Économie
samedi 20 avril 2013
Pour le président du Conseil économique, social
et environnemental, Jean-Paul Delevoye, la France est en train de
nourrir des violences à venir. Entretien.
Même revues à la baisse, les prévisions de croissance du gouvernement sont contestées. Qui a raison ?
Les
prévisions du gouvernement sont davantage calculées pour afficher une
maîtrise de la dette, donc du budget, que pour correspondre à la
réalité. Et aux effets réellement attendus de mesures de relance de la
croissance. Si on entre dans une période de croissance durablement
faible, ce qui est déjà arrivé dans l’histoire, on ne finance pas notre
système actuel de retraite et de santé.
Que faire ?
À
quatre points de croissance, on double son pouvoir d’achat en 20 ans. À
un point de croissance, il faut plus de 85 ans pour doubler son pouvoir
d’achat. Cela pose une question : la future génération aura-t-elle un
confort de vie et un bonheur de vivre inférieur ? Mais il faut aussi
rester optimiste : cette période de croissance faible peut être
l’avènement d’une société de partage, comme le montre aujourd’hui
l’extraordinaire vitalité de l’économie collaborative.
Vous dites attendre beaucoup du futur patron du Medef…
Il
y a aujourd’hui une possibilité, pour les syndicats de salariés et les
syndicats patronaux, d’avoir un véritable dialogue sur les évolutions de
l’économie. Mais c’est sous réserve de la personnalité du futur patron
du Medef. Et Patrick Bernasconi, est le candidat qui me semble avoir
cette capacité d’ouverture.
Plusieurs ministres ont réclamé une « pause » dans la politique de rigueur. Y a-t-il « trop d’austérité » ?
Il
faut effectivement s’interroger sur la soutenabilité sociale des
décisions prises, mais aussi sur leur efficacité. On voit bien que les
États-Unis, qui ont misé sur un soutien de l’activité par la profusion
monétaire, n’obtiennent pas forcément les résultats à hauteur des
attentes. De même, le FMI est en train de revoir, à la suite de
l’expérience grecque, ses coefficients de corrélation entre maîtrise
budgétaire et croissance. Le paradoxe est que cette année 2013 peut se
révéler une bonne année boursière, compte tenu d’une activité
internationale bien meilleure qu’en Europe, mais une année terrible sur
le plan économique et social, dans un contexte où la population perçoit
de plus en plus difficilement la montée des inégalités.
Socialement, vous vous montrez assez préoccupé.
Notre
société est en train d’humilier de plus en plus de personnes : le bac
+5 qui est payé au Smic, le gars qui est viré à 40 ans sans
alternatives… Nous nourrissons aujourd’hui des violences qui peuvent se
retourner contre les individus ou le système. Le discrédit politique est
le plus haut depuis la dernière guerre. De nouvelles forces de
déstabilisation du système se multiplient : les Pigeons au Medef, Beppe
Grillo en Italie… Le taux de chômage va arriver à celui des années 30.
C’est sur l’humiliation qu’Hitler est arrivé au pouvoir.
Selon vous, l’économie « parallèle » est en train de l’emporter sur le « système réel »…
Oui et on se réfugie derrière un déni de réalité. Quand François Hollande a dit « on supprime les heures sup’de Nicolas Sarkozy »,
tous ceux qui ont perdu 500 € sont allés travailler au noir. Dans les
quartiers de Seine-Saint-Denis, quand Monsieur Guéant (ancien ministre
de l’Intérieur) a fait reculer le commerce de la drogue, six mois après,
il y avait une augmentation de 60 % des impayés d’HLM. L’économie
parallèle fait vivre les quartiers. Et cela devient de plus en plus
compliqué, car la mondialisation a mis en place son organisation la plus
forte : la mafia.
C’est-à-dire ?
10 %
du PNB mondial, c’est le trafic de drogue, d’armes et de personnes.
J’ai encore en tête cet enseignant qui avait supprimé les classes vertes
des CM2, par manque de sous. Trois jours après, un de ses élèves de
10 ans mettait un paquet de billets sur son bureau en disant « mon grand frère vous paie la classe verte ». À Marseille, on sait bien que certaines patinoires ne sont pas payées par la mairie mais par le « grand frère ».
Recueilli par Guillaume BOUNIOL.
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