mardi 18 septembre 2012

Le pape et les fanatiques

A contre-courant, dans un contexte de guerre en Syrie et de manifestations anti-américaines dans le monde islamique, le pape au Liban a prêché un discours contre le fanatisme religieux et pour la cohabitation pacifique entre chrétiens et musulmans.

Benoît XVI à Beyrouth, le 15 septembre 2012. REUTERS/Osservatore Romano - Benoît XVI à Beyrouth, le 15 septembre 2012. REUTERS/Osservatore Romano -

Du flot des images venues ce week-end du monde arabe, à nouveau emporté et embrasé par les fanatismes religieux, se détachait la frêle silhouette blanche du pape présidant une cérémonie sur le front de mer de Beyrouth, devant 350.000 personnes, chrétiens, musulmans, toutes confessions confondues, y compris les chiites libanais du Hezbollah.
D’un côté, d’hystériques manifestations de colère anti-américaines contre la pitoyable bande-annonce de treize minutes d’un film insultant le prophète Mahomet. De l’autre, un homme venu de Rome prêcher modestement, dans cette région-poudrière du Proche-Orient, la fin des fanatismes meurtriers, «la victoire du pardon sur la vengeance, de l’amour sur la haine, de l’humilité sur l’orgueil, de l’unité sur la division».

Deux discours à contre-courant, deux visions du monde que tout oppose. D’un côté, celle des stratégies extrémistes, enfermées dans la même détestation de l’autre, enchaînées dans la même spirale de violences, se nourrissant l’une de l’autre: la stratégie des fondamentalistes prêchant la haine de l’islam, auteurs d’un pamphlet indigne qui a enclenché une semaine d’émeutes meurtrières (10 morts) dans tout le monde musulman et qui n’a pas épargné la France; puis la stratégie des salafistes-djihadistes trouvant, dans ce film assassin, le prétexte à alimenter, après l’affaire Rushdie, après celle des caricatures de Mahomet, et en plus grand, leur haine de l’Occident, des juifs et des chrétiens, et à relancer une guerre sainte inexpiable.
De l’autre côté, résistent les forces du droit, du combat pacifiste opposé tant au blasphème qu’à la vengeance, de l’entente, malgré tout, des chrétiens et des musulmans, qui exclut toute naïveté et tout angélisme, mais qu’on n’entend pas. «Pourquoi tous ces meurtres?», s’est interrogé pathétiquement Benoît XVI dimanche à Beyrouth, en pensant aussi à la Syrie voisine:
«J’entends les cris des veuves, des orphelins, des femmes, des enfants. J’en appelle à la communauté internationale. J’en appelle aux pays arabes afin qu’en frères, ils proposent des solutions viables qui respectent la dignité de chaque personne, ses droits et sa religion. J’appelle la société internationale et les pays arabes à proposer des solutions qui respectent les droits de l’homme et la liberté de pratiquer ses croyances religieuses.»  

Le silence des armes

Le Vatican avait condamné dès le mercredi 12 septembre le film qui a enflammé le monde musulman. Mais avait-on assez dit que la violence était une caricature, plus qu’un produit, de la religion? Et même, a renchéri le pape, une «falsification» de la religion, de son message de tolérance, d’éducation, de «purification», de dialogue, de paix?
A-t-on assez dit que le nom de Dieu porté à l’absolu, pour combler des frustrations sociales, politiques, identitaires, ou pour justifier un projet totalitaire, était responsable d’une partie des plus grands crimes de l’Histoire? Que si les religions sèment des germes de discorde et de violence en transformant des vérités en dogmatismes, ce sont les hommes qui prennent prétexte de tout, y compris du nom divin, pour exprimer leur propre besoin de violence et leur propre fanatisme?
A contre-courant donc, le pape en a appelé à l’arrêt des violences, à la paix entre les factions en guerre et entre les nombreuses communautés religieuses de la région:
«Puisse Dieu concéder au Liban, à la Syrie, au Moyen-Orient, le don de la paix des cœurs, le silence des armes et l’arrêt de toute violence. Puissent les hommes comprendre qu’ils sont tous frères.»
Il a salué l’avènement du Printemps arabe, le désir de plus de démocratie et de liberté, la rénovation de l’identité arabe, mais pas au sacrifice d’une communauté chrétienne –15 millions de chrétiens au Moyen-Orient– dont la survie et le maintien sont indispensables à l’équilibre, à la prospérité et à la paix de toute une région.
Il a demandé aux chrétiens de résister à la tentation de partir, malgré la précarité croissante des conditions de vie, les guerres, malgré la pression de l’islam radical. Il a reçu à Beyrouth les dirigeants sunnites, chiites, druzes, alaouites et pressé les musulmans et les chrétiens de ne pas rompre avec les siècles d’engagement et de vie commune:
«Il faut que l’ensemble du Moyen-Orient comprenne que les musulmans et les chrétiens, l’islam et la chrétienté, peuvent vivre ensemble sans haine, dans le respect des croyances de chacun. Il n’est pas rare de voir dans la même famille deux religions. Si, dans une même famille, cela est possible, pourquoi cela ne le serait-il pas au niveau de l’ensemble de la société?»
Autrement dit, une société plurielle ne peut exister que dans le respect réciproque, dans le désir de connaître l’autre et dans le dialogue continu.         
Sa voix isolée, qu’on a dit souvent gaffeuse sur le plan diplomatique, mais courageuse, était recouverte dès lundi matin au Liban, après la trêve de la visite de Benoît XVI, par le cri de musulmans en colère, sortis dans la rue à l’appel des dirigeants du Hezbollah.
Henri Tincq

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