Une inspectrice des Finances au physique de Naomi Campbell prend les rênes de l’enseigne parisienne
Rendez-vous à l’hôtel, par Gaël Tchakaloff
Portrait d’une citoyenne du monde plus attachée à l’originalité de ses passions qu’au formatage de ses ambitions
Dans le monde des énarques, elle détonnait par sa fraîcheur, son
enthousiasme, son optimisme et son inaptitude à vouloir dominer le
monde. Dans l’univers de Christie’s, elle détonne par sa rationalité et
son sens de la mesure, baignée dans un univers d’émotions et
d’extériorisation, pour ne pas dire, parfois, d’hystérie. Comme si elle
choisissait toujours d’embrasser son contraire, Aline Sylla-Walbaum, au
regard de son curriculum vitae, n’a pas fait de plan de carrière.
Secteur privé, secteur public, elle a picoré au gré de ses envies, la
culture en toile de fond. Attachante, séduisante, souple, elle n’a pas
le goût du conflit. Transparente, sincère, sensible, elle aurait
tendance à se faire que des amis.
“Le défaut d’Aline Sylla-Walbaum est qu’elle n’en a pas. Elle est
intelligente, brillante et saine. Elle fait du bien. Extrêmement
conciliante, elle a néanmoins une vision originale et décalée des
choses. Sa générosité et son optimisme sont inadaptés au monde
politique. En revanche, elle est à l’aise dans tous les univers
rationnels et créatifs”, explique son amie Chantal Jouanno. Qui plus
est, la femme parfaite, mariée et mère de trois enfants, a le physique
de Naomi Campbell.
“Aline Sylla-Walbaum a l’intelligence de Garry Kasparov et la
tchatche de Fabrice Luchini dans le corps de Marpessa Dawn”, affirme
Eric Garandeau, président du CNC. Voilà toutes les bonnes raisons
d’élargir les rangs de ses détracteurs. Raté. Peut-être parce qu’elle
n’est ni radicale ni hautaine. Peut-être aussi parce qu’à la lecture de
son parcours, on devrait mourir d’ennui – la perfection tue -, ce qui
n’est pas le cas, compte tenu de sa personnalité singulière, complète
sans être complexe. A cheval entre l’Europe et l’Afrique par origine,
elle a l’ouverture des esprits libres. Biberonnée aux chiffres, elle
leur a préféré les lettres. Mue par le goût du relationnel et de la
communication aux autres, elle ne court pas après les réseaux, ce serait
même plutôt l’inverse.
Les racines du bien
Deux parents, deux couleurs de peau, deux cultures, deux religions.
“Pour moi, la religion est un fait culturel. J’ai toujours eu une
approche géopolitique et intellectuelle à son égard. Les objets d’art
sont une manière non-polémique de l’appréhender”, glisse-t-elle, en
passant. Entre une mère française, infirmière de formation et un père
d’origine sénégalaise, travaillant un temps chez Remington, la petite
Aline grandit dans une famille de classe moyenne, au sein d’une banlieue
chic. Effectue sa scolarité au lycée Hoche de Versailles, puis enchaîne
les diplômes comme d’autres enfilent les perles.
“En France, le racisme est souvent socio-économique. Vivant près de
Versailles, ayant un parent français et un autre intégré car payant des
impôts en France – comme on me l’a fait remarquer à l’époque -, j’ai
grandi à l’écart de la problématique du racisme. Mes racines africaines
m’ont donné une forme d’ouverture et de relativisme culturel.” Bac avec
mention très bien, HEC, Sciences-Po, l’ENA, dont elle sort troisième
alors qu’elle y est entrée major.
“Tu as perdu deux places”, lui indique sa grand-mère. Chez elle, on
fait ce que l’on aime, ce dans quoi on est bon. Son frère et l’une de
ses sœurs n’ont pas leur bac, ils n’étaient pas faits pour les études,
ont réussi leur vie différemment. La petite Aline a d’autres idées.
Passionnée de politique internationale, elle développe, dès l’âge de
quinze ans, un autre violon d’Ingres. La culture et les musées la
fascinent. Alors elle part souvent, seule, en train, visiter le musée
d’Orsay et le musée du Louvre. Apprend l’anglais, l’allemand et le latin
à l’école. Se forme seule, sur des cassettes, à l’espagnol et à
l’italien.
Elle effectuera d’ailleurs un passage à l’université Bocconi.
Rapidement, elle abandonne ses vélléités de diplomate, concluant à
l’impossibilité de mener parallèlement vie de famille et ambassade.
Hédonisme, toujours présent. Inspectrice des finances, elle se concocte
un club d’amis, plutôt tourné vers la culture : Eric Garandeau
(président du CNC), Guillaume Cerutti (PDG de Sotheby’s France),
Christophe Tardieu (directeur adjoint de l’Opéra national de Paris),
Alexandre Bompard (président de la Fnac), Pierre Hanotaux (directeur
délégué de l’audiovisuel extérieur de la France). Avec certains d’entre
eux, elle mènera une mission sur la politique des musées nationaux en
2001. La chance croise son chemin. Didier Selles et Henri Loyrette,
respectivement administrateur général et président-directeur du musée du
Louvre, la recrutent, le 24 décembre de la même année. En rentrant chez
elle, elle annonce à sa famille que le Père Noël est déjà passé.
“Les choix professionnels impliquent la prise en considération de
trois critères : le dirigeant, l’entreprise et le contenu de la mission
qui vous est confiée. Au Louvre, les trois clignotants étaient d’emblée
au vert.” Durant cinq ans, l’administratrice générale adjointe et
directrice du développement culturel va déployer le mécénat et les
partenariats du musée, qu’elle quitte, en 2007, pour rejoindre le
cabinet de François Fillon.
Le pont d’Arcole
S’il y a bien un lieu qu’elle semble ne pas regretter, c’est Matignon.
“There are two things in the world you never want to let people see how
you make them : law and sausages”, dit-elle, en citant une réplique de
la série culte The West Wing. Plus marquée par la qualité de certains
conseillers que par son épanouissement professionnel de l’époque, elle
quitte le cabinet alors qu’elle est enceinte, après un an d’activité.
Sans commentaires. Un détour de trois ans chez Unibail-Rodamco, dont
elle sera directrice générale déléguée en charge du développement,
achèveront sa maturité professionnelle, autant que sa conviction qu’il y
a une chose dont elle ne peut se passer : l’art. Elle sait à quel point
son apprentissage chez Unibail lui a été indispensable. Mais elle sait
désormais aussi à quel point l’émotionnel d’une entreprise lui est
essentiel.
“Mon expérience au Louvre m’a appris à être le manager que je suis
aujourd’hui. Dans un environnement public sans carotte ni bâton, il faut
savoir être créatif pour trouver un esprit collectif chez les gens,
autant qu’en vous-même.” Si bien que lorsque Patricia Barbizet la
contacte, tandis que les deux femmes se connaissent depuis longtemps et
qu’Aline a fait part de son irrépressible envie de rejoindre la maison,
l’affaire est vite réglée.
“En un an, Aline Sylla-Walbaum a parfaitement trouvé sa place dans la
maison Christie’s. Elle a rapidement saisi la singularité des gens et
du métier et forme un tandem très complémentaire avec François de
Ricqlès”, renchérit aujourd’hui la présidente du conseil de surveillance
de Christie’s. Du velours ? La situation mérite attention dans la
répartition des rôles. A François de Ricqlès reviennent l’expertise, les
spécialistes et le “business getting”.
A Aline Sylla-Walbaum le management et la gestion, la vision du
marché et des opportunités pour le ramener vers Paris… “Chez Christie’s
France, François de Ricqlès fait tout, je m’occupe du reste”,
lance-t-elle, malicieuse. Le jeu est serré, pourtant, car il se pourrait
bien qu’un jour, la bonne élève souhaite élargir les missions qui lui
sont confiées et devenir, à son tour, Napoléon au pont d’Arcole.
Main-d’œuvre
“Aline Sylla-Walbaum est animée par un principe de satisfaction, de
plénitude, d’achèvement professionnel et personnel. Sa joie de vivre et
son enthousiasme, moteurs de son savoir-faire relationnel, prennent le
pas sur son ambition, qui n’est pas écrasante”, souligne Bertrand Badré,
directeur général en charge des finances de la Banque mondiale. Pour
l’heure, la belle Aline se concentre donc sur l’ADN de la place
parisienne et la manière de déployer son marché autant que sa
rentabilité.
Si Christie’s France ne représente que 5 % du marché de l’art mondial
et d’ailleurs 5 % du chiffre d’affaires de Christie’s Monde, l’année
2012 est au beau fixe avec 231,4 millions d’euros de ventes pour Paris,
c’est-à-dire une croissance de près de 13 % comparée à l’année
précédente. En dehors de l’année 2009, durant laquelle s’était vendue la
collection Yves Saint Laurent-Pierre Bergé, la maison de vente aux
enchères parisienne effectue son meilleur chiffre.
Les trois enjeux actuels étant notamment le développement des ventes
privées (de gré à gré), l’essor de “Christie’s Live”, qui permet de
surenchérir sur le Net, autant que la création des “online sales” à
Paris, ventes dédiées au numérique, qui existent déjà à Londres et à
New-York. Du pain sur la planche, encore et toujours, pour la fraîche
directrice générale, qui résume rapidement sa quête : “Le métier de mes
rêves consiste à être le chef d’orchestre permettant à chaque soliste de
développer le maximum de son talent.” Résolument au bon endroit, au bon
moment, Aline Sylla-Walbaum semble savourer le plaisir d’être enfin
l’un des fers de lance de l’avenue Matignon… Ou tout l’art de ne pas
être artiste.
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