(Revue Question De. No 44. Octobre-Novembre 1981)
Au sujet des rites funéraires du bouddhisme tibétain, le supérieur de la branche Kargyupa Kalou Rimpoché (1905 – Mai 10, 1989) répondu en ces termes à Aimée, Catherine Deloche :
Le Bardo, c’est-à-dire l’état post-mortem est très important car tous les êtres doivent passer par cet
état. Il faut savoir comment se déroule la mort, et ensuite connaître
les moyens d’action, les moyens d’aider le défunt dans cet état d’après
vie. Dans le meilleur
des cas, il faut développer certaines techniques spirituelles qui nous
seront utiles au moment de la mort et dans l’état post-mortem.
Le corps que nous avons à présent est une apparence de notre esprit, néanmoins il est constitué
de ce que l’on appelle les 5 éléments. Au moment de la mort, il y a
dissolution progressive de ces cinq éléments, et cette dissolution
correspond au processus de mort. L’élément terre se dissout en l’élément
eau, qui se dissout à son tour en l’élément feu, puis en l’élément
vent et en l’esprit même.
À
chacune des phases de cette résorption correspondent différentes
expériences vécues intérieurement et extérieurement. Si l’on a
pratiqué certaines méditations, si l’on a eu connaissance de certaines
pratiques spirituelles de son vivant, on peut alors les utiliser, à
condition qu’un lama soit présent ; ce dernier peut aussi donner au
mourant des instructions qui peuvent l’aider, lorsque l’on est seul face
à son désespoir et à son impuissance.
À la fin du processus de résorption qui conduit à
la mort, l’esprit tombe dans une période d’inconscience complète qui
correspond à l’ignorance. Néanmoins, si des personnes ont développé une
bonne méditation, sont parvenues à une certaine réalisation
spirituelle, elles peuvent percevoir alors la claire lumière qui est la
nature fondamentale de l’esprit, elles peuvent alors, percevant cette
lumière, obtenir l’état de Bouddha.
À
la fin du processus de mort, il y a ou bien connaissance et éveil
total, ou bien inconscience et ignorance totale suivant que l’on est
dans le processus d’éveil ou de sommeil. Mais d’une façon générale,
l’esprit tombe dans une période d’inconscience complète qui va durer
trois jours et demi.
L’esprit
étant complètement inconscient, rien ne peut être fait pour l’aider,
car il ne peut comprendre les instructions qui lui seraient données.
Néanmoins, si un lama intervient, il peut faire ce que l’on appelle «
transfert de conscience », c’est-à-dire qu’il peut, par des pratiques,
libérer le principe conscient du défunt et l’amener dans un état pur, à
la libération. Dans cette technique, le lama fait une méditation, et
l’esprit du défunt est regroupé dans une forme, un point, visualisé et
dans ce rituel, l’esprit est libéré du corps et transféré dans ce que
l’on appelle un pur domaine.
À
la fin de cette période de trois jours et demi l’esprit acquiert une
certaine conscience à nouveau et perçoit certaines expériences de points
lumineux, de lumière, d’arc-en-ciel, certaines expériences dont on
parle comme étant la perception des divinités paisibles et des
divinités irritées du Bardo. Si un lama intervient à ce moment-là, il
peut faire reconnaître à l’esprit du défunt ce que sont ces expériences,
et, les reconnaissant, il peut alors obtenir la libération. Ou bien,
autrement, il peut lui donner des indications, des directives qui lui
permettront de trouver la meilleure voie possible vers une renaissance.
Ensuite
se développent les différentes apparences du Bardo du devenir. Dans la
première semaine de ce Bardo, de cet état, on éprouve des apparences qui
sont en rapport avec la vie que l’on vient de quitter. Dans cet état
post-mortem, que l’on appelle le sippa Bardo, toutes les pensées de
notre esprit s’actualisent comme si elles étaient réelles. Ainsi si nous
sommes français, nous aurons des expériences des pensées de la France,
indiens de l’Inde, américains de l’Amérique…
Dans
cet état, les habitudes mentales que l’on avait pendant son existence
antérieure continuent à se déployer. On pourra avoir de l’attachement
pour ses biens, ses possessions, différentes formes de désirs,
différents types de fixation pour des formes qui nous étaient chères. On pourra essayer de communiquer, on pourra essayer de s’adresser à
eux, mais le défunt s’apercevra que les autres n’ont pas la possibilité
de lui répondre, qu’ils ne l’entendent pas, et qu’il n’est plus
possible de communiquer. Toutes les expériences que l’on a dans cet
état sont celles de notre contenu mental. Il est dit que si l’on a
cultivé un état d’esprit positif, les apparences auxquelles on a à faire
face à ce moment seront positives, plaisantes ; d’autre part, si l’on a
cultivé des habitudes mentales négatives, on aura à faire face à
des apparitions extrêmement effrayantes, nuisibles. C’est un état
fugace, versatile, toutes les pensées s’actualisent, sont expérimentés
et changent rapidement.
À
ce moment, un lama peut intervenir, un lama d’une bonne réalisation,
d’une bonne éthique, pour parler et apaiser l’esprit du défunt. Il est
encore possible à ce moment-là de réaliser le transfert de conscience,
bien que cela soit plus facile dans la première période du bardo.
Différents
rituels peuvent être effectués durant cette période, ceux-ci sont basés
sur ce que l’on appelle des yidams, c’est-à-dire des divinités qui sont
des personnifications de l’état d’éveil. Des lamas peuvent venir faire
les rituels en rapport avec ces divinités, méditer sur leurs mandala,
rituels durant lesquels l’esprit du défunt est invoqué. Le défunt est
l’aspect central, mais tous les êtres sont considérés rituellement, tous
ces êtres sont amenés à l’état de libération. Il
existe différentes phases dans ces rituels, on s’en remet aux trois
joyaux, on développe une attention pure, altruiste, on fait différentes
offrandes, substantielles, traditionnelles, des offrandes de musique et
autres. On se repent de tout ce que l’on peut avoir commis de nuisible,
on adresse différentes formes de prières. Dans certaines phases du
rituel, de la lumière irradie de la divinité qui a été évoquée, cette
lumière atteint le
défunt, qui est ainsi purifié de toutes les souillures de son corps et
de son esprit, il devient ainsi un être pur, lumineux et est ainsi
amené à la libération. Dans ces rituels, on utilise aussi certains
mantras, tel Om
mani padme hum, qui sont les véhicules d’une influence spirituelle et
qui peuvent aider le défunt. Trois éléments interviennent dans ces
rituels : la divinité elle-même, et son influence spirituelle, le
mantra, les formules qui sont récitées, et la méditation, l’état
d’absorption du lama qui effectue le rite. Les divinités et les mantras
peuvent être comparés à des instruments qui sont à la disposition de
l’officiant, du lama qui les met en œuvre.
Le bénéfice que le défunt peut en retirer et l’efficacité du rite
dépendent beaucoup de la qualité du lama et de sa réalisation. Dans ces
rituels, on peut utiliser une effigie qui représente le défunt, et cette
image est réellement le défunt, on l’invoque à travers cette effigie
qui est utilisée comme support dans différentes techniques de
purification.
On
parle de 4 niveaux dans ces rituels : l’initiation du vase,
l’initiation secrète, l’initiation de la sagesse et l’initiation du mot,
du verbe. On confère au défunt ces différents niveaux d’influence
spirituelle et c’est un moyen de purifier les souillures qu’il pouvait
avoir au niveau de son corps, de sa parole et de son esprit.
Dans
le rite, on effectue ensuite ce que l’on appelle un transfert de
conscience, c’est-à-dire que l’on transfère le principe conscient de ce
défunt en ce que l’on appelle un chinkam, c’est-à-dire un paradis du
Bouddha. Et l’on fait aussi des prières pour le défunt et pour tous les
êtres en souhaitant qu’ils puissent obtenir ultimement l’état de
Bouddha. Un lama peut aussi lire le Bardo Thodol, le livre des morts tibétains, et les instructions qui sont données dans ce livre peuvent être utiles au défunt.
Passé
la première semaine dans le Bardo du devenir, on commence à apercevoir
et à expérimenter des apparences en rapport avec l’existence que l’on
va avoir dans la vie que l’on reprendra ultérieurement. On oublie le
lieu, le pays d’où l’on vient, on oublie ses parents, ses amis, et on se
dirige progressivement vers d’autres types d’expériences.
Au
moment de reprendre naissance, si l’on doit reprendre naissance comme
homme, on perçoit ses parents copulant. Si on doit renaître homme, on a
désir pour la mère, aversion pour le père, si on doit renaître femme, on
a désir pour le père, aversion pour la mère, et au moment où
les principes masculins et féminins que l’on appelle blancs et rouges
se combinent, l’esprit se joint à ces deux principes et à ce moment-là,
un nouvel être est conçu, c’est une nouvelle naissance.
Si
l’esprit qui transmigre doit renaître dans un état infernal, à ce
moment, il perçoit des expériences comme celles du feu, de la chaleur,
et il a l’impression d’être précipité dans un brasier. S’il doit
reprendre naissance dans un état tel que celui d’esprit errant ou dans
la condition animale, il peut être attiré vers des lieux tels que
grottes, cavités, troncs d’arbres, herbe, crevasses, et il s’y fixe pour
y reprendre naissance. S’il doit reprendre naissance, dans un état
divin, il perçoit des apparences merveilleuses, belles, des êtres
divins, des déesses, des palais, etc. D’une façon générale, au moment de
la mort, il y a séparation entre le corps et l’esprit, l’esprit suit
son chemin, et le corps devient cadavre, néanmoins, l‘esprit
a encore certaines habitudes de pensées qui font qu’il est encore fixé
sur son corps, encore attaché à son apparence charnelle. De ce fait, la
façon de traiter le corps, de bien en disposer peut avoir une influence
bénéfique sur l’esprit du défunt. Les différents mantras, les
différentes formules qui sont le support d’influences peuvent être
écrites et placées sur le corps, c’est un moyen de transmettre une
influence spirituelle, d’établir une connexion
positive avec ce corps. Celui-ci peut être enterré, et dans certains
rituels, on met des médecines, des herbes, qui transmettent également
une influence spirituelle. Le corps est aussi quelquefois déposé dans un
charnier. Certains rituels utilisent encore des bûchers funéraires et
ce bûcher est médité comme étant le palais d’une divinité. Il y a une
méditation dans laquelle le feu est considéré comme un élément
purificateur et le corps du défunt consacré sous forme d’amhrita, sous
forme de nectar offert dans ce feu. Ce rituel est destiné à libérer
toutes les enveloppes, toutes les impuretés qui peuvent recouvrir
l’esprit du défunt. Quand on fait ce rite, on récite parfois un grand
nombre de mantras, le mantra de Dorje Sempa,
le mantra de Mitripa, qui sont utilisés dans ces circonstances. Les
restes des bûchers funéraires sont souvent utilisés pour être mélangés à
de la terre argileuse pour faire ce que l’on appelle des tsa-tsa, des
petits édifices ou des statues qui sont ensuite conservées comme
reliques ou comme souvenir.
On
peut encore faire une excavation dans la terre et il existe un rituel
dans lequel on médite cette excavation comme étant le mandala d’une
divinité ; les restes du bûcher sont alors disposés dans ce mandala.
Ensuite le tout est enterré. On peut encore placer certaines reliques,
certaines herbes, certaines médecines qui conféreront un pouvoir
spirituel au défunt et on dispose de son corps en le mettant dans un
cours d’eau. Son corps est alors une offrande à tous les poissons, à
tous les animaux qui vivent dans cette rivière.
Mais dans tous les cas, les différents religieux qui sont à l’office font des prières, des vœux
pour la renaissance du défunt, pour qu’il puisse revenir dans une
condition meilleure, qu’il puisse de nouveau rencontrer l’enseignement,
et qu’il puisse continuer à progresser spirituellement.
On
considère la période depuis la conception d’un enfant jusqu’à sa mort
comme étant aussi un Bardo. On l’appelle l’intervalle de la naissance à
la mort. On parle aussi du bardo des rêves, les rêves étant aussi un
intervalle situé entre le moment où l’on s’endort jusqu’au moment où
l’on se réveille, la période où l’on expérimente les apparences du rêve.
Le moment de la mort et la résorption des différents éléments jusqu’à
la mort complète et définitive s’appelle le Bardo du moment de la mort.
Du moment de la mort, moment où l’esprit tombe dans une période
d’inconscience jusqu’au moment où l’esprit retrouve petit à petit une
certaine forme de conscience, on est dans ce qu’on appelle le Bardo de
la vacuité. À
partir du moment où l’esprit retrouve une certaine forme de conscience
jusqu’au moment où il reprend naissance, on est dans ce que l’on
appelle le sidpa
bardo, le Bardo du devenir. Puis on se retrouve dans le bardo de la
naissance à la mort. Dans ce cycle, dans cette succession d’intervalles
du Bardo, nous éprouvons différents types d’apparences, illusoires comme
celles que l’on perçoit dans un rêve ou au cinéma.
Dans
la tradition bouddhiste, il y a différents types d’enseignements, qui
peuvent nous aider dans ces différentes phases et ces instructions sont
utiles si l’on peut les pratiquer lorsque nous sommes en vie, dans le
Bardo entre la naissance et la mort. Notre esprit est actuellement dans
un état d’ignorance, l’esprit de bouddha lui est libre, le bouddha ayant
réalisé la nature de son esprit connaît sa nature fondamentale, décrite
comme vide, lumière, luminosité et aussi non-obstruction. L’état de
bouddha a trois corps, un corps informel, le corps de vacuité, et deux
corps qui ont une forme. Le premier d’entre eux est le corps de gloire
qui est une forme subtile perceptible uniquement aux êtres hautement
réalisés. Pour pouvoir entrer en contact avec ce corps de gloire, il
faut déjà avoir purifié le voile, les enveloppes les plus grossières qui
entourent l’esprit, on peut alors en recevoir les enseignements. Le
deuxième corps du bouddha est le corps d’émanation, ce corps est
perceptible par tous les êtres sans différence. Le corps de vacuité des
bouddhas est un corps omniprésent qui a toute connaissance, et c’est à
partir de cette connaissance qu’ont
été énoncés et que se sont développés les enseignements proférés par
le bouddha que l’on appelle le dharma. Tous ces enseignements sont des
moyens pour dissiper les erreurs, dissiper les voiles qui recouvrent
l’esprit des différents êtres : ce sont différents moyens qui sont mis
en œuvre pour aider tous les êtres.
Dans
différentes traditions, il y a différents enseignements et techniques
qui ont toutes une valeur et peuvent nous permettre d’obtenir une
meilleure renaissance, une naissance dans un monde supérieur, ou de
parvenir à la libération.
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