vendredi 12 juillet 2013

L'ami véritable




Quatre traités de Plutarque sont réunis dam ce livre : Avoir beaucoup d'amis ?, Ne pas confondre le flatteur et l'ami, Tirer profit de ses ennemis, Ecouter. Le premier définit l'amitié comme " la conjonction de la bienveillance, du charme et de la vertu ". Le traité suivant nous apprend à démasquer les faux amis. Le troisième explique comment nous devons réagir face à ceux qui nous détestent. Enfin dans Ecouter, Plutarque donne à un jeune étudiant des conseils sur la meilleure façon d'apprendre. L'ami selon Plutarque est celui qui, tout en nous voulant du bien, ose dire ce qui est bon ou mauvais pour nous, et sur lequel on peut compter. Est-ce de cette amitié-là que Montaigne, quelques siècles plus tard, dira qu'elle est " la chose la plus une et unie, et de quoi une seule est encore la plus rare à trouver au monde " ?

D'après cela, dira quelqu'un, il est difficile de distinguer le flatteur de l'ami, s'il n'y a entre eux de différence ni par le plaisir ni par la louange que l'on reçoit d'eux; car dans les complaisances et les menus services on peut voir que souvent la flatterie prend les devants sur l'amitié. Pourquoi ne pas convenir de cette difficulté ? répondrons-nous : car enfin nous poursuivons ici le véritable flatteur, celui qui exerce son métier avec talent, en homme habile, et nous ne prétendons pas parler, comme le font beaucoup d'autres, de ces gens appelés pique-assiettes et parasites, dont on n'entend la voix, disait quelqu'un, qu'après l'ablution des mains. Ce ne sont pas ces derniers que nous prenons pour des flatteurs : l'abjection de leur caractère se trahit au premier plat, après le premier verre, par quelque bouffonnerie et quelque indécence. Car il n'y aurait certes pas besoin de signaler ce qu'il y a de détestable dans cette parole de Mélanthius, parasite d'Alexandre de Phères. On lui demandait comment Alexandre avait été tué : «Par un coup d'épée, répondit-il, qu'il a reçu dans le flanc et qui était à l'adresse de mon ventre». Rien, encore, n'est plus odieux que ces êtres rangés en cercle autour d'une table opulente que ni le feu, ni le fer, ni l'airain, n'empêcheraient de se rendre là où l'on dîne ; rien de plus odieux que ces femmes nommées à Chypre les Colacides, qui après être passées en Syrie, furent appelées Climacides, parce qu'elles se courbaient à quatre pieds devant les femmes du roi, et leur servaient d'échelons quand celles-ci montaient en char.

Contre quel flatteur faut-il donc se mettre en garde? Contre celui qui ne semble pas et n'avoue pas en être un ; contre celui qu'on ne saurait surprendre rôdant autour de la cuisine, ou mesurant l'ombre pour calculer l'heure du dîner; qui ne tombe pas ivre mort à la première occasion. Le flatteur dangereux est le plus souvent à jeun; il sait se rendre important; il croit devoir s'associer aux affaires du maître, il veut être initié à ses secrets; il prend tout à fait au tragique le rôle qu'il joue, et ne songe pas à se rapprocher du satyre, du comédien ou du bouffon. Car comme Platon dit que l'extrême injustice c'est de paraître juste et de ne l'être point, de même on doit penser que la flatterie pernicieuse est celle qui se cache et ne s'avoue pas, celle qui est non pas plaisante, mais sérieuse; car elle va jusqu'à rendre suspecte la véritable amitié elle-même, avec qui souvent elle se rencontre en plusieurs points si l'on n'y prend pas garde. Gobryas s'était précipité dans une chambre obscure en même temps que le Mage qui fuyait, et avait engagé une lutte avec lui. Darius survint; et comme il hésitait, Gobryas lui ordonna de charger hardiment, dût-il les traverser l'un et l'autre. Mais nous, puisque nous n'approuvons nullement le mot : «Périsse l'ami avec l'ennemi!» attachons-nous à distinguer l'ami du flatteur, ce dernier se confondant avec lui par plusieurs similitudes. Craignons à la fois de chasser celui qui est bon en écartant le mauvais, et de nous exposer, en ménageant qui nous aime, aux coups de qui devra nous nuire. Car, selon moi, de même que lorsqu'avec le froment sont mêlées des graines sauvages qui lui ressemblent par la forme et par la grosseur, il est difficile de l'en trier, parce qu'elles ne tombent pas séparément si les trous du crible sont trop étroits et qu'elles passent avec le blé si les trous sont trop larges, de même il est bien difficile, tant la flatterie se mêle à toutes les affections, à tous les mouvements, à tous les usages et toutes les habitudes de l'amitié, il est, bien difficile, dis-je, de les distinguer l'une de l'autre.

C'est parce que l'amitié est ce qu'il y a de plus agréable au monde, parce que rien ne réjouit davantage, c'est par cela même que le flatteur, aussi, exerce ses séductions au moyen de l'agrément, et ne songe qu'à ménager des plaisirs; et comme l'agrément et le profit viennent à la suite de l'amitié, et qu'en ce sens on dit «qu'un ami est plus indispensable que le feu et l'eau» ; par ces raisons, le flatteur se jetant à corps perdu dans les complaisances, s'attache à montrer toujours du zèle, de l'activité, du dévouement. Pour que l'amitié ait un commencement durable et solide il doit y avoir similitude de principes et de caractères ; et, en général, c'est la conformité des goûts et des répulsions qui rapproche et unit tout d'abord les hommes par l'effet de la sympathie. Le flatteur le sait bien; et, comme une matière flexible, il a soin de se façonner; il s'étudie à composer son masque, à se contrefaire, à devenir, par l'imitation, semblable à ceux qu'il veut tromper. Rien n'égale la facilité avec laquelle il se métamorphose et prend toutes les physionomies, de la manière la plus propre à donner le change. C'est bien de lui que l'on peut dire : C'est Achille lui-même, et non le fils d'Achille. Mais signalons ce qui dans tout son manége est le plus artificieux. Sachant que la franchise est dite et réputée le langage propre de l'amitié comme un animal a le sien, et sachant d'autre part que le manque de franchise dénote un cœur bas et dépourvu de sentiments affectueux, il ne néglige pas non plus de la simuler et d'en imiter les dehors. De même que les cuisiniers habiles mêlent des sucs amers ou des saveurs âpres aux aliments trop doux afin de les empêcher d'être fades ; de même les flatteurs emploient une sorte de franchise, aussi peu sincère que profitable, qui fait mine de rouler de grands yeux, de froncer le sourcil, mais qui chatouille seulement à la surface. Voilà donc pourquoi le personnage est difficile à surprendre, comme certains animaux qui ont naturellement la propriété de changer de couleur pour prendre la teinte des corps ou des lieux sur lesquels ils se trouvent. Mais puisqu'il trompe et qu'il se dissimule par ces faux semblants, notre office est de le dévoiler, de signaler les différences qui le caractérisent, de le mettre à nu quand il s'est, comme dit Platon, paré des couleurs et des formes d'autrui faute d'en avoir qui lui soient personnelles.

Plutarque, Comment distinguer le flatteur d’avec l’ami




Plutarque (en grec ancien Πλούταρχος / Ploútarkhos), né à Chéronée en Béotie vers 46 ap. J.-C. et mort vers 125, est un historien et penseur majeur de la Rome antique, Grec d'origine, influencé par le courant philosophique du moyen-platonisme.


Plutarque (Πλούταρχος)
Grèce
Antiquité
Description de cette image, également commentée ci-après
Gravure représentant Plutarque dans l'édition des Vies parallèles par Amyot (1565)
Naissance vers 46 ap. J.-C. (Chéronée)
Décès vers 125 (Chéronée)
École/tradition moyen-platonisme
Principaux intérêts Psychologie, politique, sophistique, épistémologie, métaphysique, langage, éthique, esthétique
Œuvres principales Vies parallèles des hommes illustres, Œuvres morales
Influencé par Platon, Socrate
A influencé Sir Francis Bacon, Shakespeare, Montaigne, Érasme, Rabelais, Jean-Jacques Rousseau, Joseph de Maistre

Biographie

Né à Chéronée, petite ville à l’est de la Phocide, proche de Delphes, il faut fixer fixe la vie du Béotien Plutarque entre 46 et 125 après J.-C1. Malheureusement, les historiens ne possèdent que peu d’informations sur sa vie, seules la Souda (Xe siècle) et une note d’Eusèbe de Césarée font référence à sa vie. Les témoignages les plus importants restent ceux que l’écrivain a glissés lui-même dans son œuvre. Il ne doit pas être confondu avec Plutarque d'Athènes, fondateur et premier scholarque de l'Académie néoplatonicienne d'Athènes vers 400.
Fils d'une famille riche qui descend du roi thessalien Opheltias, qui a jugé bon de l’envoyer en 65 à l’école platonicienne d’Athènes, où Ammonios d'Athènes lui apprend les sciences et la philosophie. Il obtient la citoyenneté athénienne. Il fait un voyage à Delphes, avec Ammonios et Néron, ensuite un autre à Alexandrie. Chargé d'une première mission à Corinthe, il se rend pour la première fois à Rome, où il enseigne le grec et la philosophie morale sous les règnes de Vespasien et, en 79, de Titus. Il se marie à une compatriote, Timoxena, dont il a quatre enfants puis s'installe à Chéronée, où il ouvre certainement une école. Il écrit Sur la fortune d'Alexandre, les Vies de Galba et d'Othon. Il séjourne de nouveau à Rome en 88, plus longuement en 92. Il est nommé prêtre d'Apollon à Delphes, probablement autour de 85 et occupe cette fonction jusqu'à sa mort2. Il acquiert la citoyenneté romaine et adopte le gentilice Mestrius, en hommage à son ami Florus. Vers 100-102, il commence l'immense cycle de ses Vies parallèles. Il revient ensuite à Chéronée où il se partage entre l’écriture de son œuvre et la vie publique (il organisait les fêtes religieuses). Il meurt vers 125. Le lieu de sa mort n'est pas connu ; il est peut-être mort à Chéronée où il avait passé la fin de sa vie3.
C’est un auteur monumental et très fécond de plusieurs traités de morale, de philosophie, de théologie, de politique, un érudit doué d’une connaissance encyclopédique. Dans ses biographies, il étudie la vertu à travers ses personnages de héros et adopte une position qui n’est pas celle de l’historien. Plutarque adhère aux faits qu’il présente, il imprègne son récit. C’est un moraliste et un observateur platonicien, à la fois l'ennemi des stoïciens et des épicuriens.4.
En outre, l'objectif de Plutarque est à chaque fois de dégager le portrait moral plutôt que de rapporter les événements politiques de l'époque : il se considère lui-même plus comme un biographe ou un moraliste qu'un historien5. D'où le traitement détaillé qu'il consacre à son personnage. Même si Plutarque déforme la vérité, il est en général aussi fiable que ses sources, et parfois d'une grande valeur. Il ne montre aucun parti pris dans son traitement des Grecs et des Romains, aucune flatterie pour le pouvoir de Rome, alors dominant, ni de vanité pour la gloire passée de sa propre nation. Il croyait dans la coexistence du gouvernant romain et de l'éducateur grec.

Œuvre


Une page des Vies parallèles imprimée à Rome en 1470, collection de l'Université de Leeds
Les Vies parallèles des hommes illustres (en grec Βίοι Παράλληλοι / Bíoi Parállêloi) rassemblent cinquante biographies, dont 46 sont présentées par paire, comparant des Grecs et des Romains célèbres6 (par exemple Thésée et Romulus, Alexandre le Grand et César, Démosthène et Cicéron). À la fin de chaque doublet, la plupart du temps, un bref texte (σύγκρισις / súnkrisis) compare les deux personnages. Nous avons perdu la première paire, consacrée à Épaminondas et Scipion l'Africain. Parmi les biographies séparées figurent celle d'Artaxerxès II, Aratos de Soles, et les huit biographies de Césars, d'Auguste à Vitellius. On date l'écriture de ces biographies entre 100 et 110. Les Œuvres morales sont plus de 230 traités consacrés à des sujets nombreux et variés. Seuls 79 nous sont parvenus : De la curiosité, De la tranquillité de l'âme, Des vertus morales, Du démon de Socrate, De la face qui paraît sur la Lune, Sur Isis et Osiris...
Les Vies parallèles sont l'œuvre la plus connue de Plutarque. Elles étaient admirées de Montaigne comme du Grand Condé ; Corneille et Shakespeare y ont puisé des sujets de tragédie (le Sertorius de Corneille). Un autre grand lecteur des Vies parallèles fut Rousseau, qu'elles accompagnèrent jusqu'à la fin de sa vie.
Plutarque a aussi écrit des Dialogues pythiques et des Propos de table, imités de Platon. Le nom de « Pseudo-Plutarque » est un nom conventionnel donné aux auteurs inconnus d'un certain nombre de pseudépigraphes attribués à Plutarque.

Plutarque physicien7

Dans les dialogues De la face qui paraît sur la Lune et Sur les sanctuaires dont les oracles ont cessé des Œuvres morales, Plutarque expose une Physique originale. L’observation de l’aspect irrégulier de la Lune le conduit à affirmer : « La Lune est une terre céleste »8 qui réfléchit les rayons du Soleil. Il abandonne la notion de différence du monde sub-lunaire et de monde supra-lunaire parfait d’Aristote. Tous les astres sont le centre d’un monde : « Chacun des mondes a une terre et une mer »9 et le mouvement des graves d’un monde va vers le centre de ce monde. Il préfigure la Mécanique newtonienne quand il écrit : « La lune n’est pas entraînée vers la Terre par son poids car ce poids est repoussé et détruit par la force de rotation ».10

Influences

Les écrits de Plutarque eurent une énorme influence sur la littérature européenne, notamment française et anglaise. La traduction en français des Vies parallèles par Jacques Amyot au milieu du XVIe siècle, constamment rééditée jusqu'aujourd'hui, a renforcé sa diffusion et a fait de Plutarque un passeur de l'Antiquité à l'époque moderne ; c'est aussi un monument de la littérature française en prose11. En 1579, l'Anglais Thomas North en donne une traduction12 qui servira de source à certaines tragédies historiques de William Shakespeare, notamment Antoine et Cléopâtre, Coriolan ou Timon d'Athènes. Parmi ses admirateurs anglophones figurent aussi Ben Jonson, Sir Francis Bacon, John Milton, John Dryden, et plus tard Robert Browning. Les Essais de Montaigne, les œuvres de La Boétie, d'Érasme, de Rabelais, plus tard l'œuvre de Jean-Jacques Rousseau et de Joseph de Maistre sont profondément inspirés de ses œuvres morales et des Vies Parallèles. Cotton Mather, Alexander Hamilton, Ralph Waldo Emerson et les transcendantalistes américains ont été très influencés par les Œuvres morales. Par ailleurs, dans les romans de Maurice Leblanc, les Vies parallèles sont le livre de chevet du héros Arsène Lupin, ce qui est révélateur des ambitions tant du personnage principal que de son auteur.
L'influence de Plutarque connait un rebondissement au XXe siècle, avec la reprise à contre-pied des Vies par Michel Foucault : « La Vie des hommes infâmes » dans Les Cahiers du chemin13 ou, en 1984, Pierre Michon qui publie Vies minuscules, empruntant certaines méthodes à Plutarque14.

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