutôt positive de ces « sociétés socialistes où la pesanteur d'une économie difficile faisait apprécier par contraste un effort d'équité sociale dans les domaines de l'éducation et de santé publique en même temps que l'absence de chômage »[44].

À partir de 1953, toujours dans le cadre de BERIM, Aubrac établit des contacts avec la Chine. Il s'agissait à l'époque d'établir des relations commerciales entre la France et la Chine. En août 1955, il organise le voyage d'Edgar Faure dans ce pays[45]. Le récit d'Artur London, le besoin de changement[45] et une baisse de son intérêt pour BERIM – qui se spécialise de plus en plus dans les échanges commerciaux plutôt que dans les activités de bureau d'études[44] –, tels sont les éléments poussant Aubrac à quitter le BERIM en 1958 pour devenir conseiller technique au Maroc.

Le Maroc et la FAO

En 1958, le Maroc est un pays ayant récemment accédé à l'indépendance. Le vice-président du Conseil du gouvernement de Ahmed Balafrej, Abderrahim Bouabid, propose à Aubrac de travailler en liaison avec le Gouvernement du Maroc. Aubrac accepte et s'installe au Maroc pour cinq ans. De fait, de 1958 à 1976, sa carrière professionnelle sera consacrée à ce qu'on appelait couramment les pays en voie de développement[46]. Conseiller technique au Maroc, il s'occupe aussi bien de l'implantation de nouvelles industries que du développement de surfaces irriguées. « Le jeune Maroc, écrit Aubrac, était planificateur »[46]. Il se trouve donc à l'aise dans le milieu des ministres progressistes du jeune État et des conseillers français, souvent formés à l'ENA ou au commissariat au Plan. La grande affaire de son passage au Maroc est le développement de la culture de la betterave sucrière, une suggestion de René Dumont lors d'une visite effectuée en décembre 1959[46].

À partir de 1964, Aubrac est en poste à Rome à la FAO, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, où, avec le titre de directeur, il s'occupe, entre autres choses de la mise en place de bases de données informatiques[47].

Hô Chi Minh et le Vietnam

La fille de Raymond Aubrac, Elisabeth Aubrac, et son épouse Lucie Aubrac avec Ho Chi Minh (1946).

À la fin de la Seconde Guerre mondiale et après l'écroulement du Japon qui avait occupé l'Indochine française, Hô Chi Minh proclame la création de la République démocratique du Vietnam dont il devient président en mars 1946. Au mois de juillet, il est en France pour tenter de négocier, la reconnaissance par la France de l'indépendance du Vietnam[48]. Aubrac est invité par une association de travailleurs vietnamiens qu'il avait connue, lorsqu'il était commissaire de la République à Marseille, à la réception en l'honneur du dirigeant vietnamien au parc de Bagatelle. Aubrac et Hô Chi Minh sympathisent et finalement, Hô Chi Minh demande à séjourner dans la maison des Aubrac à Soisy-sous-Montmorency plutôt qu'à l'hôtel où il souffre de n'avoir pas de jardin[49]. Dans ses mémoires, Aubrac concède que cette installation n'était probablement pas un pur hasard, et que l'appartenance du Vietnamien à la haute hiérarchie du mouvement communiste international impliquait sans doute que ce soit les camarades français qui avaient pu arranger la chose, Lucie et Raymond Aubrac, clairement influencés par les analyses du Parti communiste pouvant être considérés comme des sympathisants actifs[49]. Pendant l'été 1946, Hô Chi Minh partage la vie de la famille Aubrac. Pendant ce séjour, Lucie met au monde une fille, Babette (Elisabeth Helfer Aubrac), et Hô Chi Minh, en visite à la maternité décide qu'il en sera le parrain, sans aucune référence religieuse, évidemment. Jusqu'à la fin de sa vie, quelles que soient les circonstances, l'oncle Hô fera parvenir à Babette un petit cadeau ou un souvenir à chacun de ses anniversaires. Jusqu'en 1952, Tran Ngoc Danh, représentant de Hô Chi Minh à Paris, rend souvent visite à la famille Aubrac[49].

Connu pour être l'ami d'Hô Chi Minh, Aubrac est sollicité à deux reprises pendant la guerre d'Indochine pour aller rencontrer le dirigeant révolutionnaire : Vincent Auriol, président de la République d'abord, et René Mayer, président du Conseil, ensuite. Il ne donne pas suite à ces demandes[49].

Au milieu de l'année 1967, alors que la guerre du Vietnam s'intensifie, Henry Kissinger, professeur de sciences politiques et alors simple consultant du gouvernement Johnson prend contact avec Pugwash[50], un groupe de scientifiques américains, soviétiques, britanniques et français, qui s'efforçait de réduire les menaces sur la sécurité mondiale[50], en vue d'établir des contacts avec le Nord-Vietnam en vue d'une possible négociation[50]. Cette démarche de Kissinger aboutit au voyage secret à Hanoï d'Aubrac et d'Herbert Marcovitch[50], microbiologiste de l'Institut Pasteur[50]. Le 24 juillet, Aubrac rencontre Hô Chi Minh[50] qu'il trouve affaibli – il a 77 ans – et le lendemain, avec Marcovitch, ils ont une rencontre plus longue avec Pham Van Dông[50], ministre des Affaires étrangères. L'objet des discussions est l'arrêt des bombardements américains sur le Nord-Vietnam et les négociations qui pourraient en résulter[50]. Jusqu'au mois d'octobre, Aubrac a de nombreux entretiens à Paris avec Kissinger et le représentant nord-vietnamien en France, Maï Van Bô, sans effet immédiat[51],[50], mais le 31 mars 1968, dans une intervention télévisée, en même temps qu'il annonce sa décision de ne pas se représenter aux élections présidentielles, Johnson annonce l'arrêt des bombardements[50], ce qui débouchera, le 3 mai sur un accord avec le Nord-Vietnam pour que des négociations s'ouvrent à Paris[52]. En décembre 1968, alors que Richard Nixon s'apprête à prendre ses fonctions avec Kissinger comme conseiller, Aubrac rencontre à nouveau Kissinger à New York. Jusqu'en 1972, il le rencontrera plus d'une douzaine de fois. Dans la même période, il assure ainsi la liaison avec Maï Van Bô et les Vietnamiens de Paris[50]. Ces contacts ont lieu parallèlement à conférence officielle de Paris, avenue Kléber et d'autres contacts plus secrets. Pendant la même période, Aubrac est impliqué avec la FAO dans le « projet Mekong » dont l'objectif est de régulariser le cours du Mékong à partir de sa sortie du territoire chinois[53].

En 1972, alors que la conférence de Paris s'éternise et que Nixon intensifie les bombardements qui menace les digues du delta du Tonkin, le secrétaire général de l'ONU, Kurt Waldheim qui souhaite impliquer les Nations unies dans les négociations de Paris, fait appel, lui aussi, aux bons offices d'Aubrac. Devant l'inefficacité de Waldheim, Aubrac tente de faire intervenir le pape Paul VI. Le 4 juillet, il obtient une audience auprès du secrétaire d'État du Saint-Siège, Mgr Casaroli. Le 9 juillet, Paul VI consacre son exhortation dominicale, depuis sa fenêtre de la place Saint-Pierre, au Vietnam, il appelle à une solution « sur la base du respect des principes d'indépendance, d'unité et d'intégrité territoriale » et insiste sur les clauses des accords de 1954 « qui préservent d'opérations militaires offensives ». En même temps, le pape fait parvenir par le nonce apostolique de Paris des messages aux différentes délégations. Le matin même du 9 juillet, il avait reçu le secrétaire d'État américain William P. Rogers et il lui avait « parlé fort » des bombardements. De fait, les bombardements ne cessent pas, mais l'aviation américaine reçoit l'ordre d'épargner les digues. À la suite des accords de Paris, du 23 janvier 1973, qui prévoient un cessez-le-feu, Aubrac assiste Waldheim à la conférence internationale réunie pour prolonger les accords de Paris et mettre sur pied un programme de reconstruction. C'est dans le prolongement de cette conférence qu'il se trouve à Hanoï le 30 avril 1975, jour où les blindés nord-vietnamiens rentrent dans Saïgon. Il raconte : « Et comme tous les habitants de Hanoï, je sortis dans la rue […] des centaines de milliers de gens étaient dehors. La foule était silencieuse, paisible ou plutôt apaisée. J'ai vu dans ma vie bien des foules. Celles du Front populaire et de la Libération de Marseille. Jamais je n'ai rien vu de semblable. La paix, c'était donc cela. »[54]

Derniers engagements, prises de position et reconnaissances

En juillet 2003, il participe à l'appel « Une autre voix juive », qui regroupe des personnalités juives solidaires du peuple palestinien, pour une paix juste et durable au Proche-Orient.

Il continue à participer à la vie citoyenne, prenant des positions tranchées comme lorsqu'il signe ainsi, à l'appel de plusieurs organisations dont l'Union juive française pour la paix (UJFP) dont il est adhérent[55], en août 2006, un appel contre les frappes israéliennes au Liban, paru dans Libération et L'Humanité. Il est membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine dont les travaux ont commencé le 4 mars 2009. En Octobre 2008, il devient un des premiers membres du comité de soutien des vétérans des essais nucléaires et participe à une marche vers Matignon pour remettre au premier Ministre 16 000 pétitions en faveur de la reconnaissance et de l'indemnisation des vétérans des essais nucléaires. Il a également signé l'appel collectif de résistants de la première heure à la commémoration du 60e anniversaire du Programme du Conseil national de la Résistance du 15 mars 1944. Ce texte enjoint notamment « les jeunes générations à faire vivre et retransmettre l'héritage de la Résistance et ses idéaux toujours actuels de démocratie économique, sociale et culturelle. »[56]

Avec son épouse, il signe la préface du livre collectif L'Autre Campagne (La Découverte, 2007) faisant des propositions alternatives à celles des divers candidats aux élections présidentielles de 2007[57].

Le 17 mai 2009, à l'occasion du rassemblement citoyen organisé par le collectif CRHA (Citoyens résistants d'hier et d'aujourd'hui), il prononce un discours au plateau des Glières et accepte, aux côtés de Stéphane Hessel, de devenir parrain de l'association.

Raymond Aubrac a été nommé citoyen d'honneur de la ville de Villeneuve-d'Ascq le 10 janvier 2012[58].

Raymond et Lucie

Raymond Aubrac, accompagné de sa femme Lucie, lors du procès Barbie à Lyon en juin 1987.
Raymond Aubrac, accompagné de sa femme Lucie, lors du procès Barbie à Lyon en juin 1987. Crédits photo : STF/AFP

Dans ses mémoires, Raymond Aubrac souligne que son mariage en 1939 a été une étape décisive dans son itinéraire« (leur) union fut — et est toujours restée — heureuse et fondée sur une profonde connivence : il n'est pas de décision qui n'ait été prise en commun »[59]. Les témoins qui les ont connus font état de leurs tempéraments très différents. Par exemple, Serge Ravanel, leur compagnon de Libération-Sud évoque la première fois qu'il a rencontré le couple : « À Lyon, j'avais rencontré Raymond Aubrac et Lucie, sa femme. Lui, ingénieur des Travaux publics, calme, d'un humour distant, libéral au sens que le siècle des Lumières a donné à ce terme. Elle, pétillante de vie et d'autorité, continuait de mener une existence légale comme professeur d'histoire... »[60]

Raymond Aubrac et le communisme

Étudiant, Raymond Samuel a été initié au marxisme lorsqu'il fréquentait l'Université ouvrière, mais sans faire le pas d'adhérer, comme Lucie, aux Jeunesses communistes. De son année d'études effectuée aux États-Unis, en 1937-1938, lui reste un intérêt durable pour ce pays[61], si bien qu'il apparait comme un « libéral » à son compagnon de cellule, Serge Ravanel, lorsque tous deux sont internés à la prison Saint-Paul de Lyon, puis à l'hôpital de l'Antiquaille, avec Maurice Kriegel-Valrimont, étiqueté communiste et Raymond Hégo, Ravanel se considérant plutôt de droite, comme François Morin-Forestier[62].

Par la suite, Aubrac se rapprochera suffisamment du mouvement communiste pour que la conclusion qu'il a rédigée pour ses mémoires soit centrée sur son rapport avec les idées communistes et le Parti communiste français. Il explique d'abord qu'il s'est senti plus proche du progressisme de sa mère que du conformisme de son père, et si lorsqu'il était étudiant il était intéressé par le marxisme, mais n'a pas adhéré au Parti communiste, c'est « parce qu'il ne se sentait pas de la famille »[61]. Antimunichois, comme le Parti communiste, mais hostile aux procès de Moscou et au Pacte germano-soviétique, il se félicite, lorsque la guerre éclate de ne pas avoir adhéré[61]. Après l'attaque de l'Union soviétique par Hitler, il voit à l'œuvre les hommes et les femmes du Parti communiste, et reste marqué par la dimension de leur courage et de leur dévouement. Les intrigues et les crimes du communisme stalinien étaient alors, écrit-il, soigneusement cachés[61]. C'est ainsi tout naturellement qu'il collabore avec les communistes lorsqu'il est commissaire de la République à Marseille, qu'il apprécie les ministres communistes de la Reconstruction, qu'il participe à la fondation du Mouvement de la Paix et qu'il travaille en bonne intelligence avec les municipalités communistes ou avec les « démocraties populaires » lorsqu'il dirige BERIM[61]. Il admire les réalisations sociales de ces pays. Les Procès de Prague, au début des années 1950, ont une influence décisive sur sa relation avec le Parti communiste « si j'avais été membre du Parti, écrit-il, je l'aurais quitté. »[61]. À propos de sa rencontre avec Hô Chi Minh, Aubrac relève que : « Bien entendu, l'installation de Hô Chi Minh chez nous, en 1946, ne s'explique pas sans une sorte de feu vert donné par ses amis communistes français […]. Par la suite […] si j'avais à un moment quelconque marqué publiquement mon opposition au Parti communiste, les Vietnamiens m'eussent retiré une confiance qui était la condition nécessaire à mes interventions. » Mais Aubrac tient à souligner que cette absence de critique vis-à-vis du Parti communiste n'était pas seulement dictée par des considérations diplomatiques : « Ce n'est pas pour conserver cette confiance que je n'ai jamais professé d'opinions anticommunistes. Même après l'effondrement du régime soviétique, même après la « libération » des démocraties populaires, je n'ai jamais éprouvé le besoin d'un tel geste. »[61]

Dans son livre, Les Aveux des archives, publié en 1996, au même moment que les mémoires d'Aubrac, Où la mémoire s'attarde, Karel Bartošek s'étend sur les rapports entre les Partis communistes français et tchécoslovaque entre 1948 et 1968 et défend notamment la thèse selon laquelle le rôle d'Aubrac, au moment où il fréquentait Prague pour le compte de BERIM, dépassait largement le cadre strictement technique et qu'il défendait aussi les intérêts du Parti communiste français (PCF). Karel Bartošek est un dissident après le Printemps de Prague et il est exilé en France depuis 1982, le titre de son livre fait référence à Artur London dont il écorne quelque peu l'image[63]. Pour la rédaction du livre, Bartošek a rencontré Aubrac à trois reprises, en octobre 1994, novembre 1995 et janvier 1996 et lui a montré les pièces d'archives le concernant. Les commentaires d'Aubrac ont été reproduits dans le livre, ils concernent évidemment BERIM et ne diffèrent pas des passages qu'Aubrac consacre au bureau d'études dans ses mémoires[64]. L'ensemble des documents retrouvés dans les archives du Parti communiste tchèque (PCT), ou du ministère des Affaires étrangères concernant BERIM montrent que BERIM ne pouvait opérer à Prague qu'avec l'aval des communistes français, mais ceci n'est pas contradictoire avec la version qu'en donne Aubrac. Par contre, d'un procès-verbal d'entretiens de quatre pages, entre Rudolf Margolius[65], vice-ministre des Affaires étrangères et Aubrac, il ressort qu'Aubrac se comporte comme s'il représentait le PCF. Ainsi, à propos d'achats de métaux non ferreux « [...] le camarade Aubrac se réjouit de l'envoi de nos délégués qui décideront sur place et seront dotés de moyens financiers qui au début, devraient suffire en tant que caution. Le camarade Aubrac a déclaré que grâce à cette mesure s'offrirait finalement une possibilité d'aide plus efficace à nos camarades de France [...] »[66]. Selon Bartošek, après avoir lu ce procès-verbal, Aubrac, alors âgé de 80 ans, aurait déclaré : « Je ne sais pas. C'est peut-être vrai, ce n'est peut-être pas vrai. Je ne peux pas faire de commentaires là-dessus, je ne sais pas. »[66]

L'historien Laurent Douzou, auteur d'une thèse sur le mouvement Libération-Sud[67] pour laquelle il a beaucoup fréquenté le couple Aubrac note qu'aucun autre élément connu des archives françaises ou soviétiques ne vient corroborer le rôle suggéré d'Aubrac par cet entretien[6].

La polémique autour de Caluire

Les arrestations de Caluire du 21 juin 1943, par lesquelles la Gestapo de Lyon dirigée par Klaus Barbie parvient à mettre la main sur sept dirigeants de la Résistance intérieure française est un événement majeur de l'histoire de la Résistance parce que les Allemands finiront par reconnaître en l'un d'entre eux Jean Moulin, envoyé du général de Gaulle et président du tout nouveau Conseil national de la Résistance. Les éléments, probablement multiples, qui ont conduit la Gestapo jusqu'à la maison du docteur Dugoujon où se tenait la réunion n'ont jamais été établis avec une totale certitude[20]. C'est un événement majeur pour Aubrac, l'un des sept arrêtés, qui entraînera, de fait, la fin de ses activités de résistant sur le territoire français. L'organisation de son évasion a beaucoup contribué à la notoriété de sa femme Lucie après-guerre.

René Hardy, qui participait à la réunion est soupçonné dès le mois de juillet 1943 d'avoir trahi ; certains membres de Libération-Sud — dont Lucie Aubrac — sont convaincus de sa culpabilité et essayent de l'empoisonner, mais il bénéficie du soutien de la plupart des membres de Combat dont Henri Frenay[68]. Après-guerre, à l'issue de son premier procès qui s'ouvre en janvier 1947, il est acquitté au bénéfice du doute. En avril 1950, un second procès a lieu devant le tribunal militaire et Hardy est à nouveau acquitté bien qu'ayant perdu le soutien de Combat[20]. Ces deux procès permettent d'accumuler une masse documentaire importante sur l'affaire de Caluire.

En 1983, Klaus Barbie est extradé de Bolivie et il est jugé à Lyon en 1987, non pas pour les arrestations de Caluire ou des crimes perpétrés dans le cadre de la lutte contre la Résistance — pour lesquels il y a prescription — mais pour crimes contre l'humanité. Il est condamné à la peine maximum, la réclusion à perpétuité. Le 4 juillet 1990, Barbie demande à comparaître devant un juge accompagné de son avocat Jacques Vergès pour lui remettre un texte de 63 pages[69] que l'on appellera Testament de Barbie, qui circulera dans les salles de rédaction dès la mort de Barbie en 1991, mais ne sera connu du grand public qu'en 1997, avec la publication du livre de Gérard Chauvy : Aubrac, Lyon, 1943[70]. Dans ce « testament », Barbie présente Aubrac comme un agent à son service, qui aurait été « retourné » lors de sa première arrestation en mars 1943. Toujours selon ce document de Barbie, Lucie aurait été l'agent de liaison entre Aubrac et lui et elle aurait téléphoné à Barbie la date et le lieu de la réunion de Caluire[71],[69].

En mars 1997, juste après la sortie du film Lucie Aubrac, de Claude Berri, le journaliste et historien lyonnais Gérard Chauvy publie donc son livre Aubrac, Lyon, 1943 dans lequel il dévoile le Testament de Barbie et produit un certain nombre de documents d'archives connus ou inédits qui mettent en évidence les incohérences dans les différents récits et témoignages que Lucie et Raymond Aubrac ont fait depuis leur arrivée à Londres en 1944 sur les événements survenus à Lyon entre mars et octobre 1943. En conclusion, Chauvy, sans adhérer à la thèse de la trahison du Testament de Barbie, indique : « Aujourd'hui, aucune pièce d'archives ne permet de valider l'accusation de trahison proférée par Klaus Barbie à l'encontre de Raymond Aubrac, mais au terme de cette étude, on constate que des récits parfois fantaisistes ont été formulés[72]. » Le livre de Chauvy contenait cependant suffisamment d'ambiguïtés tendant à crédibiliser le Testament de Barbie pour que le couple Aubrac obtienne d'un tribunal la condamnation de Chauvy pour diffamation[6],[69].

Pour pouvoir répondre à la calomnie dont il estime être victime, Aubrac demande au journal Libération d'organiser une « réunion d'historiens ». Sous le nom de « table ronde », celle-ci se tient le samedi 17 mai 1997 dans les locaux du journal qui reproduit l'intégralité des débats dans un numéro spécial du 9 juillet[73]. Les participants à cette table ronde ont été choisis par Libération et Raymond Aubrac : François Bédarida, Jean-Pierre Azéma, Laurent Douzou, Henry Rousso et Dominique Veillon, spécialistes de l'histoire des « années noires » et de l'histoire de la Résistance. Daniel Cordier, compagnon de la Libération, « historien amateur » (biographe de Jean Moulin) est également présent. À la demande des Aubrac, sont également présents l'anthropologue de l'histoire de l'antiquité Jean-Pierre Vernant, en tant que « Résistant de la première heure » et Maurice Agulhon, historien du XIXe siècle[73].

Les historiens des arrestations de Caluire retiennent de ce débat que Lucie Aubrac a précisé que les livres qu'elle avait écrits comme Ils partiront dans l'ivresse ou Cette exigeante liberté[74][75], et que Raymond Aubrac ne savait pas expliquer pourquoi il avait donné plusieurs versions concernant la date exacte où il avait été reconnu par la Gestapo comme Aubrac. La raison pour laquelle Aubrac n'avait pas été transféré à Paris, comme ses camarades reste également un sujet d'interrogation pour les historiens présents dont aucun ne déclare donner un quelconque crédit aux accusations de Barbie-Vergès[76]. n'étaient pas des ouvrages historiques mais des récits qui se voulaient « justes »

Cette « table ronde » fut par ailleurs l'occasion d'une vaste polémique entre historiens sur la façon de traiter des témoins comme les Aubrac. Du côté des historiens ayant participé à la table ronde, Henri Rousso, par exemple, justifie l'interrogatoire quelque peu sévère du couple Aubrac, car, écrit-il un film comme Lucie Aubrac produit une confusion entre l'héroïne et la star, le héros, libre devant l'histoire n'ayant de compte à rendre à personne[77]. Pour un historien comme Serge Klarsfeld, au contraire, il est inconvenant de soupçonner à l'excès des héros de la Résistance « Personnellement, quand je suis confronté à l'un de ces acteurs ayant joué le rôle du « méchant », je ne lui reproche jamais que les actes qu'il a commis et je me sens blessé de voir reprocher à ceux qui ont joué le rôle du « gentil » les actes qu'ils auraient pu commettre[78]. »

En 2009, douze ans après la sortie du livre de Chauvy et dix-neuf ans après la rédaction du Testament de Barbie, aucun élément n'est venu étayer la thèse de Barbie ou donner un sens particulier aux contradictions relevées par Chauvy[79].

Distinctions

Notes et références

  1. « Le grand résistant Raymond Aubrac est mort à 97 ans » [archive], dépêche AFP du 11 avril 2012.
  2. « Mort du résistant Raymond Aubrac » [archive], Le Monde, 11 avril 2012.
  3. (en)French Resistance figure Raymond Aubrac dead at 97. AP. 11 April 2012. [archive]
  4. (en)Raymond Aubrac, an Exalted Leader of the French Resistance, Dies at 97. The New York Times, April 12, 2012. [archive]
  5. « Le grand résistant Raymond Aubrac est décédé » [archive], Le Point, le 11 avril 2012.
  6. a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, l et m Laurent Douzou, article « Raymond Aubrac », dans François Marcot (dir.), Dictionnaire historique de la Résistance, Robert Laffont 2006 (ISBN 2-221-09997-4), p. 354-355.
  7. Voir, Klarsfeld, 1978.
  8. Voir, (en)Albert Samuel. Geni. [archive]
  9. Voir, Klarsfeld, 1978.
  10. a, b et c Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, Éditions Odile Jacob, 1996 ; 2e édition de poche, 2000 (ISBN 2-7381-0850-4), p. 16-26.
  11. a, b et c Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 29-42.
  12. a, b, c et d Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 71-80.
  13. Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 81.
  14. Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 82-88.
  15. Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 98-101.
  16. Laurent Douzou, article « Serge Ravanel », dans François Marcot (dir.), Dictionnaire Historique de la Résistance, op. cit., p. 510-511.
  17. Lucie Aubrac, Ils partiront dans l'ivresse, Seuil, coll. « Points », Paris, 1997 (ISBN 2020316544 et 978-2020316545), p. 34-37.
  18. François Morin, pseudonyme Forestier, était du mouvement Combat.
  19. « Morin-Forestier François » [archive], sur memoresist.org, consulté le 14 décembre 2009.
  20. a, b, c et d Dominique Veillon, article « 21 juin 1943 – Les arrestations de Caluire », dans François Marcot (dir.), Dictionnaire Historique de la Résistance, op. cit., p. 625-626.
  21. Laurent Douzou, article « Lucie Aubrac », dans François Marcot (dir.), Dictionnaire Historique de la Résistance, Robert Laffont 2006 (ISBN 2-221-09997-4), p. 353-354.
  22. Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 139.
  23. Voir, Klarsfeld, 1978.
  24. Laurent Douzou, Lucie Aubrac, éd. Perrin, Paris, septembre 2009 (ISBN 978-2-262-02746-9), p. 146.
  25. Témoignage de Raymond Aubrac du 7 juillet 1987 donné à Philippe Buton et rapporté dans Les Lendemains qui déchantent, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1993 (ISBN 2-7246-0636-1), p. 70.
  26. Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 145-148.
  27. a et b Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 149-145.
  28. La chronologie de cette affaire n'est pas claire : dans ses mémoires Aubrac parle de plusieurs semaines mais donne le 4 avril comme date de la convocation par de Gaulle.
  29. a et b Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 154-155.
  30. a, b et c Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 159-162.
  31. Lucie était à Marseille le 15 septembre jour de la visite de de Gaulle (Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 159-162).
  32. a, b et c Philippe Bourdrel, L'épuration sauvage 1944-1945, Perrin, 2002 (ISBN 2-262-01750-6), p. 130-134.
  33. Il n'y aura aucun commissaire régional communiste, et seulement deux préfets, Jean Chaintron et Lucien Maujauvis (Philippe Buton, Les Lendemains..., op. cit., p. 127).
  34. Roger Bourderon, article « Milices patriotiques » dans François Marcot (dir.), Dictionnaire Historique de la Résistance, Robert Laffont, 2006 (ISBN 2-221-09997-4), p. 195-196.
  35. a et b Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 203.
  36. Philippe Buton, Les Lendemains..., op. cit., p. 140.
  37. a et b Philippe Buton, Les Lendemains..., op. cit., p. 148-149.
  38. a et b Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 174-175.
  39. Pierre Assouline, L'Épuration des intellectuels, 1996, p. 24.
  40. Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 209-226.
  41. Dans l'entretien qu'il a accordé à l'historien tchèque, Karel Bartosek, Aubrac évoque le cofondateur de BERIM, Mosnier : « Mosnier, c'est l'ingénieur qui a dirigé les usines Berliet à la Libération […] (Mosnier) était communiste. Yves Farge (qui avait nommé Mosnier) n'était pas communiste, il était comme moi, un peu fellow traveller. », dans : Karel Bartosek, Les Aveux des archives – Prague-Paris-Prague, 1948-1968, éditions du Seuil, 1996, (ISBN 2-02-025385-2), p. 121. »
  42. Entreprise toujours existante en 2009 « La ville » [archive], site de BERIM, berim.fr.
  43. Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 244-247.
  44. a, b, c et d Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 247-255.
  45. a et b Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 255-277.
  46. a, b et c Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 279-316.
  47. Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 427-442.
  48. Philippe Robrieux, Histoire intérieure du Parti communiste, tome 4, Fayard, 1984, p. 296-300.
  49. a, b, c et d Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 227-240.
  50. a, b, c, d, e, f, g, h, i, j et k Pierre Journoud, « Des artisans de paix dans le secret de la diplomatie – Vers un règlement pacifique de la guerre au Vietnam, 1967-1973 » [archive], 6 avril 2001, Institut Pierre Renouvin (université Paris-I).
  51. Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 319-354.
  52. Philippe Richer, L'Asie du Sud-Est, Imprimerie nationale, 1981 (ISBN 2-11-080758), p. 320-321.
  53. Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 355-368.
  54. Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 369-411.
  55. L'UJFP revendique Raymond Aubrac comme l'un de ses adhérents fidèles : « Communiqués de l'UJFP – En hommage à Lucie Aubrac » [archive], 17 mars 2007.
  56. Créer c'est résister, résister c'est créer, treize personnalités du Conseil national de la Résistance, pour le 60e anniversaire du programme. [archive]
  57. Pour un autre Programme, la préface de Lucie et Raymond Aubrac [archive], sur lautrecampagne.org.
  58. Raymond Aubrac avait noué des liens affectifs avec le collège Saint-Adrien, 12 avril 2012, Laurent Watiez, La Voix du Nord, http://www.lavoixdunord.fr/Locales/Villeneuve_d_Ascq/actualite/Secteur_Villeneuve_d_Ascq/2012/04/12/article_raymond-aubrac-avait-noue-des-liens-affe.shtml [archive]
  59. Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 454-456.
  60. Serge Ravanel, L'Esprit de résistance, Éditions du Seuil, (ISBN 2-02-019028-1), p. 77.
  61. a, b, c, d, e, f et g Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 447-453.
  62. Serge Ravanel, L'Esprit de résistance, op. cit., p. 106.
  63. Karel Bartošek, Les Aveux des archives..., op. cit.
  64. Karel Bartošek, Les Aveux des archives..., op. cit., p. 119-122
  65. Margolius, un des principaux interlocuteurs d'Aubrac fut condamné à mort au Procès de Prague en 1952.
  66. a et b Karel Bartošek, Les Aveux des archives…, op. cit., p. 123-127.
  67. Laurent Douzou, La Désobéissance, histoire d'un mouvement et d'un journal clandestins : Libération-Sud (1940-1944).
  68. Lucie Aubrac, Ils partiront dans l'ivresse, op. cit., p. 108-109
  69. a, b et c « Aubrac-Amouroux : un face-à-face pour l’Histoire » [archive], entretien avec Lucie et Raymond Aubrac, par Henri Amouroux, Le Figaro, 1997 ; sur lefigaro.fr.
  70. Gérard Chauvy, Aubrac, Lyon, 1943, Albin Michel, 1997 (ISBN 2-226-O8885-7), p. 371-423.
  71. Raymond Aubrac, Où la mémoire s'attarde, op. cit., p. 442-445.
  72. Gérard Chauvy, Aubrac..., op. cit., p. 266-268.
  73. a et b « Les Aubrac et les historiens », Libération, 9 juillet 1997 (l'intégralité des débats et d'autres articles parus dans le cours du mois de juillet).
  74. Lucie Aubrac, Corinne Bouchoux Cette exigeante liberté, L'Archipel, avril 1997.
  75. Dossier de Libération, 9 juillet 1997, p. XVI
  76. Dossier de Libération, 9 juillet 1997, p. XXII-XXIII
  77. Henri Rousso, De l'usage du « mythe nécessaire », Libération, 11 juillet 1997.
  78. Serge Klarsfeld, « Affaire Aubrac : Serge Klarsfeld répond à Jean-Pierre Azéma », Libération, 1er septembre 1997.
  79. Laurent Douzou, Lucie Aubrac, op. cit.
  80. Décret du 13 juillet 2010 portant élévation aux dignités de grand'croix et de grand officier [archive] sur Legifrance.gouv.fr. Consulté le 15 juillet 2010



L'hymne de la Résistance française

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