La question de l’universel hante périodiquement nos débats depuis l’après-guerre. Joseph Yacoub l'explore dans L'Humanisme réinventé.
- L'Homme de Vitruve (détail) de Léonard de Vinci.
Tel un serpent de mer, la question de l’universel hante périodiquement nos débats depuis l’après-guerre. Il nous manquait un retour érudit sur la période 1946-1952, années durant lesquelles l’Unesco contribua à la préparation de la déclaration universelle des droits de l’homme, qui fut signée le 10 décembre 1948, avant de se mettre au service de sa diffusion. Elle le fit en conduisant de riches enquêtes minutieusement explorées par Joseph Yacoub dans son dernier ouvrage L’humanisme réinventé. Mais cette approche historique est-elle réellement de nature à clarifier le débat philosophique sur la question de l’universel? Ce n’est pas certain.
Ces trois enquêtes furent:
Après la signature de la déclaration de 1948, une seconde enquête fut confiée à Julian Huxley, qui la conduisit de mai 1948 à novembre 1949. Son objectif: «Rechercher si les valeurs, les principes, les idéaux qu’exprime cette déclaration peuvent se concilier avec les doctrines et les pratiques des différents groupes culturels du monde d’aujourd’hui» (p. 96-97). Là encore, l’auteur examine quelques-unes des réponses reçues par la commission.
Enfin fut organisé en 1951 à New-Dehli un «entretien entre penseurs et philosophes de différents pays sur les relations culturelles et philosophiques entre l’Orient et l’Occident». On retiendra cette belle interrogation de l’Egyptien Ibrahim Madkour:
L’affirmation de Jacques Havet, selon laquelle «la culture est aujourd’hui le domaine où l’homme s’exprime le mieux dans son universalité» (p. 144), est à ce point éloignée des observations contemporaines qu’on ne voit guère en quoi un tel rappel peut éclairer le débat.
Et il ne suffit pas de feindre l’étonnement sur les raisons du «retour du débat sur l’universalité des droits de l’homme depuis deux décennies» (p. 151), il suffit encore moins de proclamer que la liberté et l’égalité des hommes en dignité et en droits est «incontestablement universelle», pour élaborer ne serait-ce qu’un début de conceptualisation. Un adverbe n’y suffit pas. Quant à la distinction entre un «relativisme universel» (visiblement rejeté par l’auteur) et un «relativisme relatif» (qui semble avoir ses faveurs), elle est si faiblement argumentée que le plus relativiste des philosophes se laisserait convaincre au sortir de ce livre par l’universalisme d’un Jean-François Mattéi dont les travaux sur ces thématiques sont d’une tout autre rigueur (cf. Le regard vide, Flammarion, 2007, ou plus récemment Le procès de l’Europe, P.U.F., 2011).
L’universel résiste-t-il à une approche purement historisante? Et si les cultures convergent (ce qui reste à démontrer), cette lente uniformisation est-elle bien de l’ordre de l’universalité? Suffirait-il que le fondamentalisme musulman s’étende à toute la surface de la terre pour que démonstration soit faite de son universalité? Autant de questions philosophique majeures que ce livre très érudit nous conduit à formuler, sans jamais lui-même ne serait-ce que les effleurer.
Philippe Granarolo
Article également publié sur le blog Trop Libre, de Fondapol
Joseph Yacoub, L’humanisme réinventé, Paris, Les Éditions du Cerf, mai 2012, 216 pages, 22 €.
Tel un serpent de mer, la question de l’universel hante périodiquement nos débats depuis l’après-guerre. Il nous manquait un retour érudit sur la période 1946-1952, années durant lesquelles l’Unesco contribua à la préparation de la déclaration universelle des droits de l’homme, qui fut signée le 10 décembre 1948, avant de se mettre au service de sa diffusion. Elle le fit en conduisant de riches enquêtes minutieusement explorées par Joseph Yacoub dans son dernier ouvrage L’humanisme réinventé. Mais cette approche historique est-elle réellement de nature à clarifier le débat philosophique sur la question de l’universel? Ce n’est pas certain.
Pourquoi cet examen aujourd’hui?
Les années d’après-guerre ont en quelque sorte «donné le la» de tous les débats qui suivront. Alain Finkielkraut fut l’un des premiers à le remarquer dans les meilleures pages de sa Défaite de la pensée (Gallimard, 1987). Mais il lui a peut-être manqué la connaissance de ces enquêtes sur les fondements philosophiques des droits de l’homme et la diversité des cultures conduites par l’Unesco et restituées par Joseph Yacoub.Ces trois enquêtes furent:
- 1° L’enquête de 1947 sur les fondements philosophiques des droits de l’homme, couronnée par la publication d’un texte intitulé «Pour une nouvelle déclaration des droits de l’homme».
- 2° L’enquête menée en 1948-1949 sur la diversité des cultures, aboutissant à la rédaction d’une déclaration intitulée «L’humanisme de demain et la diversité des cultures».
- 3° Les entretiens de New-Delhi en 1951, qui s’achevèrent par une série de recommandations en faveur d’un «nouvel humanisme», formule qui a suggéré à Yacoub le titre de son ouvrage.
Un beau travail d’historien
L’auteur nous apprend comment l’enquête de 1947 a contribué à la rédaction de la déclaration universelle de décembre 1948. Julian Huxley (1887-1975), alors directeur général de l’Unesco, et le Français Jacques Havet, qui représenta l’Unesco lors des travaux de la commission des droits de l’homme de l’ONU, jouèrent alors un rôle éminent. Cette enquête consista en un exposé-questionnaire adressé à deux cents personnalités du monde entier; soixante-dix d’entre elles répondirent. L’auteur choisit de commenter une vingtaine de ces réponses, parmi lesquelles celles de Gandhi, d’Emmanuel Mounier, de Jacques Maritain, de l’Américain Quincy Wright et du Chinois Chung-Shu Lo.Après la signature de la déclaration de 1948, une seconde enquête fut confiée à Julian Huxley, qui la conduisit de mai 1948 à novembre 1949. Son objectif: «Rechercher si les valeurs, les principes, les idéaux qu’exprime cette déclaration peuvent se concilier avec les doctrines et les pratiques des différents groupes culturels du monde d’aujourd’hui» (p. 96-97). Là encore, l’auteur examine quelques-unes des réponses reçues par la commission.
Enfin fut organisé en 1951 à New-Dehli un «entretien entre penseurs et philosophes de différents pays sur les relations culturelles et philosophiques entre l’Orient et l’Occident». On retiendra cette belle interrogation de l’Egyptien Ibrahim Madkour:
«Qui oserait dire que les notions de liberté et de tolérance sont une invention propre à une seule nation?»Ces mots ont peut-être été à l’origine du dernier chapitre de l’ouvrage, dans lequel l’auteur se penche sur le monde syriaque et sur le rôle de medium qu’a pu jouer pendant plusieurs siècles cette civilisation trop peu connue pour relier Orient et Occident. Mais ces pages sont sans doute trop brèves pour convaincre réellement le lecteur de la compatibilité entre diversité culturelle et universalité.
Une litanie de vœux pieux
Si l’étude menée par Joseph Yacoub est un modèle de sérieux et d’érudition, on ne saurait être aussi laudatif concernant la dimension philosophique de l’ouvrage, dont la seconde partie, prétendant à une «approche théorique» (p. 139-163) reste excessivement prisonnière des catégories de l’après-guerre, un peu comme si aucune réflexion philosophique novatrice n’avait été menée depuis.L’affirmation de Jacques Havet, selon laquelle «la culture est aujourd’hui le domaine où l’homme s’exprime le mieux dans son universalité» (p. 144), est à ce point éloignée des observations contemporaines qu’on ne voit guère en quoi un tel rappel peut éclairer le débat.
Et il ne suffit pas de feindre l’étonnement sur les raisons du «retour du débat sur l’universalité des droits de l’homme depuis deux décennies» (p. 151), il suffit encore moins de proclamer que la liberté et l’égalité des hommes en dignité et en droits est «incontestablement universelle», pour élaborer ne serait-ce qu’un début de conceptualisation. Un adverbe n’y suffit pas. Quant à la distinction entre un «relativisme universel» (visiblement rejeté par l’auteur) et un «relativisme relatif» (qui semble avoir ses faveurs), elle est si faiblement argumentée que le plus relativiste des philosophes se laisserait convaincre au sortir de ce livre par l’universalisme d’un Jean-François Mattéi dont les travaux sur ces thématiques sont d’une tout autre rigueur (cf. Le regard vide, Flammarion, 2007, ou plus récemment Le procès de l’Europe, P.U.F., 2011).
L’exemple privilégié de la dignité
Dans ses pages consacrées à la Mésopotamie, l’auteur rappelle quelques très belles formules du célèbre code d’Hammurabi (1750 av. JC). Mais doit-on lui rappeler que ce Code prescrit aussi que si la maison construite par un maçon s’est écroulée, tuant le fils du propriétaire, on tuera le fils du maçon? Exécuter le fils du maçon n’est alors pas contraire à la dignité de l’homme mésopotamien. Envoyer mourir dans les tranchées des millions d’hommes, est-ce oui ou non contraire à la dignité de l’homme? On répondait non en 1914, on répondrait oui aujourd’hui.L’universel résiste-t-il à une approche purement historisante? Et si les cultures convergent (ce qui reste à démontrer), cette lente uniformisation est-elle bien de l’ordre de l’universalité? Suffirait-il que le fondamentalisme musulman s’étende à toute la surface de la terre pour que démonstration soit faite de son universalité? Autant de questions philosophique majeures que ce livre très érudit nous conduit à formuler, sans jamais lui-même ne serait-ce que les effleurer.
Philippe Granarolo
Article également publié sur le blog Trop Libre, de Fondapol
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