Il faut arrêter d'utiliser le terme "intelligence économique" pour qualifier des dérapages et des manœuvres "tordues" de quelques entreprises et consultants. Evidemment, pour ceux qui y recourent, ce terme passe mieux que de parler d'intrusion, vol d'informations ou trafic d'influence.
Il est dans leur esprit plus facile d'obtenir des informations ou des faveurs de cette manière qu'en travaillant dur pour traiter professionnellement l'information. Avant même la malhonnêteté, c'est la paresse et l'incompétence qui poussent à ces dérives. Mais c'est un faux sens du terme, dur à admettre pour les vrais praticiens, qui doivent le combattre sans répit.L'intelligence économique est une démarche managériale, un mode de gouvernance de l'organisation, consistant à connaître, comprendre et anticiper professionnellement son environnement, pour éclairer les décisions, prévenir les risques notamment immatériels (sur l'image, le savoir-faire, les nouvelles normes, le capital...) et l'influencer au lieu le subir, par le lobbying ou bien mieux, par une diplomatie d'entreprise au long cours.
On aurait pu lui choisir un autre nom mais la question n'est plus là. C'est une démarche qui participe à la création de valeur de l'entreprise, alors que des pratiques non éthiques lui font courir un risque de destruction. Les entreprises importantes comme Renault ou EDF ne risquent "que" la perte d'image, qui cependant peut avoir des conséquences importantes en termes de notations et de marchés futurs, mais de plus petites risquent, outre "la tête" immédiate de leur président, un tarissement de financements et la mise sur black list de la part de clients et prescripteurs.
L'intelligence économique (IE) cherche d'abord à fournir de la connaissance utile pour l'organisation, à partir de la profusion d'informations générée entre autres par les nouvelles technologies. C'est une culture internationale assortie de méthodes et d'outils, que pratiquent désormais tous les agents économiques – y compris beaucoup d'Etats... qui veulent rester compétitifs dans la mondialisation. L'IE a une relation forte avec le management des connaissances, qui a pour but de valoriser tout le potentiel de connaissance existant dans l'organisation mais souvent implicite et non exploité. Elle a aussi un lien évident avec les ressources humaines, tant il est vrai que des personnels non motivés ou simplement non formés n'auront pas le réflexe de partager l'information.
L'IE partage beaucoup de caractéristiques avec le développement durable (DD) : d'abord elle doit être durable précisément, donc responsable, car la technique du "coup" peut fonctionner une fois ou deux, mais sans suivi et sans éthique, la perte de crédibilité est vite là. Nos stratégies sont aujourd'hui observées par de nombreux acteurs : organisations internationales, ONG, syndicats internationaux, think tanks, etc. L'IE reposant aussi sur la gestion des réseaux, il est clair que leur maîtrise inattaquable sera essentielle. Pour être proactif et influencer professionnellement son environnement, par exemple pour participer à l'élaboration des règles, normes, standards...qui nous régissent, il faut être crédible. Egalement, les deux démarches d'IE et de DD sont transversales En interne, elles demandent pour réussir une forte volonté "du chef" en même temps qu'un travail en réseau qui parfois gêne les hiérarchies en place. A l'extérieur, la recherche d'un monde durable implique de fonctionner sur un mélange de coopération et de compétition, le seul prisme de l'affrontement étant inopérant en situation d'interdépendance.
Un terme définit bien cette attitude-clé de toute stratégie gagnante à l'international aujourd'hui : la "coopétition". Déjà pratiquée par les entreprises rompues aux marchés complexes, elle exige un travail professionnel d'analyse et d'anticipation préalables pour choisir et gérer ses partenaires sans naïveté. Elle demande aussi une cohérence entre le message porté à l'extérieur et la réalité de l'entreprise, pour rassurer les partenaires potentiels. C'est ainsi qu'in fine la forme même de la coopétition participe activement à des relations économiques plus éthiques.
Claude Revel, directrice du centre Global Intelligence and Influence de Skema Business School
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