jeudi 20 septembre 2012

Maïs OGM Monsanto, l'étrange affolement du gouvernement français

Une expérience contestée sur deux cents rongeurs de laboratoire affole le gouvernement français. Bruxelles dit s’inquiéter. De quoi, au juste, s’agit-il?

A DeWitt, dans l'Iowa, en juin 2012.  REUTERS/Adrees Latif - A DeWitt, dans l'Iowa, en juin 2012. REUTERS/Adrees Latif -

Au départ, c’est un article à paraître dans une revue très spécialisée du groupe Elsevier: Food and Chemical Toxicology. Un article de recherche en toxicologie animale comme il s’en publie des centaines chaque semaine. Celui-ci est intitulé «Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize». Il est signé d’une équipe dirigée par Gilles-Eric Séralini et Joël Spiroux de Vendômois (Criigen, université de Caen), deux spécialistes connus de longue date pour être opposés aux organismes végétaux génétiquement modifiés.
Les chercheurs y expliquent avoir nourri, durant deux années, deux cents rats (mâles et femelles) soit avec du maïs normal soit avec le maïs génétiquement modifié «R-tolerant NK603» de la multinationale américaine Monsanto; une manipulation destinée à rendre ce végétal résistant à l’herbicide Roundup. Le maïs OGM NK603 est autorisé à l'importation en France et en Europe, où il est notamment utilisé dans l'alimentation du bétail.

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L’alimentation de ces rats comportait jusqu’à 11% de ce maïs. Ils ont aussi ajouté dans l’eau de boisson de ces rats le même herbicide à des taux équivalents à ceux qui sont autorisés (aux Etats-Unis notamment) là où il est permis de cultiver ce maïs et de le traiter contre les mauvaises herbes avec du Roundup. Tel qu’il est présenté, le bilan de ce travail est hautement inquiétant. Les rats nourris avec le maïs génétiquement modifié développent entre deux et trois fois plus de tumeurs que ceux qui ne le sont pas. Au 24e mois, entre 50 et 80% des «femelles OMG» sont touchées par des processus tumoraux mammaires contre 30% de leurs congénères non-OGM. Des lésions rénales et hépatiques ont d’autre part été observées lors des autopsies, de même que la biologie a montré l’existence de déséquilibres des hormones sexuelles.

«Après moins d’un an de menus différenciés au maïs OGM, c’était une hécatombe parmi nos rats dont je n’avais pas imaginé l’ampleur», a confié le Pr Séralini au Nouvel Observateur qui consacre sa une à cette étude avec ce titre: «Les révélations d’une étude de scientifiques français. Oui, les OGM sont des poisons!».
En dépit de cette hécatombe précoce, les autorités sanitaires ne semblent pas avoir été immédiatement prévenues. Et l’étude a été conduite jusqu’à son terme. Elle a été adressée le 11 avril 2012 à la revue qui va la publier, après l’avoir accepté le 2 août. L’imminence de cette publication et la médiatisation coordonnée de son contenu vulgarisé par les opposants à l’usage des végétaux génétiquement modifiés dans l’agriculture a, le 19 septembre, déclenché un phénomène rarement observé. Quelques heures après les premières informations les ministres de la Santé, de l'Ecologie et de l'Agriculture publiaient le communiqué de presse suivant :
«Le Gouvernement a pris connaissance des informations, rendues publiques aujourd'hui, sur l'étude menée par des chercheurs français, mettant en cause l'innocuité à long terme du maïs transgénique NK 603 sur les rats. Les conclusions de cette étude font l'objet d'une saisine immédiate de l'Agence Nationale de Sécurité Sanitaire. Elles feront également l’objet d’une analyse par le Haut Conseil des Biotechnologies. Elles seront également transmises en urgence à l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments.

En fonction de l'avis de l'ANSES, le Gouvernement demandera aux autorités européennes de prendre toutes les mesures nécessaires en termes de protection de la santé humaine et animale, mesures qui pourront aller jusqu’à suspendre en urgence l’autorisation d’importation dans l’Union européenne du mais NK 603, dans l’attente d’un réexamen de ce produit sur la base de méthodes d’évaluation renforcées.

Cette étude semble confirmer l'insuffisance des études toxicologiques exigées par la règlementation communautaire en matière d'autorisation de mise sur le marché de produits transgéniques. Elle valide la position de précaution prise par le Gouvernement français sur le moratoire des cultures OGM. Le Gouvernement demande aux autorités européennes de renforcer dans les meilleurs délais et de façon significative l'évaluation des risques sanitaires et environnementaux.»
Au même moment la Commission européenne annonçait avoir demandé à  l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) d'examiner les résultats de cette étude, précisait ne pas l’avoir lue mais promettait d'en «tirer les conséquences». Bruxelles a fait savoir que la première conséquence était le gel de l'examen de la demande de renouvellement de l'autorisation de culture accordée au géant américain Monsanto pour sa semence OGM MON-810. «Il est trop tôt pour faire un commentaire sérieux. Dès qu’elle sera disponible nous étudierons la publication scientifique, a fait savoir la filiale française de Monsanto rappelant que plus de 300 études sur l'alimentation OGM des animaux sont déjà disponibles. Nous aurions aurait trouvé beaucoup plus crédible de la part des auteurs qu'avant de se répandre dans la presse avec des propos anxiogènes, ils se confrontent avec d'autres comités d'experts pour mesurer la robustesse de leur étude.»

Pour leur part, les anti-OGM souligne que la nouveauté de l'expérience française porte sur la taille de l'échantillon et sa durée de deux ans, soit le temps de vie d'un rat. Ils font valoir que ces paramètres donnent une image plus réaliste et plus autorisée que les précédentes études qui se résumaient à une période de quatre-vingt dix jours. Des affirmations contestées en France, notamment par les experts de l’Association française des Biotechnologies végétales (Afbv):
«Contrairement à ce qui est affirmé, la dernière étude du Criigen n’est pas la première à avoir évalué les effets à long terme des OGM sur la santé, fait valoir cette association. Il existe en effet de nombreuses études toxicologiques qui ont évalué  les effets à long terme des OGM sur la santé des animaux. Ces études réalisées sur des rats mais aussi sur d’autres animaux par des chercheurs d’horizons différents n’ont jamais révélé d’effets toxiques des OGM. Bien entendu, si cela si cela avait été le cas, les Agences d’évaluations nationales et internationales en auraient tenu compte.»
L’Afbv précise «tenir à la disposition la liste de ces études et leurs références pour tous ceux qui veulent disposer d’une information diversifiée». A l’étranger, d’autres voix se sont déjà élevées pour contester les résultats. Interrogé par Reuters, Tom Sanders, directeur du département des sciences nutritionnelles au King's College de Londres, note que Gilles-Eric Seralini et son équipe n'ont pas fourni de données chiffrées sur la quantité de nourriture donnée aux rats, ni sur leur taux de croissance:
«Cette race de rat est particulièrement sujette aux tumeurs mammaires lorsque les ingestions de nourriture ne sont pas contrôlées. Les méthodes statistiques sont inhabituelles et les probabilités ne permettent pas de comparaisons multiples. Il n'existe pas de projet d'analyse de données et il semble que les auteurs n'ont retenu que les chiffres les intéressant.»
En d’autres termes, les chercheurs français auraient élaboré une méthodologie expérimentale susceptible de fournir les résultats qu’ils souhaitaient obtenir. C’est là une accusation grave dans le milieu scientifique. 

Le Pr Mark Tester (Université d'Adelaïde) s'étonne lui que les précédentes études toxicologiques n'aient pas soulevé les mêmes inquiétudes. «Si les effets sont aussi importants que rapporté et que l'étude est vraiment pertinente concernant l'homme, pourquoi les Nord-Américains ne tombent-ils pas comme des mouches, observe-t-il. Les OGM font partie de la chaîne alimentaire depuis une décennie là-bas et la longévité continue de s'accroître inexorablement.»

Moins que l’intense médiatisation assurée par ses auteurs et les écologistes qui partagent leurs convictions, c’est la réactivité, totalement inhabituelle, du gouvernement français, qui ne peut manquer de surprendre. Tout se passe, une nouvelle fois, comme si les responsables politiques tenaient à se prémunir d’une éventuelle responsabilité sanitaire future en saisissant les différentes institutions en charge des expertises scientifiques; des institutions qui ont déjà été sollicitées de nombreuses fois sur les différentes facettes de la toxicité potentielle du maïs génétiquement modifié de Monsanto.

On peut par ailleurs observer qu’avant même d’avoir pris connaissance de cette étude la Commission européenne décide de geler une demande de renouvellement d’autorisation de cultures de semences Monsanto. Dans l’attente des suites que connaîtra cette affaire, il se confirme que la production scientifique peut servir des causes les plus diverses et générer des comportements  plus ou moins rationnels.

Jean-Yves Nau

L'AUTEUR Journaliste et docteur en médecine, ancien instituteur, Jean-Yves Nau a été en charge de la rubrique médecine du Monde de 1980 à 2009. Il tient le blog Journalisme et santé publique sur le site de l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP).

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