Professeur Associé, HEC Paris
Senior Advisor Obea
NDLR : Ce texte, reproduit ici avec l’aimable autorisation de l’auteur, a déjà été publié par la revue Personnel : http://www.andrh.fr/services/la-revue-personnel.
Le capital humain, un concept critiqué
A l’heure où beaucoup d’observateurs s’interrogent sur les décisions de restructurations que vont prendre en cette fin d’année 2012 certaines entreprises dans des secteurs aussi différents que l’automobile, les banques ou les télécommunications, il semble paradoxal de s’intéresser à la relation entre la qualité du capital humain et la performance de l’entreprise mais le pari est fait ici que les DRH peuvent transformer une conviction en une certitude susceptible de les aider à faire sortir les autres décideurs de l’entreprise de leur « carré du court-terme » dans les comités de direction ou autres instances de gouvernance.
Le concept de capital humain doit beaucoup à l'article fondateur du prix Nobel T. Schutz2, en 1961, qui définit le capital humain comme la somme des compétences, de l'expérience et connaissances. Les travaux d'un autre prix Nobel G. Becker complètent en 1964 cette première définition en y rajoutant la personnalité, l'apparence et la réputation et montrent que l'entreprise est un lieu de formation et d'investissement en capital humain.
Mais ces définitions du capital humain apparaissent souvent comme trop éloignées de la réalité vécue par les hommes et les femmes de l’entreprise qui ne se perçoivent pas, à juste titre, comme un capital que l’on peut accumuler et/ou céder au gré de la situation de l’entreprise. Ce qui est ici critiqué est une vision purement quantitative du capital humain conduisant, par exemple, certains dirigeants à être récemment mis en examen pour ne pas avoir pris en compte des risques qualitatifs associés aux individus dans des cas de changements majeurs. Or le concept du capital humain peut être ici compris comme l’ensemble des personnes de l’entreprise - avec leurs compétences, leurs motivations et leurs émotions – qui constituent une ressource unique, rare, inimitable, différenciant l’entreprise de ses concurrents.
Capital humain et performance de l’entreprise : une conviction d’abord
Cette conviction s’appuie, tout d’abord, sur l’analyse de l'évolution des théories en sciences de gestion qui découvrent ou redécouvrent l’importance du fait humain dans l'organisation : la stratégie, tout d'abord, qui a connu un basculement progressif au cours des deux dernières décennies d'une représentation externe de l'avantage concurrentiel vers une analyse interne des compétences, capacités et plus généralement des ressources difficilement construites et imitables. Le marketing, ensuite, qui lie de plus en plus la satisfaction des clients aux compétences et à l’engagement des collaborateurs3. La comptabilité, enfin, qui cherche à expliquer les écarts observés depuis le début des années 2000 entre les valeurs comptables et les valeurs de marché des entreprises par l'existence d'un "goodwill" dont l'essentiel est constitué par le capital intellectuel et immatériel, c'est-à-dire par la qualité du capital humain.
Mais cette conviction se fonde également sur l’observation concrète d’entreprises, dans des industries et des pays très différents, qui ont construit leur réussite exemplaire à long terme sur la qualité de leur capital humain en misant sur leur capacité à attirer, développer et retenir des personnes compétentes et engagées sans se focaliser uniquement sur les seuls « talents ». C’est ainsi que l’on peut comprendre la performance exceptionnelle d’une entreprise comme Southwest Airlines depuis plus de 40 ans qui a inventé aux USA le modèle de la compagnie aérienne à bas coûts si souvent imité aujourd’hui partout dans le monde sur le plan business mais pratiquement jamais sur le plan humain4. Dans la même perspective, le fait qu’Air Liquide ait reçu en juin dernier le Trophée du Capital Humain5 est la reconnaissance d’une entreprise qui a accordé depuis sa création en 1902 une place prépondérante aux femmes et aux hommes qui y travaillent lui permettant d’être dans une situation enviée qui la place aujourd’hui comme leader mondial dans son activité. Enfin, la force du n°1 du secteur cosmétique au Brésil, la société Natura, peut largement s’expliquer par l’attention peu commune portée par cette entreprise aux personnes qui la rejoignent comme collaborateurs permanents et ceci dans le cadre d’une orientation stratégique très marquée par le développement durable. Mais ces quelques exemples ne doivent cependant pas faire oublier les cas des milliers d’entreprises, petites et grandes, qui pourraient être rapportés ici pour renforcer cette conviction comme le montre l'exemple du chef Thierry Marx, récemment reconnu aux Espoirs du Management6, qui fonde le succès de ses restaurants primés sur la qualité et la motivation des équipes par des pratiques originales comme celle du Tai-Chi.
Capital humain et performance : une certitude encore à renforcer
Au-delà de la conviction exprimée, il est vital de pouvoir renforcer la certitude la relation entre la qualité du capital humain et la performance de l’entreprise. Dans cette perspective, les DRH sont susceptibles de jouer ici un rôle clé dans la mesure où ils peuvent mesurer de plus en plus finement l’impact de leurs décisions et leurs actions sur les résultats de l'entreprise. Pour ce faire, il leur est possible d'avoir recours à plusieurs démarches, aussi bien en interne qu'en externe, susceptibles de les aider à faire évoluer les autres décideurs du comité de direction dans leur conception de l’importance capital humain.
Un exemple de démarche externe est celle de l'évaluation de la réputation globale en tant qu'employeur dans les classements des entreprises aussi bien au niveau des collaborateurs7 qu'au niveau des futurs employés8. Toutes les études montrent que les entreprises qui obtiennent un score élevé dans ces classements sont aussi celles qui réussissent le mieux comme l'illustre le cas de Leroy Merlin obtenant depuis plusieurs années l'une des premières places dans le classement des entreprises Françaises où il « fait bon vivre ».
Un exemple de démarche interne est celle de la mise en place de la « Balanced Score Card » dont le principe est de relier les compétences des collaborateurs, l'excellence des processus, la satisfaction des clients et la performance financière. Cette formalisation constitue un mode de pilotage de l'entreprise qui reconnaît explicitement le lien capital humain et performance.
Au-delà de ces démarches volontaristes, force est de reconnaître que les DRH ont encore beaucoup d'efforts à déployer dans leurs entreprises pour que le facteur humain occupe la place qu'il mérite dans les décisions importantes qui engagent l'avenir. Gageons que la conviction qui les anime devienne de plus en plus une certitude aux yeux des principales parties prenantes que sont les autres dirigeants, les actionnaires et autres investisseurs.
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1Une version précédente de cet article a été publiée dans "Personnel", septembre 2012
2 Schultz,T.W. (1961) : “Investment in human capital”, American Economic Review, 51, 1, p1-17.
3 Comme montre la création d'une chaire Wehelp-HEC dans le secteur de la relation client sur le thème de l'importance du capital humain
4 Gittell, J.H. (2005) : The Southwest Airlines Way, Mc Graw Hill
5 http://www.tropheeducapitalhumain.com/pages/trophee2012.html
6 http://www.lesespoirsdumanagement.com/edition-2012.html
7 Les classements « Great Place to Work » et « Top Employers » sont parmi les plus connus
8 Voir le classement proposé par « Universum » par les étudiants des Grandes Ecoles (Ingénieur
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