mercredi 14 décembre 2011

Le sarkozysme est atteint d'une crise aiguë de "googlisme"

par Thomas Clay, doyen de la faculté de droit et de science politique de l'université de Versailles–Saint-Quentin

Nicolas Sarkozy, tout à son travail méthodique de séduction de chaque catégorie d'électeurs, tente à présent de séduire les jeunes et les acteurs du numérique échaudés par l'épisode désastreux d'Hadopi. Il a ainsi inauguré, le 6 décembre, le nouveau siège de Google à Paris. C'est un faux pas de plus.


Par ce geste, Nicolas Sarkozy adresse en effet sans complexe un message économique et moral inquiétant. Car cette firme est, au-delà de sa puissance d'innovation, l'incarnation par excellence de l'irresponsabilité fiscale, des abus de position dominante et de la menace démocratique globale.

Alors que Nicolas Sarkozy exhorte, à raison, les entreprises à payer leurs impôts en France, comment comprendre qu'il décerne, par sa visite officielle, un satisfecit à une firme qui fait jouer à plein toutes les astuces pour éviter de payer des impôts ? Le taux d'imposition de Google à l'international avoisinerait même les 2,4 % ! Malgré ses 200 employés en France, c'est en Irlande que Google rapatrie l'essentiel de ses capitaux européens. En annonçant l'ouverture de locaux à Paris, le géant essaye de faire taire la critique. Mais la ficelle est un peu grosse et ne trompe que ceux qui le veulent bien : ce n'est pas une opération immobilière qui vaudra réindustralisation de notre pays.

En plus d'être la figure du rentier ultime, il faut s'inquiéter de l'abus de position dominante dont le géant américain est actuellement accusé à Bruxelles. Les comportements de Google sont sous le coup d'une enquête de la Commission européenne pour soupçon de manipulation à son profit et pratiques discriminatoires. Encore récemment, les modifications apportées à l'occasion de ce qui devait être une simple "mise à jour" avantagent généreusement les services proposés par Google (Places, Shopping...), au détriment d'autres sites qui n'ont pas l'heur d'appartenir à la galaxie de la firme aux jumelles.

Google développe en particulier un effort soutenu pour imposer ses moteurs spécialisés, à tel point que, aux Etats-Unis, des sociétés de recherche de voyages sur Internet et de recherche locale ont porté plainte pour dénoncer les pratiques d'autopromotion monopolistique de Google. En France, une start-up, Twenga, a annoncé aussi vouloir porter l'affaire devant la justice européenne. Contrôlant le visible et le caché du Net, la firme utilise ce pouvoir pour favoriser ses intérêts commerciaux au prétexte d'une démarche de qualité. Juge et partie, au sens où il doit juger de la qualité de sites tout en proposant lui-même de nombreux contenus concurrents de ceux qu'il fait monter ou descendre, Google franchit des lignes blanches.

Ce n'est pas tout. Nicolas Sarkozy vient plier genou devant un "Moteur Souverain" qui accommode nos libertés selon ses besoins. La CNIL ne s'y est pas trompée en condamnant Google à une amende record de 100 000 euros pour violation de la vie privée. Pire, c'est la préservation du pluralisme qui est en jeu. Google représente en effet 95 % du marché de la recherche sur Internet. Or les moteurs de recherche, qui sont la principale porte d'entrée sur Internet, sélectionnent, trient, classent et orientent les internautes vers des sites en fonction de mots-clés.

AGENCE DE PUBLICITÉ

Ces différents portails jouent exactement le rôle que jouent les médias pour l'information : ils rassemblent pour nous l'information supposée pertinente et la présentent selon un ordre supposé objectif. Et c'est là que le bât blesse. Une entreprise qui serait le seul média d'information auquel les gens pourraient se référer disposerait d'un pouvoir immense. Quel retournement de l'histoire de voir le capitalisme effréné réussir à se doter de sa Pravda ! Notre capacité d'information en ligne est, quasiment, entre les seules mains d'une gigantesque agence de publicité.

Il fut un temps où nous nous indignions face aux pratiques de TF1 qui se vantait de vendre notre temps de cerveau disponible à Coca-Cola. A côté de Google, cette ambition fut celle d'un amateur. Il nous faut, à l'inverse de Nicolas Sarkozy, combattre ce monopole, au nom de la protection des entreprises de notre pays contre les prédateurs et de la défense de nos libertés fondamentales et de notre démocratie. Et il est de notre devoir de contenir la dominance absolue de Google pour que s'épanouisse une société numérique libre et prospère.


Après l'ouverture du site de données publiques Data.gouv.fr et avant la conférence sur le Web, Nicolas Sarkozy a inauguré, le mardi 6 décembre, le nouveau siège français de la société Google à Paris.

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