lundi 4 février 2013

Nos dirigeants politiques font l’erreur de refaire la ligne Maginot

L’ex-PDG d’Essilor, Xavier Fontanet, “Manager de l’année 2011”, prend son bâton de pèlerin tous azimuts pour faire partager sa vision positive de la mondialisation et de la concurrence
Xavier Fontanet“Je défends l’entreprise concurrentielle mais n’utilise plus le mot libéral car c’est complètement inutile de se lancer dans des polémiques stériles.” Xavier Fontanet, ex-PDG d’Essilor et “Manager de l’année 2011”, prend son bâton de pèlerin tous azimuts pour faire partager sa vision positive de la mondialisation et de la concurrence.
“Ce qui me motive c’est de travailler à améliorer la compréhension de l’économie, de faire découvrir et aimer leurs entreprises par les Français.” Et il s’alarme : “Nos dirigeants politiques font la même erreur que leurs prédécesseurs à l’aube de la Seconde Guerre mondiale : on refait la ligne Maginot en croyant que l’Etat est un rempart contre la mondialisation et doit protéger les citoyens.”
Ce mauvais choix repose sur une méconnaissance de la réalité économique. A cet égard, il pointe le fait que dans notre gouvernement, pas un ministre n’a dirigé une entreprise et plus généralement la césure entre la politique et l’économie. “La sphère publique domine le Parlement (…). Il faudrait poser la règle de l’incompatibilité d’un emploi dans la fonction publique avec un mandat électif à l’Assemblée”, n’hésite pas à plaider Xavier Fontanet.
Ma vie d’ex-PDG d’Essilor ? J’ai fait le choix d’arrêter l’opérationnel. Je suis administrateur de L’Oréal, de Schneider Electric et d’Essilor et professeur affilié à HEC où je donne un cours de stratégie traduit dans un ebook que j’ai conçu, disponible sur Apple Store (“Les 12 clés de la stratégie”).
J’apprécie cette période de réflexion et de transmission… J’ai créé une fondation abritée sous HEC dont l’objet est de populariser les idées d’économie concurrentielle auprès de décideurs politiques, syndicaux, auprès de journalistes, de philosophes et même, je l’espère, de religieux. Je défends l’entreprise concurrentielle mais n’utilise plus le mot libéral car c’est complètement inutile de se lancer dans des polémiques stériles. Dans aucun autre pays au monde, on n’observe à la fois une telle incompréhension de la mondialisation et une vision aussi dogmatique des choses qu’ici. L’essentiel est pour moi très simple, faire passer aux jeunes générations l’expérience positive de la mondialisation et mon savoir-faire pour vivre heureux en situation concurrentielle.
Le monde tel qu’il va
Objectivement, la croissance économique mondiale est là. Si vous mettez à part la moitié de l’Europe qui est à la peine – soit 10 % à peine du PIB mondial (la France, l’Italie, l’Espagne) -, 90 % de la planète se porte bien sauf exceptions locales. Le taux de croissance en Chine s’élève autour de 7,5- 8 %, ce qui reste un rythme de développement exceptionnel. Le modèle de croissance chinois est solide. Le développement du centre du pays est en cours. Les autorités sont en train de créer des systèmes de sécurité sociale et de retraite si bien que les ménages chinois devraient réduire leur épargne au profit de la consommation. Résultat : la dépendance aux exportations devrait se réduire.
En même temps, l’Etat, propriétaire du foncier, a les moyens de financer les équipements publics en vendant les sols, ce qui devrait limiter l’endettement public. Les entreprises françaises qui ont misé sur la Chine il y a une vingtaine d’années ont fait le bon choix. L’Inde va rattraper son retard. Il y a dans ce pays une très grande tradition de business et le retard pèse peu. L’Amérique du Sud dispose d’un atout maître pour son avenir dans le domaine de l’agroalimentaire. Quant à l’Amérique du Nord, elle a démontré, à l’instar de la résurrection de GM et de son dynamisme en électronique, qu’elle est complètement dans la course.
L’absence de leadership européen
Les grandes entreprises françaises ont plus de 60 % de leur ventes hors d’Europe, elles ont donc observé l’Europe des USA et de l’Asie. Elles peuvent témoigner qu’il y a du travail à faire sur l’Europe. L’Europe se débat dans des problèmes internes dont l’absence de leadership n’est pas le moindre. L’Amérique a un chef, la Chine a un chef, l’Inde a un chef, l’Europe, pas encore ; sans compter les différences qui se creusent entre une Europe du Sud cigale et une Europe du Nord fourmi. Dans cet ensemble, la France joue un rôle quelque peu ambigu en faisant alliance avec les cigales. Les Allemands attendent de Paris un discours de reeingineering de la sphère publique mais pour l’instant, ils n’entendent rien. Va-t-on faire oui ou non le boulot ? Il y a un vrai problème de confiance. Je suis totalement d’accord avec l’interpellation qu’a développée récemment Gerhard Schröder sur cette question. Le reengineering de la France ne concerne pas que la France.
L’esprit de conquête
Toute une génération de PDG français a anticipé cette évolution. Essilor par exemple a investi 85 % de son argent hors d’Europe au cours des vingt dernières années. Ces sociétés disposent aujourd’hui de positions mondiales solides. Ces pays vont croître avec le passage des populations de la campagne à la ville et ce phénomène devrait durer longtemps. Précisons qu’en allant dans ces pays émergents, les multinationales ne sont pas à la recherche, comme on l’entend souvent, d’impôts bas ou de bas salaires, elles le font dans un esprit de conquête.
Rappelons que lorsqu’un groupe français investit à l’étranger, il renforce ses positions en France car il solidifie sa position concurrentielle mondiale. L’histoire de la chasse aux impôts bas, réfléchissons deux secondes : si les impôts sont plus bas ailleurs que chez nous, c’est que les sphères publiques y sont moins coûteuses. Pour défendre son pays, il faut conquérir le monde. Tordons donc le cou à toutes les idées fausses que l’on popularise un peu facilement en France. Les Chinois établissent chaque année un classement (Huade) des entreprises mondiales, concurrent de celui de Fortune selon trois critères : l’ancienneté de leur intérêt pour la Chine, la rentabilité moyenne des capitaux investis sur vingt ans, enfin la réputation des dirigeants mesurée par la durée de la présence de ces derniers aux commandes de la société.
Résultat 2012 : onze entreprises françaises plus EADS se placent dans les 100 premières mondiales, alors que notre pays ne fait que 4 % du Pib mondial.Cela veut dire qu’aux yeux des Chinois, les Francais sont d’excellents entrepreneurs. Ces patrons qui ont forgé ces réussites, il faudrait à mon avis les écouter : Danone, L’Oréal, Schneider, Air liquide, Michelin, LVMH, quels sont les points communs ? Ces entreprises sont toutes mono-métier, n’ont jamais touché un centime de la part de l’Etat, leur chefs ne sont pas arrivés en passant par les cabinets ministériels et comme par hasard, ce sont celles qui sont en tête de leur classement ! Quand ces grands patrons français sont en Chine, ils sont perçus comme des ambassadeurs de la France. Alors qu’en France ils sont collectivement mis au ban de l’opinion publique et accusés de tous les maux.
Schumpeter vs Keynes
Quels messages passent ceux qui, comme moi, ont consacré leur vie aux entreprises mondiales ?Première idée clef : c’est Schumpeter (et pas Keynes) qui a la lecture du monde du futur. Keynes n’a servi depuis trente ans qu’à créer de la dette en justifiant intellectuellement l’investissement de l’Etat. On observe chez nous que plus nous nous sommes endettés, plus les impôts ont monté et plus la croissance est tombée. Nous allons vivre d’énormes évolutions liées aux changements technologiques : deux exemples, Internet et les nouvelles problématiques de l’énergie. Bonne nouvelle : ceci est une vraie chance pour les pays développés.
Les pays émergents vont en effet faire dans les vingt prochaines années ce que l’Europe et l’Amérique ont fait ces cinquante dernières années. Ils vont nous rattraper mais en empruntant la même voie ; ils ne pourront pas griller les étapes. Voyez Shanghai, cette ville s’est métamorphosée mais sur le modèle de New York. Résultat : nous sommes en mesure, si nous jouons bien la destruction créatrice, de conserver un coup d’avance sur les nouvelles technologies. Pendant que les pays en développement construisent des infrastructures et des automobiles traditionnelles, nous devons nous mettre sur l’automobile électrique et les immeubles intelligents. Nous devons – nous pouvons – rester à la frontière de l’innovation. Un challenge excitant.
Gestion du cash et fluidité du marché du travail
Quelles sont les lignes simples que l’on doit alors suivre si l’on veut bien vivre dans une logique schumpetérienne : d’abord la gestion du cash dans un pays, ensuite le fonctionnement du marché du travail. Dans mon livre de stratégie, j’explique en détail les liens entre la croissance de l’entreprise, le résultat et le cash car ces liens font en France l’objet de contresens profonds. Une société en croissance rapide est forcément en situation négative de cash car ses investissements excèdent ses profits. D’ou doit venir le cash ? Des entreprises qui croissent moins vite et dont les investissements sont plus faibles que les résultats.
Le cash porte un nom… le dividende. S’acharner sur le dividende, le diaboliser, le surtaxer, c’est tout simplement priver les jeunes pousses des ressources dont elles ont besoin et freiner l’économie tout entière. Aux jeunes pousses les embauches, aux vieux secteurs le cash. Ce raisonnement n’est pas assimilé en France, c’est un grave handicap. Idem pour la gestion de la fluidité du travail. Les entreprises ont cotisé à l’assurance chômage pour pouvoir se séparer de leur personnel en cas de chute durable de leur marché. Et il ne faut pas les faire payer une deuxième fois en les forçant à reconvertir le personnel en cas de décroissance. En tant que consommateur, on est ravi de changer de canal de distribution quand un nouveau plus efficace se développe et on refuse au fournisseur que l’on a quitté le droit de réduire sa toile. On manque de cohérence.
Les pays qui marchent bien sont ceux qui, par des impôts raisonnables sur les dividendes et un marché du travail fluide, assurent un transfert du capital et des collaborateurs entre les métiers mûrs et les métiers jeunes.
Les vertus de la concurrence
Deuxième idée clef : il faut accepter la concurrence .Une révolution culturelle en France, que ce soit pour la droite ou pour la gauche ! Le président Chirac disait qu’il ne pouvait pas être pour la concurrence, synonyme pour lui de loi du plus fort. Un vrai contresens. Selon moi, le progrès ne peut venir que de la concurrence ; les individus et les organisations, voire les pays, ne grandissent que par cet aiguillon. Observez la carrière d’un grand champion comme Fédérer : à 17 ans, il perd son premier match contre Sampras en 1997; quatre ans plus tard, en 2001, il le bat. Ce qui a fait grandir Fédérer c’est Sampras, autrement dit la concurrence !
Si vous restez dans votre coin, à l’abri, vous ne progressez pas. Eh bien pour les entreprises c’est la même chose. Aller à l’étranger, c’est nécessairement se retrouver face à des problèmes nouveaux à résoudre et amorcer des améliorations. Un champion de tennis sur terre battue qui joue sur l’herbe prend une raclée pour commencer mais très vite, il va améliorer son jeu. La clé c’est l’esprit de conquête qui développe la compétence et la confiance en soi. Si la peur domine on se fait battre.
Mais alors il ne faut pas se méprendre : l’échec n’est pas la faute de la concurrence, il est dû à la peur. Un socialiste devrait reconnaître les vertus de la concurrence pour des tas de raisons. Elle est la source de baisse des prix et donc de gains de pouvoir d’achat. Si l’on y réfléchit un peu plus, il n’y a rien de plus généreux que la concurrence : elle conduit le fournisseur à partager les bénéfices du progrès avec ses clients. La concurrence est aussi une source d’égalité car elle remet en cause les situations acquises. Il n’y a pas meilleure régulation du profit que la concurrence. Un socialiste sincère ne peut être que pour.
Responsabilité des politiques
Quelle est l’implication de ces idées pour les politiques ? Nos dirigeants politiques font la même erreur, c’est mon point de vue, que leur prédécesseurs a l’aube de la Seconde Guerre mondiale ; on refait la ligne Maginot en croyant que l’Etat est un rempart contre la mondialisation et doit protéger les citoyens ; ça veut dire qu’on ne leur fait pas confiance ; du coup on encourage la peur, on promet tout, l’Etat s’endette et s’empâte ; la politique fiscale de redistribution le renforce encore plus, prive la sphère privée de ressources et, pire que tout, tue l’envie d’exceller… qui est très exactement la chose la plus importante à cultiver en ce moment.
Les sociétés ayant réussi à l’international montrent que les Français sont très doués et tiennent le choc concurrentiel si on leur fait confiance. En réalité, l’homme est intrinsèquement capable de progresser, de s’assumer, de grandir, d’apprendre de ses erreurs comme de ses succès, en un mot d’exister. Les entreprises concurrentielles ont une conception philosophique aux antipodes de l’approche bureaucratique des Etats.
Ces derniers, en se développant au-delà de la sphère régalienne qui est leur domaine légitime, tendent à penser et à décider pour le citoyen sur un nombre croissant de sujets ce qui, au fond, marque un manque de confiance en l’homme. Tout ceci suggère une politique simple à comprendre : il faut que l’Etat soit agile, incitatif, fasse confiance à la sphère privée et surtout s’occupe de ses propres coûts ; quand la sphère publique représente 56 % du PIB, elle doit être compétitive sur une base mondiale, sinon elle plante le pays ; l’intérêt général c’est aujourd’hui que la sphère publique se reforme pour atteindre la compétitivité de sa consœur allemande, pour prendre une référence proche de nous. Cela veut dire passer de 56 % à 46 % du PIB. Il n’y a aucune raison de ne pas y arriver, la sphère publique regorge de gens remarquables tout à fait aussi bons que ceux que l’on retrouve dans les groupes privés.
Il est, si l’on poursuit ces idées, urgent de faciliter l’entrée de gens de la sphère privée au Parlement car dans notre gouvernement, pas un ministre n’a dirigé d’entreprise ; ceci tient à ce que la sphère publique domine le Parlement car elle a un avantage quand il s’agit d’y accéder ; un fonctionnaire n’a en effet pas à démissionner s’il est élu député ou sénateur. Il faudrait poser la règle de l’incompatibilité d’un emploi dans la fonction publique avec un mandat électif à l’Assemblée. Cela éviterait des conflits d’intérêt et donnerait une représentation politique plus proche des réalités économiques. En Angleterre, les candidats au Parlement démissionnent de la fonction publique. Il faut aussi qu’à la tête du patronat se trouve quelqu’un qui fasse aimer l’entreprise et explique à l’Etat qu’il se reforme plutôt que de chercher à se substituer aux entrepreneurs.
Le travail de pédagogie
Pour ce qui me concerne, je me consacre à la programmation de séminaires de formation à l’adresse de journalistes. Il y a tout un travail de pédagogie en direction aussi des universitaires et des étudiants. Ce qui est enseigné à l’université ne permet pas aux étudiants de comprendre la concurrence. Par l’intermédiaire de la fondation, je vais distribuer des bourses de recherche. Je m’efforce d’éclairer l’actualité dans ma chronique hebdomadaire aux Echos, un exercice très formateur !
Autre piste en direction des intellectuels : des philosophes commencent à s’intéresser à la vie des affaires et c’est un signe très positif ; un très grand nombre d’entre eux étaient très à gauche dans leur jeunesse et manquent de base, ça me passionnerait de les aider.
Au fond ce qui me motive, c’est de travailler à améliorer la compréhension de l’économie, de faire découvrir et aimer leurs entreprises par les Français. C’est pour moi, avec la réduction des frais de l’Etat, la condition pour qu’ils vivent bien la mondialisation et en retirent tous les bénéfices.
Bio express
Patron pédagogue Professeur affilié à HEC, administrateur de sociétés, chroniqueur aux Echos : l’ex-PDG d’Essilor et manager de l’année 2011, s’il a quitté l’opérationnel, n’en reste pas moins très actif. Sa fierté du moment est un ouvrage numérique consacré à l’explicitation de l’art de la stratégie (les 12 clés de la stratégie). Un capital de connaissance que ce Pont – MIT a acquis au long de sa carrière au Boston Consulting Group, puis chez Bénéteau et Eurest et enfin chez Essilor.
Par Philippe Plassart

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