16-08-2012
Alain Rodier
Ancien officier supérieur des services de renseignement français.
Directeur de recherche au Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), en charge du terrorisme et de la criminalité organisée.
Ancien officier supérieur des services de renseignement français.
Directeur de recherche au Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), en charge du terrorisme et de la criminalité organisée.
Je ne connais pas les conseillers des hommes politiques[1], qu'ils soient de droite ou de gauche, qui inspirent l'action de ces derniers vis-à-vis de la Syrie. Il est possible -et même probable - qu'ils détiennent des informations recoupées qui ne sont pas accessibles aux citoyens moyens que nous sommes. Peut-être sont-ce ces renseignements qui provoquent les réactions de notre élite politique vis-à-vis de la crise syrienne. Mais alors, qu'ils en fassent état de manière à mieux faire comprendre leur attitude. Car en effet, pour le moment, les seules raisons avancées sont la « protection des populations » contre le pouvoir de Damas.
Une première question se pose : quelles populations ? Les sunnites, les Alaouites, les chrétiens, les Kurdes ? Nous avons aujourd'hui affaire à une guerre civile et tout le monde sait que ce type de conflit a toujours été à l'origine d'atrocités commises par les deux camps. L'ONU vient de reconnaître que les forces étatiques étaient responsables de crimes contre l'humanité ET que l'opposition armée l'était de crimes de guerre. Cette disproportion tient vraisemblablement au fait que les forces gouvernementales, en particulier les sinistres milices shabiha, sont détentrices des moyens de la violence d'Etat, lesquels sont actuellement supérieurs à ceux des insurgés. Par contre, une fois que ces derniers seront parvenus au pouvoir, il est probable que nous assisterons « stupéfaits » à de véritables massacres de membres de minorités ethniques ou religieuses. C'est d'ailleurs cette perspective qui pousse les Alaouites à se battre férocement car ils ont le dos au mur, sachant que pour eux, ce sera la valise ou le cercueil.
Si c'est toujours le principe humanitaire qui guide nos politiques, il est légitime de se poser une seconde question: pourquoi se limiter à la Syrie ? Il existe malheureusement de par le monde une multitude d'Etats où les populations civiles sont opprimées et menacées : les chrétiens au Nigeria, les hindouistes au Pakistan, les personnes réduites à une situation qui peut s'apparenter à de l'esclavage dans de nombreux pays moyen-orientaux, les civils pris entre les forces de sécurité et les narcotrafiquants au Mexique, etc.
Si l'on rêve d'établir par la force des démocraties à l'occidentale à l'étranger, la majeure partie des Etats (et pas des moindres) pourrait être visée.
Si enfin il s'agit d'une guerre par procuration - comme l'a affirmé le secrétaire général de l'ONU - destinée à affaiblir le grand allié de la Syrie, l'Iran, afin que cet Etat renonce à ses ambitions militaires dans le domaine nucléaire, l'auteur peut comprendre que cela ne soit pas étalé sur la place publique. Toutefois, ce machiavélisme n'est théoriquement pas une méthode employée par les « gentils » Européens.
Quant à faire plier la Russie et la Chine, est-ce que le fait de les avoir ridiculisé en Libye n'a pas servi de leçon ? Ce sont deux grandes puissances à l'ego très susceptible qui peuvent rivaliser avec les Etats-Unis sur beaucoup de plans et qui laissent loin derrière la « vieille Europe » acariâtre et donneuse de leçons. Les deux capitales, Moscou et Pékin, se sentent humiliées et ne sont pas prêtes à oublier le camouflet qu'elles ont subi. Il est fort probable qu'elles vont nous le faire payer et leur soutien au régime de Damas n'est qu'un début.
En ce qui concerne la France, l'attitude actuelle de l'opposition serait risible si elle n'était pas tragique. Jouer avec la vie des gens pour tenter de retrouver un semblant d'existence sur la scène politique nationale est tout simplement impardonnable. D'autant que l'ancien président a conduit en Libye, en 2011, une politique étrangère pour le moins contestable. En effet, ce beau succès que fut l'opération militaire de l'OTAN, pilotée depuis Paris et Londres avec le soutien indispensable de Washington - sans qui, rien ne pouvait se faire car les moyens miliaires européens sont plus qu'insuffisants -, a amené la déstabilisation durable de la Libye et du Sahel. C'est à se demander si l'attitude de notre ex-président n'est pas liée à la perte de face que lui ont fait subir Kadhafi puis Bachar el-Assad. Il les a traité avec tous les honneurs à Paris, espérant une ouverture démocratique de leur part, avant de déchanter rapidement.
La politique étrangère mérite de la mesure, de la réflexion et une certaine cohésion nationale. Les dernières déclarations de l'ex-président de la République et de celui qui fut son Premier ministre[2] ne répondent en rien à ces règles. Que leur ont soufflé leurs conseillers ?
Quant à la presse, elle ne fait guère mieux, en ne vérifiant pas ses sources ou en envoyant des reporters de guerre dont le but n'est pas d'informer mais de faire leur autopromotion sur des fonds de scènes de guerre. Le prix Albert Londres est au bout du chemin...
Je n'ai pas de conseil à donner au nouveau gouvernement en dehors de celui de la prudence. Il conviendrait qu'il définisse exactement où se trouve l'intérêt de la France et des Français. En effet, l'auteur s'est souvent demandé si l'intérêt hexagonal était vraiment le moteur de l'action de ceux qui ont l'honneur de gouverner le pays. Le fait d'adopter une posture humanitaire vis-à-vis des réfugiés est une bonne chose, encore que, les moyens déployés - certes modestes - auraient pu être consacrés à d'autres causes tout aussi légitimes : les réfugiés maliens fuyant la sauvagerie islamique qui s'étend dans le nord du pays, les malheureux chrétiens du Nigeria, les réfugiés somaliens présents au Kenya, etc.
Les intérêts de la France, dont les caisses sont plus que vides, passent-ils par une prise de position « tartarinesque » sur la Syrie ? Le Sahel semble être beaucoup plus crucial pour le futur approvisionnement en uranium des centrales de nouvelle génération qu'Areva devrait construire pour le bien de l'économie française, afin que nos citoyens puissent encore se chauffer à l'électricité ou faire rouler les voitures propres que l'on nous promet[3] Mais, le nucléaire est aussi un sujet tabou à ne pas aborder car les écologistes veillent[4]...
- [1] En dehors de l'inénarrable Bernard Henry Levy qui se rêve en Malraux pendant la guerre d'Espagne.
- [2] Et pourtant, cet homme présentait toutes les caractéristiques de pondération dont la France a cruellement besoin. Cela semble prouver que la lutte pour le pouvoir passe par des méandres contre-nature que la morale et l'intérêt national ne justifient pas.
- [3] Il faut bien les recharger, ces jolies petites voitures pleines de batteries si délicates à recycler en fin de vie...
- [4] Traditionnellement pacifistes, ils ne semblent pas avoir beaucoup de choses à dire sur le sujet syrien.
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