POUR LA PREMIÈRE FOIS, LA CONTESTATION S'ORGANISE SUR LE WEB
Cette "fissure", évoquée par Thomas Gomart, directeur du centre Russie à l'Institut français des relations internationales (IFRI), est d'abord le fait du revers électoral accusé par Russie unie, le parti de Vladimir Poutine, l'actuel premier ministre. Il s'agit du plus mauvais résultat électoral de l'homme fort de la Russie depuis son arrivée au pouvoir, en 1999. Et pour cause : malgré le recours à des violations fréquentes de la procédure, dénoncé par l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, le parti perd la majorité constitutionnelle des deux tiers à la Douma en obtenant 49,5 % des suffrages, contre 64 % il y a quatre ans. Les fraudes massives sont également recensées sur la carte interactive et participative, lancée à l'initiative du quotidien libéral Gazeta.
Ce qui apparaît inédit dans cette contestation est le rôle des réseaux sociaux, souligne Corinne Deloy, rédactrice de l'Observatoire des élections en Europe de la Fondation Robert-Schuman. Thomas Gomart observe lui aussi des manifestants "hyperconnectés", qui appartiennent également aux "classes moyennes, urbaines et éduquées". En Russie, l'Internet est en effet de plus en plus utilisé pour "la diffusion d'idées politiques" relève un rapport de l'IFRI.
Sans surprise, ce sont des relais d'opinion qui ont été la cible de la répression. Le célèbre blogueur anti-corruption Alexeï Navalny, qui avait relayé les appels aux manifestations, a été condamné à quinze jours de prison.
Une arrestation qui suscite une forte indignation sur la Toile : trois mille réactions ont été postées sur le blog de l'activiste après son arrestation, selon l'Agence France-Presse. Mais pendant plusieurs heures, mardi après-midi, le site navalny.livejournal.com était inaccessible, victime, selon Reporters sans frontières d'une "vague de cyberattaques". La même qui a frappé depuis plusieurs jours de nombreux sites : site de l'ONG Golos, qui supervisait les élections, mais aussi sites d'information d'opposition comme Ridus.org ou NewTimes.ru.
MANQUE D'UNITÉ
Si Internet semble jouer pour la première fois un important rôle de mobilisateur, la contestation n'a rien "d'inédit", suggère Philippe Migault, de l'Institut des relations internationales et stratégiques. "Il y a régulièrement des manifestations en Russie, et ceux qui contestent le plus volontiers sont loin d'être les plus démocrates, ce sont les nationaux-bolcheviks." Cette fois, le nombre de manifestants dépasse la poignée de contestataires, mais leur importance doit être relativisée considère le chercheur, "au regard d'une population qui compte cent quarante millions d'habitants". Même prudence dans l'analyse de la contestation pour Thomas Gomart, de l'IFRI, qui relève une contestation "éclatée" entre représentants de petits partis, groupuscules, activistes du Web, communistes et particuliers.
Si la dénonciation de la corruption fait "consensus", Philippe Migault estime que le mouvement manque d'unité. Certains dénoncent le manque de redistribution des richessses, d'autres la présence d'oligarques au pouvoir, note le chercheur. Mais avec quelles conséquences sur la prochaine échéance électorale ? "Est-ce que cela peut s'incarner dans un candidat crédible ? C'est très difficile", tranche Thomas Gomart. Contrairement aux révolutions arabes portées par les réseaux sociaux, en Russie "le pouvoir parvient à maintenir une dichotomie" entre la population et les réseaux sociaux "en verrouillant la télé", affirme le chercheur. Cette frontière entre la contestation sur le Web et la population constituerait ainsi un des obstacles à la naissance d'un mouvement plus vaste.
FACE À LA RUE, LA STRATÉGIE DE POUTINE
Les manifestations restent circonscrites, mais le revers électoral a poussé Vladimir Poutine à réagir de façon stratégique, souligne Thomas Gomart. D'abord avec l'arrestation de leaders de l'opposition et de manifestants ; avec l'organisation de contre-manifestations de nashi, ces jeunes Russes rangés derrière le pouvoir ; et des promesses de changement après sa réelection à l'élection présidentielle du 4 mars. En outre, souligne Thomas Gomart, Poutine ne manquera pas de se servir du président Medvedev comme d'un "fusible".
Car si la cote de popularité de Poutine est, certes, en baisse, il rassemble toujours la majorité des sondés (61 %). "Pour une partie de la population russe le contrat social de Poutine est toujours valable : une croissance économique, un mieux-être social contre un rétrecisssement des libertés publiques", analyse Thomas Gomart. En outre, "l'apathie [de la population russe] pour la chose publique" incite à la prudence sur l'ampleur que pourrait prendre la contestation, résume Thomas Gomart.
Corrine Deloy, qui fait montre de la même mesure dans son analyse du mouvement, évoquant un "frémissement", écarte cependant toute dimension fataliste : "La population est de plus en plus éduquée, la crise économique ne finit pas de toucher les Russes qui vivent sur une rente." "Les choses ne sont pas immuables", renchérit la chercheuse, qui s'interroge cependant : "La question c'est combien de temps ça va prendre." Pour Marie Mendras, politologue au CNRS, la question du temps est d'abord celle de la répression, avec une opposition très "remontée" d'un côté et le choix de la coercition de l'autre. "C'est un bras de fer", considère la chercheuse. Mardi, des forces supplémentaires ont été déployées dans la capitale pour y assurer la sécurité, ont admis les autorités russes.
Manifestations et arrestations à Moscou par lemondefr
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