STÉPHANE LAVOUÉ POUR "LE MONDE"
Est-ce aussi inéluctable que le rythme des saisons ? Lorsque la présidentielle s'avance, François Bayrou reverdit. Ses amis l'ont toujours su, pour s'en désoler : il n'y eut jamais qu'une élection qui l'intéressât vraiment. Sa nature politique obéit au cycle quinquennal des institutions.
"Je me présenterai en 2002. Je ferai un score à deux chiffres en 2007 et je gagnerai en 2012." Naguère, dans les années 1990, il en a stupéfié plus d'un par son toupet, en traçant le chemin qu'il entendait suivre. A cinq mois du rendez-vous, il a retrouvé sa superbe : "Je me présente pour aller au second tour et gagner".
La machine s'est remise en route au printemps. Lui qui ne goûte guère les affaires d'organisation s'est intéressé aux fédérations, pour mobiliser les militants. Un ancien camarade centriste ironise : "Tous les cinq ans, il se fait pendant cinq mois son festival de Cannes. Il se moque du pouvoir. Candidat, c'est son meilleur rôle." Jean-Louis Borloo, qui fut son porte-parole lors de sa campagne de 2002, avant de rejoindre Jacques Chirac, note, non sans perfidie : "Moi, pendant huit ans, au gouvernement, j'ai servi."
François Bayrou, lui, après quatre années au ministère de l'éducation nationale de 1993 à 1997, est resté en marge du pouvoir. Le prix de son ambition. Depuis qu'il a, en 2007, tutoyé le second tour avec 18,57 % des suffrages, sa traversée du désert a été particulièrement aride. Il ne dédaigne pas revisiter ce classique gaullien : "Il a réfléchi sept ans tout seul à Colombey-les-Deux-Eglises. Il est le seul à avoir vu à quel point il fallait changer les institutions en 1958", assène-t-il. Il s'est retrouvé à l'eau et au pain sec à toutes les élections intermédiaires. Simple député des Pyrénées-Atlantiques, avec pour seul compagnon à l'Assemblée nationale son fidèle Jean Lassalle.
"Il a l'envie de celui qui s'est vu mourir", observe Alain Lambert, l'ancien ministre du budget de Jean-Pierre Raffarin, qui l'a rejoint pour cette campagne. En 2007, il a appris ce qu'il en coûte de croire que l'on peut faire plier, seul, la logique des institutions. Pour n'avoir voulu s'arrimer ni à droite ni à gauche, l'ex-"troisième homme", qui portait encore les couleurs de feu l'UDF, a dilapidé son capital électoral, mis la clé sous la porte du parti de Valéry Giscard d'Estaing et perdu nombre de ses fidèles. Ils sont partis se faire réélire sous l'étiquette du Nouveau Centre, avec l'aide de l'UMP.
Score éclatant, défaites cuisantes, "trahisons" programmées. Depuis, il encaisse. Mais il a toujours voulu penser, dans sa mystique présidentielle, que son "lien avec les Français" pouvait s'effilocher, se distendre, se vriller, s'emberlificoter, virer au sac de noeuds... sans jamais rompre. La même théorie lui a longtemps interdit de penser que Ségolène Royal pouvait être balayée lors de la dernière primaire socialiste. "Elle n'avait plus les pieds sur terre", reconnaît-il aujourd'hui. Dans sa rencontre avec les électeurs, voilà cinq ans, il dit avoir découvert de "l'amour". Ou un "don" des Français. Un don qui "n'est pas fait pour être repris".
Se convaincre pour convaincre. C'est la méthode Coué, mais aussi celle de François Bayrou. Il sait les doutes qui le cernent et mieux que personne l'inclinaison médiocre des sondages : de 7 % à 9 % des intentions de vote en ce début du mois de décembre.
Mais il fait fi des objections. Cette élection en temps de crise, estime-t-il, se jouera sur la "crédibilité", ce sera le choix d'"un homme". Lui, bien sûr. "Il s'étonne de son propre talent", cingle Jean-Louis Bourlanges, le président de la Fondation du centre, qui l'a quitté en 2007. Et de se lamenter : "On aurait besoin de quelqu'un qui pourrait refonder l'UDF, lui ne veut parler qu'en direct aux Français." En privé, François Bayrou distribue les bons et les mauvais points. Nicolas Sarkozy ? Il n'aurait plus le "même élan". Quant à François Hollande, il le trouve "faible". Au risque de le sous-estimer, note un ami.
"LES AUTRES DOIVENT SE RÉINVENTER, MOI PAS"
Au moment d'enfourcher son cheval de campagne, le Béarnais a dépoussiéré l'une de ses devises fétiches, empruntée à Henri IV : "Ce qui doit arriver ne peut pas manquer." La situation ne lui donne-t-elle pas raison, alors qu'il avait fait de la lutte contre les déficits publics le mantra de sa campagne de 2007 ? "C'était la description, avec une absolue certitude, de ce qui allait se produire", se félicitait-il à la rentrée. C'est, aujourd'hui, son luxe : "Les autres doivent se réinventer, moi pas."
Depuis le début de l'année, il a coché les bonnes nouvelles. C'est sur le tarmac d'un aéroport, à la Réunion, qu'il a appris, en mai, l'arrestation de Dominique Strauss-Kahn à New York. Il a immédiatement compris que le directeur général du Fonds monétaire international, qui risquait de faire une OPA sur l'électorat centriste, était hors jeu. Il n'a jamais cru à la candidature de Jean-Louis Borloo. Même s'il admet avoir été surpris qu'il se retire du jeu si vite.
Le revoilà, au centre, avec un espace presque dégagé. La candidature de son ancien lieutenant, Hervé Morin, parti fonder le Nouveau Centre en 2007, lui paraît une simple contingence.
La plupart des analystes prédisent une élection qui renforcera la traditionnelle bipolarisation droite-gauche, avec le Front national en embuscade. Jean-Louis Borloo, qui a lui-même fait ce constat, insiste : "Il n'y aura pas dans cette élection de place pour la petite aventure élégante du centre." Le Béarnais repousse l'objection, veut tourner la conjoncture à son avantage. "A situation exceptionnelle, il faut une réponse exceptionnelle." Il n'en voit qu'une, à l'heure où la Grèce et l'Italie, à leur manière, ont mis en place des gouvernements d'union nationale : sa fameuse "majorité centrale". "Qui est le mieux placé pour l'incarner ?", demande l'agrégé de lettres amateur de rhétorique. "Mendès France et Clemenceau ne se sont pas battus en fonction des probabilités de victoire", tranche-t-il.
Pourtant, l'on décèle cette fois chez François Bayrou, échaudé par les lendemains qui déchantent de 2007, l'ombre d'un doute. Car, s'il n'atteint pas le second tour, il promet un plan B. C'est sa révolution, presque un mea-culpa. Pour mettre un point final à sa suspension. II promet, en 2012, de se prononcer en faveur d'un autre candidat. Ne lui dites pas "rallier", verbe dans lequel il voit une insupportable soumission. Il écarte aussi l'idée de "négocier" qui sous-entendrait une "reddition". Mais il n'interdit pas à ses proches de le faire.
LE DIALOGUE EST RENOUÉ AVEC SARKOZY
Depuis la fin 2009, l'ancien héraut de l'anti-sarkozysme a retrouvé, régulièrement, le chemin de l'Elysée. L'auteur d'Abus de pouvoir (Plon), dans lequel il qualifiait Nicolas Sarkozy d'"enfant barbare", a rangé son costume de premier opposant du président. Les deux hommes se sont, un temps, découverts alliés objectifs pour étouffer la candidature de Jean-Louis Borloo. Le dialogue est renoué, même s'il se fait discret pour ne pas alimenter l'idée d'une connivence en pleine campagne.
Cela peut-il aller plus loin ? François Bayrou s'amuse d'entendre circuler, dans des dîners en ville, qu'il ferait un bon premier ministre. "Ce n'est pas comme ça qu'il faut faire. Il n'est pas resté cinq ans tout seul au Palais-Bourbon, chez les non-inscrits, tout en haut, presque dans le poulailler, pour ça", prévient un ami. Le candidat sourit lorsque Nicolas Sarkozy lui rappelle que lui-même, limitation du nombre de mandats oblige, ne pourra se représenter en 2017, s'il gagne en 2012.
Son ami le ministre de la justice Michel Mercier, entré au gouvernement en 2009, avec qui il dîne presque toutes les semaines, se dit persuadé que François Bayrou finira par rejoindre la droite. "En tout cas, Michel le souhaite", s'amuse Marielle de Sarnez, bras droit du leader centriste. "Je ne sais pas si François Hollande est de gauche, mais ce que je sais, c'est que François Bayrou ne l'est pas", juge Michel Mercier. Pour lui, c'est maintenant une "affaire d'hommes".
La clé d'un rapprochement, avec la droite ou avec la gauche, est sur la table. François Bayrou, qui veut reconstituer sa famille politique à l'Assemblée nationale, demande une part de proportionnelle dans le mode de scrutin.
"JE PENSE QU'IL PRÉFÉRERAIT HOLLANDE"
L'entente peut-elle être plus simple avec François Hollande ? Humainement, disent les amis du Béarnais, sans aucun doute. "A conditions égales, je pense qu'il préférerait Hollande", estime l'ancien banquier Jean Peyrelevade, qui, après avoir conçu le programme économique de François Bayrou en 2007, puis l'avoir quitté en 2009, se dit aujourd'hui à égale distance des deux hommes.
Une alliance à droite pourrait faire des étincelles. "Je suis très clair. Je suis arrivé au MoDem avec un objectif : battre Nicolas Sarkozy. On ne peut pas faire une majorité nouvelle avec un parti au pouvoir", prévient Jean-Luc Bennahmias, vice-président du MoDem, venu en 2007 des Verts. Mais le PS aura-t-il besoin de François Bayrou ? "C'est sûr qu'on ne pèsera pas autant à 10 % qu'à 15 %", convient l'ancien écologiste.
François Bayrou, 60 ans, qui a souvent prêché le temps long contre la dictature de l'instantané, s'engage dans un implacable contre-la-montre. Cinq mois chrono. Troisième saison et toujours aussi "addict".
Pierre Jaxel-Truer
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