vendredi 8 février 2013

Théorie de la mimesis générale



Dans ce cinquième volet de notre introduction à la psychologie synthétique (cf. 1, 2, 3, 4), nous abordons la partie peut-être la plus fascinante de la psychologie humaine, à savoir, notre tendance à l’imitation. Bien connue depuis Platon, qui parlait de mimesis, elle n’a cessé depuis de faire l’objet d’un formidable déni au travers duquel nous tentons de croire en la vision romantique de l’être humain libre et indépendant dans ses désirs, ses choix et ses actes.
De Spinoza à René Girard en passant par Tarde, Le Bon ou même Freud, nombre d’auteurs ont traité de l’imitation et de ses effets de contagion, mentale et comportementale, auxquels aucun aspect de l’humain n’échappe. Nul mécanisme explicatif de l’imitation n’a cependant fait l’objet d’un consensus. Nous allons nous tenir au plus ancien d’entre-eux, la réaction circulaire, qui n’est au fond qu’une formulation savante de l’habitude et dont le principe peut se retrouver dans chacun des mécanismes qui ont ensuite été proposés. Cette notion présentée dans le précédent article nous permettra de comprendre que si l’Homme est bien un être d’habitudes (postulat unique de la psychologie synthétique), alors, il est avant toute chose, une « machine à imiter ».

La première fois que j’ai présenté dans un cadre scientifique l’hypothèse selon laquelle l’humain serait une sorte de machine mimétique constamment portée à l’imitation, un auditeur malicieux m’a lancé « et quand on fait l’amour, on imite » ?

Si on pense que l’imitation c’est faire le perroquet, le mouton de panurge ou, au mieux, le bon élève, on pourrait voir là une objection sérieuse. Car lorsqu’ on fait l’amour, on est au plus près de soi-même, on se sent dans la pure spontanéité et certainement pas dans un quelconque suivisme.

Toutefois, réfléchissons, un couple qui fait l’amour, c’est quand même bien deux personnes qui tendent à maximiser leur similitude puisqu’elles sont ... :
venues sur le même lieu
venues là au même moment
tôt ou tard, pareillement nues
toutes les deux dans le même contact peau à peau ; souvent elles sont lèvres à lèvres et, par hypothèse, sexe à sexe
toutes deux à se plonger dans le regard l’une de l’autre
toutes deux avec une respiration synchrone
toutes les deux à entretenir des mouvements de la zone pelvienne sur un même rythme, donc de manière synchrone.

Il apparaît donc que, par une imitation réciproque de tous les instants principalement affirmée dans l’accordage des rythmes, ces deux personnes en sont venues à se ressembler autant qu’il est possible et cela constitue, à mon sens, un parfait exemple d’imitation.

La seule différence remarquable qui persiste entre ces deux êtres, c’est celle des sexes — du moins pour un couple hétérosexuel. Mais là encore, le concave n’est-il pas une imitation en creux du convexe et inversement ? La serrure n’est-elle pas une reproduction en creux de la clé et inversement ?

Cette ressemblance active des partenaires fait leur unité et on peut même dire leur harmonie car on peut se faire à l’idée qu’elles se sont progressivement accordées un peu comme le feraient deux magnifiques instruments de musique disposés à jouer une symphonie proprement céleste.

Aussi étrange que cela puisse paraître, cet accordage est, toutes choses égales par ailleurs, le même que celui opéré par deux personnes en conversation ou deux personnes qui se battent. Les interlocuteurs ou les protagonistes se calent en effet sur les mêmes rythmes (ceux du tour de paroles ou du « coup pour coup ») et en viennent à se ressembler étrangement dans leur attitudes, leurs comportements, leurs émotions, etc.

Selon le psychosociologue Gabriel Tarde, toutes les interactions humaines seraient mimétiques d’une manière ou d’une autre. Autrement dit, l’imitation serait omniprésente et constituerait ni plus ni moins que « le fait social élémentaire ». Nous avons beaucoup de peine à imaginer la généralité et la puissance de ce processus, mais Tarde nous offre de remarquables illustrations... :


« Pénétrez dans une demeure de paysan et regardez son mobilier : depuis sa fourchette et son verre jusqu'à sa chemise, depuis ses chenets jusqu'à sa lampe, depuis sa hache jusqu'à son fusil, il n'est pas un de ses meubles, de ses vêtements ou de ses instruments, qui, avant de descendre jusqu'à sa chaumière, n'ait commencé par être un objet de luxe à l'usage des rois ou des chefs guerriers, ou ecclésiastiques, puis des seigneurs, puis des bourgeois, puis des propriétaires voisins. Faites parler ce paysan : vous ne trouverez pas en lui une notion de droit, d'agriculture, de politique ou d'arithmétique, pas un sentiment de famille ou de patriotisme, pas un vouloir, pas un désir, qui n'ait été à l'origine une découverte ou une initiative singulière, propagée des hauteurs sociales, graduelle­ment, jusqu'à son bas-fonds. » Tarde, Philosophie pénale, 1890 p. 39

Cette généralité du fait mimétique, quoi que nous en pensions, nous, — individus civilisés, libres et indépendants du XXIe siècle — n’y sommes pas étrangers, loin s’en faut

Que cela nous plaise ou non, nous prenons modèles, ici et là, d’un bout à l’autre de nos vies. Deux cas sont possibles : soit nous aimons être « tendance », suivre les modes, au gré des vents médiatiques, publicitaires et propagandistes, soit nous pensons résister à cela... en suivant d’autres modèles plus conservateurs, avec des valeurs et une culture que nous avons précédemment intériorisées — c’est-à-dire imitées — et auxquelles nous restons fidèles en les reproduisant avec constance.

Autrement dit, que nous ayons l’habitude du changement ou celle de la constance, nous sommes toujours dans l’habitude de l’imitation.

Au final, toute la différence entre ces deux extrêmes tient aux rythmes auxquels nous nous « accordons » aux autres : soit ils sont rapides et rendent le changement manifeste, soit ils sont lents et nous semblont alors cultiver la constance alors que, dans un cas comme dans l’autre, nous suivons le rythme et donc, nous imitons.

Comme le disait excellemment le poète Thoreau : « si un homme ne marche pas au pas de ses camarades, c'est qu'il entend le son d'un autre tambour ». Comprenons qu’ à chaque instant, l’homme « reproduit » quelque chose, il imite donc. Ce qui n’enlève rien au fait qu’il puisse avoir sa propre manière de marcher. Disons le clairement une bonne fois pour toutes : la différence n’annule pas la ressemblance. Une reproduction peut être originale en amenant des variations ou des différences, elle n’en reste pas moins une reproduction.

Ceci étant, comment comprendre la généralité du fait mimétique, comment l’expliquer ?

Ainsi que je l’ai déjà suggéré plusieurs fois, si on considère l’habitude, comme étant (1) d’une absolue généralité et (2) une véritable « machine à imiter », l’omniprésence des phénomènes d’imitation cesse d’être un mystère.

C’est cette hypothèse que nous allons à présent explorer, l’objectif étant de comprendre comment il se pourrait faire que l’imitation soit le produit logique, nécessaire, automatique de l’habitude, c’est-à-dire, résulte inévitablement du fonctionnement des cycles perception-action ou des réactions circulaires dont nous sommes constitués.

Revenons pour ce faire à notre précédent exemple du cri chez le bébé et observons tout d’abord que sa persistance dans le temps aura d’autant plus de chance de se produire que d’autres bébés se trouveront à proximité. C’est le phénomène bien connu de contagion du cri qui s’observe régulièrement lorsque plusieurs bébés sont rassemblés dans un même espace : pouponnière, crèche, etc.

Dans un tel cadre, la hantise des soignants ou des éducateurs est que par ses cris, un bébé mette en émoi tout le groupe car le concert de cris peut alors durer de longues heures avant que la fatigue ne reprenne le dessus et permette un retour au calme toujours précaire.

Remarquons que la hantise des responsables de ces tout petits hommes est exactement la même que celle de nos responsables politiques. Depuis la Révolution, ceux-ci ont bien compris que leur pire ennemi étaient les foules humaines solidarisées (prises en masse) dans un même élan acquis par imitation réciproque.

Au XIXe siècle, les premières psychologies sociales (cf. Tarde, Le Bon, Sighele, Baldwin, etc.) répondent avant tout au besoin de comprendre (et de contrôler) ces « foules délinquantes » qui renversent l’ordre établi et font les révolutions. Toutes vont converger vers cet aspect fondamental de la psyché humaine qu’est l’imitation. Au XXe siècle, les mouvements fascistes en tireront d’ailleurs de très puissantes stratégies de manipulation des masses [1].

Notons que si on a beaucoup glosé sur la manipulation, c’est d’abord pour préserver l’idéal romantique du sujet en tant qu’être autonome dont le désir est absolument libre et absolument propre à sa personne ; c’est ensuite pour mieux masquer le fait que, le panurgisme étant ce qu’il est, le mensonge des dirigeants à l’égard du peuple a toujours été la norme et que nos « démocraties » capitalistes et consuméristes n’ont fait, en somme, qu’industrialiser une propagande (cf. The century of self) qui a été de toutes les époques.

Celle que nous connaissons actuellement a été d’autant plus efficace que tel un phare projettant dans nos esprits aveuglés le mythe de l’individu libre et autonome, elle a ipso facto produit la matrice d’une modernité dont elle se voudrait, autant que possible, absente.

Nous croyons mordicus en notre autonomie et notre libre-arbitre, nous les posons en principe explicatif de nos actes et, cette habitude de pensée, présente au plus intime de notre expérience quotidienne, structure automatiquement cette dernière de manière à se perpétuer indéfiniment, comme toute habitude digne de ce nom.

Autrement dit, si vous pensez vivre dans une société moderne, démocratique constituée d’individus libres et indépendants, il est clair que vous êtes vous-même victime de cette propagande née au XXe siècle. Vous pratiquez le même « grégarisme individualiste » que les Monty Python ont brillamment tourné en dérision dans cette séquence du savoureux film « La Vie de Brian ».

Tels des bébés qui, portés par l’imitation réciproque, se solidarisent dans un cri unanime et se canalisent donc les uns les autres vers une même activité à laquelle ils s’adonnent avec frénésie, de tout leur être, nous sommes dans quasiment tous les aspects de nos vies des êtres soumis aux normes des groupes et des communautés auxquels nous pensons appartenir, en particulier, celles de la société occidentale individualiste qui nous formate à l’idée que nous sommes des êtres rationnels, indépendants, autonomes, doués de libre-arbitre et donc rebelles à toutes les formes d’influence sociale.

Que les choses soient claires : la soumission aux normes n’est jamais qu’un panurgisme, une imitation de la dynamique du troupeau auquel nous pensons appartenir. Manipulations et propagandes n’existent que parce que nous sommes toujours-déjà portés à l’imitation et au suivisme. C’est pourquoi, avant de nous intéresser aux premières, il importe de comprendre la tendance à l’imitation.

D’où vient cette mimesis dont la puissance est telle que Platon allait jusqu’à nous prévenir de ne pas imiter ni la femme heureuse ou malheureuse, ni les esclaves, ni les méchants, ni les fous, ni « le hennissement des chevaux, le mugissement des taureaux, le murmure des rivières, le fracas de la mer, le tonnerre et tous les bruits du même genre... » (République 395d - 396b) ?

Platon nous met d’emblée sur la piste d’une affinité entre imitation et habitude qui est à présent bien connue :

« ...n’as-tu pas remarqué que l'imitation, si depuis l’enfance on persévère à la cultiver, se fixe dans les habitudes et devient une seconde nature pour le corps, la voix et l’esprit ? » (République 395d - 396b)

C’est une évidence, l’imitation mène à la formation d’habitudes, bonnes ou mauvaises. Elle a donc constitué, depuis toujours, la base première de l’éducation. Mais cela ne suffit pas. Pour comprendre la généralité de l’imitation il importe que l’inverse soit vrai, à savoir, que l’habitude elle-même suscite l’imitation.

Le fait est que l’habitude est déjà un mécanisme de reproduction de comportements passés : les nôtres. Ne pourrait-elle aussi nous porter à la reproduction de comportements semblables, donc de comportements manifestés par nos semblables ?

C’est précisément ce que nous allons pouvoir constater. Pour cela, revenons à l’exemple de la réaction circulaire de cri du bébé qui est illustrée ci-dessous par la Figure 1. Pour résumer très vite, disons que cette réaction produit un cri qui est justement le stimulus qui la déclenche, l’entretient ou la stimule de sorte qu’elle ne cesse de se... reproduire.

Son mécanisme, excessivement simple, est constitué d’un simple lien sensori-(idéo)-moteur qui relie le percept à l’action motrice, faisant que l’actualité du premier amène la réalisation de la seconde.



En effet, à l’audition d’un stimulus, c’est-à-dire, d’un cri, la réaction circulaire qui le perçoit et le reconnaît comme semblable au sien va s’activer et reproduire le cri en question. Elle reproduit donc à nouveau « le stimulus qui la déclenche, l’entretient ou la stimule » et, dès lors, l’action consistant à crier va logiquement suivre, grâce le lien idéomoteur. La boucle est bouclée et peut se perpétuer ad libitum.

Ce modèle en cycle perception-action nous donne donc une explication très simple et immédiate du phénomène d’imitation : rien ne ressemblant plus à un cri de bébé qu’un autre cri de bébé, il est aisé de comprendre que le cri d’un quelconque bébé pourra stimuler la réaction circulaire de cri de n’importe quel autre bébé et souvent même de plusieurs autres. Ceci est illustré par la Figure 2.



En assimilant le cri de l’autre au sien propre, le bébé qui active sa réaction circulaire imite bel et bien son congénère puisqu’il reproduit son comportement en criant à son tour. Ce faisant, il renforce le stimulus et très vite les deux bébés crient de concert, produisant en chœur un signal plus puissant, plus stable qui entraînera progressivement tous les bébés alentours, même les plus sereins.

La phase clé de ce mécanisme mimétique est l’assimilation, c’est-à-dire, le fait qu’un individu perçoive le comportement de son congénère comme semblable au sien. C’est seulement parce que le bébé B assimile le cri de A au sien que cette perception peut enchaîner mécaniquement sur la production du même comportement, un cri, via le lien sensori-idéo-moteur constitutif de son habitude.

Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’une fois l’assimilation opérée, l’imitation suit automatiquement — sauf si un effort volontaire nous porte à inhiber ce comportement. Cette mécanicité de l’imitation peut déranger, mais elle ne peut nous surprendre dès lors qu’on la sait adossée à l’habitude, LE mécanisme automatique par excellence.

Considérons à présent ce qui se passe lorsque notre écosystème d’habitudes se trouve en présence d’une autre personne et donc d’un autre écosystème d’habitudes.

La chose est très simple : partout où les habitudes de l’un pourront assimiler les habitudes de l’autre, elles se verront activées et si rien ne vient les inhiber, il y aura reproduction, donc imitation, le plus souvent en toute inconscience.

Les meilleurs amis du monde sont souvent ceux qui, au travers d’un progressif « accordage » de leurs représentations, de leurs goûts et de leurs affects en viennent à être des « alter ego » l’un pour l’autre. Bien sûr, aucun ne cessera de voir ce qui le différencie de l’autre, mais leur proximité, et plus exactement leur similitude sur un grand nombre de points n’échappera pas à l’observateur extérieur.

Cette logique d’accrochage automatique des cycles de l’habitude permet de comprendre l’omniprésence des phénomènes du genre il bâille, je bâille, il tousse, je tousse, il boit, j’ai soif, il mange, ça me donne faim, il regarde ici ou là, je regarde ici et là, il a peur, j’angoisse, il est serein, je suis rassuré, etc.

C’est mathématique : si nous n’avons pas de raison d’inhiber, nous imitons, d’autant plus que nous nous sentons proches (semblables) des personnes avec qui nous sommes en interaction.

Lorsque deux personnes sont engagées dans une conversation amicale le simple fait de changer de posture d’une manière ou d’une autre — comme croiser ou décroiser les bras ou les jambes — augmente considérablement les chances que l’interlocuteur fasse de même car (a) non seulement il n’a concrètement aucune raison d’inhiber ce comportement mais (b) il a, au contraire, toutes les bonnes raisons de le faire vu que l’impact en est très positif : c’est en effet le meilleur moyen de montrer une empathie « sincère », le fait que l’on est « en phase » avec le locuteur.

Même si nous n’en prenons généralement pas conscience, nous percevons et nous aimons que notre interlocuteur vienne se synchroniser avec nos rythmes, jusques et y compris le rythme respiratoire. Qui n’aime se sentir en accord, « accordé » et donc approuvé ?

Cet accrochage des rythme est d’ailleurs devenu la technique de manipulation de base de la PNL. Car celui à qui nous disons « oui » par notre attitude, celui que, manifestement, nous suivons, sera par la suite mimétiquement porté à nous dire « oui » lui aussi, il nous suivra beaucoup plus facilement. Cette imitation réciproque est ainsi un « accrochage » au sens propre car il y a alors moyen de « tirer » la personne concernée dans la direction souhaitée.


En résumé, le modèle en réaction circulaire met en lumière ce grand secret de l’habitude qu’est sa tendance mimétique. L’habitude est un processus de reproduction qui, parce qu’il s’appuie sur une phase d’assimilation, ne peut pas ne pas être mimétique puisqu’il y a toujours moyen d’assimiler un semblable à soi et dès lors, la machinerie de reproduction de l’habitude ne pourra manquer de s’activer à une occasion ou une autre.

L’imitation a ainsi toutes raisons d’être aussi générale que l’habitude et c’est précisément ce qui n’a cessé d’être observé [2]. Non pas seulement au niveau du bâillement [3] mais dans absolument tous les registres de comportements.

Ceci est, bien sûr, davantage une annonce qu’un constat argumenté. Il conviendrait d’indiquer le lien qu’entretient précisément chaque domaine psychologique avec l’imitation. Il serait encore plus important d’expliquer comment et pourquoi l’imitation est tellement générale qu’elle concerne la biologie, la chimie et la physique — d’où le titre de cet article. Tout cela sera développé dans le prochain article car il est temps de donner une conclusion provisoire et donc, de revenir à la question de l’autisme.
Conclusion

Nous venons de faire l’hypothèse que tous les phénomènes de « contagion » comportementale ou mentale que nous connaissons peuvent se comprendre comme résultant d’une tendance mimétique inhérente au mécanisme de l’habitude.

En concevant celle-ci comme une réaction circulaire ou un cycle perception-action qui se ferme sur lui-même et tend donc à se répèter indéfiniment en assimilant le produit de sa propre activité, nous comprenons aisément que cette dernière pourra être déclenchée, entretenue ou stimulée si le cycle en question assimile pareillement le produit de l’activité d’un de ses semblables.

L’habitude et l’imitation dépendraient donc toutes deux de ce processus clé qu’est l’assimilation, c’est-à-dire, le fait de reconnaître deux formes comme semblables ; ce qu’en informatique et en sciences cognitives on désigne souvent par le terme anglais de « pattern matching ».

Ce constat devient particulièrement intéressant lorsque l’on sait que la plupart des animaux sont dotés d’une certaine capacité à reconnaître leur semblables. Et cela pour... :
la reconnaissance, l’attachement et la relation du nouveau-né aux parents nourriciers (et réciproquement)
la reconnaissance, l’attachement et toutes les formes de relation aux congénères tellement importantes pour les espèces sociales.
la reconnaissance de l’autre en tant que possible partenaire sexuel

Ceci est, bien sûr, tout spécialement vrai pour le petit de l’Homme qui, dès la naissance, sait reconnaître et les formes et les mouvements humains. Ainsi, en voyant le dessin d’un visage, même très schématique, le bébé reconnaît un semblable, il se sent en sécurité et se met à sourire.

Ceci étant, demandons-nous ce qui se passerait pour un bébé qui, pour quelque raison que ce soit, ne serait pas capable de reconnaître la forme humaine, sa propre forme, et serait donc incapable de s’assimiler les êtres qui l’entourent ?

Mon hypothèse est que ce serait tout le tableau de l’autisme qui en découlerait. Comme je ne peux argumenter à présent, je vais me contenter d’illustrer ce que peut donner un déficit d’assimilation en citant Donna Williams, elle-même autiste et auteur d’un livre remarquable : « Nobody Nowhere » traduit en français sous le titre « Si on me touche, je n’existe plus ». Voici ce qu’elle écrivait :


« Je me rappelle mon premier rêve — ou du moins, c’est le premier dont je me rappelle. Je me déplaçais dans du blanc, sans aucun objet, juste du blanc. Des points lumineux de couleur duveteuse m’entouraient de toute part. Je passais à travers eux et ils passaient à travers moi. C’était le genre de choses qui me faisaient rire. Ce rêve est venu avant tous les autres où il y avait de la merde, des gens ou des monstres et certainement bien avant que je remarque la différence entre les trois. » (p. 3) (tr. auct.) C'est moi qui souligne

Au travers de ce rêve Donna Williams nous oriente directement vers la problématique de l’assimilation. C’est cette piste que nous tenterons de suivre dans le prochain article.

[1] Cf. le livre de Serge Moscovici (1985) L’ère des foules qui est très informatif sous ce rapport.
[2] Cf. Tarde (1890) Les lois de l’imitation ; Girard (1961) Mensonge romantique et vérité romanesque ; Donald (1999) Les origines de l’esprit moderne.
[3] cf. le moche et cependant très riche site baillement.com

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