mercredi 14 décembre 2011

Viols : le procès de l'armée américaine n'aura pas lieu

Seuls 8 % des affaires d'agressions sexuelles signalées au sein de l'armée américaine donnent lieu à des poursuites.

Seuls 8 % des affaires d'agressions sexuelles signalées au sein de l'armée américaine donnent lieu à des poursuites.AP/JACOB SILBERBERG


Vendredi 9 décembre, une cour fédérale de Virginie a rejeté l'une des affaires les plus emblématiques de viol dans l'armée américaine, a-t-on appris mardi auprès de l'avocate des plaignants, Susan Burke, qui annonce par ailleurs son intention de faire appel. "C'est une décision évidemment décevante, a réagi dans le Daily Beast, Kori Cioca, l'une des plaignantes. Je suis sûre que quelque chose de bien sortira de notre action. Elle aura au moins permis de sensibiliser le public sur ces problèmes."

En février dernier, 17 vétérans (dont deux hommes) avaient porté plainte contre le Pentagone pour diverses agressions sexuelles subies au cours de leur carrière. Une première. Rejoints depuis par une dizaine d'autres, ils visaient les anciens secrétaires d'Etat à la défense Robert Gates et Donald Rumsfeld, qui auraient toléré ce genre de pratiques dans les rangs de l'armée. Selon le texte de la plainte, les victimes, qui souffrent de stress post-traumatique, ont toutes dû faire face à des réponses inappropriées de leur supérieur, eu égard à la gravité des faits dénoncés. Les sanctions contre les agresseurs, dans les cas où des poursuites ont été engagées, allaient d'amendes mineures à l'exclusion temporaire de la base militaire.

L'IMPÉNÉTRABLE JUSTICE MILITAIRE

Selon le texte de la décision de rejet (PDF), la cour fédérale se retranche derrière plusieurs arrêts de la Cour suprême, soulignant l'impossibilité pour la justice civile de s'immiscer dans les affaires militaires.

C'était d'ailleurs la teneur de l'argument avancé par l'avocat du département de la défense, Marcus Meeks, qui avait déposé une motion demandant le rejet de l'affaire. L'avocat se fondait sur l'arrêt Feres/United States, un arrêt de la Cour suprême datant de 1950, qui précise que des responsables militaires ne pouvaient être poursuivis par un soldat pour des blessures occasionnées lors de l'exercice de ses fonctions au sein de l'armée.

Pour les associations de victimes, cet arrêt est l'une des principales raisons de l'impunité dont bénéficient encore aujourd'hui les agresseurs au sein de l'armée américaine et un obstacle majeur à la judiciarisation de ces affaires. C'est l'argument par exemple de Kira Mountjoy-Pepka, directrice de l'association Pack Parachute, qui déplore que "les militaires ont leurs propres enquêteurs. Et c'est à eux de déterminer si telle ou telle affaire mérite d'être transmise à la justice civile".

Dans une enquête publiée en octobre dernier, Al-Jazira confirmait que malgré le signalement de nombreuses affaires, seuls 8 % d'entre elles donnent lieu à des poursuites, quand la justice civile engage des poursuites dans 40 % des cas.

LE RÈGNE DE L'OMERTA

Vendredi 9 décembre, avant cette décision de justice, le Guardian revenait longuement, témoignages à l'appui, sur ce "sale petit secret" que l'armée américaine aimerait bien oublier, affirmant qu'une femme soldat engagée en Irak a plus de chance d'être agressée sexuellement par un de ses "frères d'armes" que d'être blessée sous le feu ennemi. Kate Weber, une américaine de 36 ans, raconte qu'alors qu'elle était en mission en Allemagne, elle a tenté de prévenir sa hiérarchie qu'elle avait été victime d'un viol. "Mon sergent m'a répondu de rester tranquille et de me taire", explique-t-elle, avant de détailler comment son accusation, une fois connue, a provoqué railleries et stigmatisation au sein de son unité.

Au delà de l'organisation juridique américaine et de la séparation des justices civiles et militaires matérialisées ici par l'arrêt Feres/United States, c'est donc avant tout le sentiment d'impunité et le règne de l'omerta qui semblent justifier la survivance de ces pratiques. La crainte de perdre son travail, l'angoisse de représailles, ou encore la perte de confiance dans l'institution qu'est l'armée s'ajoutant à cette culture du silence, comme l'explique Newsweek dans une longue enquête consacrée au sujet.

Pour Mic Hunter, auteur d'un des tout premiers livres abordant ce sujet sensible ("Honor betrayed : sexual abuse in america's military"), la pratique du viol au sein de l'armée relève aussi d'une volonté de domination. Cette hypothèse expliquerait le fait que les hommes sont aussi touchés par le phénomène. D'après Newsweek, l'avis de Hunter rejoint celui de nombreux autres experts qui expliquent que dans l'armée, les prisons ou tout autre environnement à prédominance masculine, les agressions sont motivées par le pouvoir, l'intimidation et la volonté de domination. Les victimes, hommes comme femmes, sont le plus souvent jeunes et de rangs inférieurs et sont identifiées par certains de leurs collègues comme les plus vulnérables. Pour Mic Hunter, "les agressions sexuelles dans l'armée ne relèvent pas du sexe, mais de la violence".

Simon Piel

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