samedi 7 juillet 2012

Le savoir scientifique peine à s’imposer dans les cerveaux

 

Publiés en 2005 dans un Eurobaromètre intitulé "Les Européens, la science et la technologie", ces chiffres me sidèrent toujours un peu quand je les vois et il est, je crois, utile de les rappeler régulièrement. Réalisé à partir de quelque 33 000 entretiens menés dans une trentaine de pays d'Europe (Turquie comprise), ce baromètre donne notamment un aperçu de l'état des connaissances scientifiques. Face à l'affirmation suivante – "le Soleil tourne autour de la Terre" – 29 % des personnes interrogées ont déclaré qu'elle était vraie, 66 % l'ont jugée fausse (ce qu'elle est) et 4 % ne savaient pas ou ont refusé de répondre. De la même manière, seulement 46 % des sondés ont dit que les électrons étaient plus petits que les atomes (réponse correcte), 29 % pensant le contraire et 25 % ne se prononçant pas. Il se trouve aussi 20 % de personnes pour croire que le sexe de l'enfant est déterminé par les gènes de la mère, 23 % pour dire que les premiers humains ont cohabité avec les dinosaures, 26 % pour penser que les lasers sont faits d'ondes sonores, 20 % pour estimer qu'Homo sapiens ne s'est pas développé à partir d'espèces antérieures (à comparer avec les 46 % d'Américains qui partagent la même opinion) tandis que 17 % affirment que la Terre fait le tour du Soleil en un mois, au lieu d'un an.
Certaines questions sont évidemment plus compliquées que d'autres et il ne faut pas non plus négliger les contextes culturels et religieux. Mais tout de même, 29 % de géocentriques, cela fait beaucoup en ce début de troisième millénaire car point n'est besoin d'avoir un doctorat de physique pour savoir que la Terre tourne autour du Soleil et pas le contraire : c'est au programme de l'école primaire. D'où la question suivante : pourquoi le savoir scientifique peine-t-il à s'inscrire dans les cervelles ? Dans une étude publiée en mai par la revue Cognition, Andrew Shtulman et Joshua Valcarcel, deux chercheurs en psychologie de l'Occidental College de Los Angeles, semblent avoir trouvé une partie de la réponse, grâce à une petite expérience assez simple.
Ils sont partis de l'hypothèse selon laquelle, lorsque les écoliers, collégiens, lycéens et étudiants suivent des cours de sciences, ce qu'on leur enseigne entre parfois en conflit avec ce qu'ils savent intuitivement du monde (ce que Shtulman et Valcarcel appellent les théories "naïves", au sens d'"empiriques") car, lorsqu'ils arrivent en classe ou en amphi, leur cerveau n'est pas une feuille vierge attendant d'être imprimée. Pour reprendre le cas du géocentrisme, celui-ci est "expérimenté" quotidiennement et est inscrit dans le langage puisqu'on dit chaque jour que le Soleil "se lève", qu'il décrit son orbe dans le ciel où il "se déplace", puis qu'il "se couche". Il est donc contre-intuitif de prétendre que c'est la Terre qui tourne autour du Soleil et que le mouvement apparent de ce dernier est dû à la rotation de notre planète. Shtulman et Valcarcel se sont donc demandé ce qu'il advenait des théories naïves lorsque la science les démentait : sont-elles purement et simplement effacées et remplacées par le savoir scientifique ou bien demeurent-elles dans nos esprits, de manière latente, sous-jacente.
Leur expérience a consisté à soumettre des jeunes adultes ayant suivi plusieurs années d'enseignement des sciences à un test de rapidité. Il fallait, le plus vite possible, ranger 200 affirmations dans la catégorie "vrai" ou "faux". Théories naïves et scientifiques se rejoignaient sur certaines assertions ("la Lune tourne autour de la Terre") mais étaient en désaccord sur d'autres ("la Terre tourne autour du Soleil"). Dix domaines scientifiques étaient explorés, de l'astronomie à la génétique, des fractions à la thermodynamique, en passant bien sûr par l'évolution et la biologie. La moitié des 200 phrases présentées étaient censées provoquer une dissonance entre savoir intuitif et savoir scientifique. Citons par exemple "la Lune produit de la lumière" (naïvement vraie puisque la Lune brille, scientifiquement fausse puisque notre satellite se contente de réfléchir la lumière du Soleil), "1/13 est plus grand qu'1/30" (intuitivement fausse pour beaucoup, qui ne considèrent que la grandeur du dénominateur, mais mathématiquement vraie), "les atomes sont principalement composés de vide" (naïvement fausse/scientifiquement vraie) et le célébrissime "un kilo de plomb pèse plus qu'un kilo de plumes".
Les résultats livrent deux enseignements. Primo, que l'on se trompe bien plus lorsqu'il y a conflit entre, d'un côté, l'intuition (et aussi probablement les convictions religieuses) et, de l'autre, la science. Secundo, que l'on met systématiquement plus de temps à évaluer une affirmation quand les théories naïves et scientifiques ne sont pas d'accord. L'étude note aussi que, de manière générale, plus les connaissances scientifiques ont été acquises tôt, moins il y a d'erreurs, sans toutefois que cela les empêche toutes. Le savoir scientifique peut masquer le savoir "naïf" mais ne l'efface jamais. Il résiste, reste là, quelque part, dans un coin de notre cerveau, comme s'il ne demandait qu'à ressortir. Cela lui arrive d'ailleurs parfois, d'une manière un peu détournée. Une étude parue en 2007 dans Psychological Science a montré que les personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer avaient, pour expliquer les phénomènes physiques (par exemple "pourquoi le Soleil brille-t-il ?"), nettement plus tendance que les adultes sains à préférer une explication par la finalité ("pour que les animaux et les plantes aient assez de lumière pour survivre") que par les causes ("parce que des réactions chimiques dans le Soleil produisent de la lumière"). Comme les enfants.
Pierre Barthélémy

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