lundi 11 mars 2013

Nombre record de milliardaires dans le monde : la montée des inégalités illustrée


LE PLUS. Ils sont 210 de plus que l'année dernière et leurs fortunes cumulées s'élèvent à 5.400 milliards de dollars. Les milliardaires n'ont jamais été aussi nombreux dans le monde. Un paradoxe en temps de crise ? Pas vraiment, répond Guillaume Daudin, professeur des universités et chercheur associé à l'OFCE. Explications.

 Carlos Slim, 1ère fortune mondiale, lors d'une conférence à Mexico City, le 28/03/11 (R. SCHEMIDT/AFP)
Carlos Slim, 1ère fortune mondiale, lors d'une conférence à Mexico City, le 28/03/11 (R. SCHEMIDT/AFP)

Il peut paraître paradoxal que le nombre de milliardaires dans le monde soit au plus haut depuis la Première Guerre mondiale alors que nous sommes toujours en crise et que les politiques d'austérité se multiplient. La dernière baisse du nombre de très grandes fortunes date du classement 2009, après le plus fort de la crise financière. Entre 2008 et 2009, les milliardaires sont passés de 1.100 à 800. Mais depuis, ce nombre ne fait qu'augmenter.

L'argent placé en bourse rapporte davantage

L'augmentation du nombre de milliardaires entre 2012 et 2013 (+210), mais aussi celle de leurs fortunes cumulées (+17%), est liée à deux facteurs.

D'une part il y a une explication de long terme : l'inflation légèrement positive fait mathématiquement croître les fortunes exprimées en prix courants. Cela n’explique qu’une petite partie de l’évolution.

D’autre part, et c'est l'explication principale, le prix des actifs est reparti à la hausse. Les grandes fortunes font donc des plus-values importantes, qui contrastent avec les pertes d’il y a quatre ans. Ces gains en capital gonflent les actifs de tous les riches, et permettent à certain d’entre eux de passer la barre du milliard.

0,1% contre le reste de la population

Les plus grosses fortunes sont celles qui font prospérer une entreprise ou qui en ont hérité (Carlos Slim, Liliane Bettencourt, Amancio Ortega…). A l'inverse, seuls trois ont des sources de revenus diversifiées.

De manière plus large, quelle signification donner à cette augmentation du nombre de milliardaires dans le monde ? Est-elle un phénomène plutôt marginal ou nous apprend-elle quelque chose d’important sur l’évolution de nos sociétés ? Je répondrais qu'elle est tout à fait caractéristique de la montée des inégalités. Ce n'est même pas l'illustration du 10% de la population contre 90%, mais celle du 0,1% contre le reste de la population.

Dans la première moitié du XXe siècle les inégalités internes aux pays ont baissé. Puis elles se sont stabilisées pendant les Trente Glorieuses, et sont reparties à la hausse avec les politiques plus libérales appliquées depuis les années 1980. Les politiques publiques ont beaucoup évolué ces 50 dernières années ; elles se sont tournées en faveur des grandes fortunes, particulièrement grâce à la baisse de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les successions.

On le voit bien dans le classement de Forbes : parmi les dix individus les plus riches, on trouve au moins trois héritiers (les deux frères Koch et Liliane Bettencourt).

Grosse fortune contre création d'emplois, un argument bancal

10.000 dollars dans le portefeuille d’un milliardaire lui font moins plaisir que 10.000 dollars dans le poche d’un RMiste. En cela, de telles fortunes sont socialement sous-optimales. L'argument le plus fréquemment invoqué pour les justifier est celui de l'incitation : nous les tolérons car elles encouragent les entrepreneurs à travailler, ce qui profite à tous, notamment par le biais de créations d'emplois. C'est peut-être vrai pour Bill Gates ou Larry Ellison, quoique si on regarde dans le détail on s'aperçoit qu'une partie de la capitalisation de Microsoft est due à son abus de position dominante plutôt qu’à sa capacité à innover. Ça l'est moins pour Bernard Arnault, dont la fortune est liée aux relations qu'il a entretenu avec l'État dans les années 1980. Ça l'est encore moins pour Liliane Bettencourt ou les frères Koch, qui sont des héritiers.

L'argument de l'incitation ne tient pas : pourquoi récompenser ceux qui ont bien choisi leurs parents ? De plus, les ordres de grandeurs sont trop importants pour qu'il soit valable (est-ce que un milliard incite vraiment mille fois plus qu’un million ?).

Il faut d'augmenter l'impôt sur les successions

On sait que les inégalités ont des effets négatifs sur la société en général. La comparaison fait souffrir et désespère. C’est aussi le cas même parmi le groupe des personnes les plus riches : une telle se déplaçant en hélicoptère se lamentera que d'autres le font en jet privé. C'est une course où tout le monde finit perdant et dans laquelle on gaspille des ressources. Les inégalités incitent chacun à concentrer son énergie sur le partage du gâteau plutôt que sur l’augmentation de sa taille.

Par ailleurs, le rôle politique des milliardaires – car ils en jouent un – n'est pas forcément positif pour l'ensemble de la société. Si l'on peut comprendre l'existence de réseaux d'influence, on ne peut pas pour autant se résoudre à ce qu'en démocratie le pouvoir d'influence soit directement lié à la fortune individuelle.

Des décisions politiques ont laissé les inégalités augmenter. Des décisions politiques permettraient de repartir dans une dynamique plus égalitaire, par exemple par l’augmentation de l'impôt sur les successions.



Propos recueillis par Hélène Decommer


 

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