LE MONDE | 03.06.2013 à 21h12 • Mis à jour
le 04.06.2013 à 13h45
Par Joël de Rosnay et Anne-Sophie Novel
(journaliste )
Comment changer d'ère
et préparer l'avenir quand
tout semble morose et compliqué ? Quand les structures sociétales, complexes,
semblent organisées pour résister au changement, dignes du phénomène, bien
connu en biologie,
qu'est l'homéostasie (du grec homeos, "même", et stasis,
"état de rester") ? N'est-il pas temps de changer de
paradigme pour épouser enfin le monde d'après ? La société informationnelle qui
s'installe depuis l'avènement d'Internet en 1995 bouscule nos sociétés industrialisées.
Les indicateurs économiques, sociaux et environnementaux si redoutés lors
du Sommet de la Terre de Rio (1992)
sont maintenant dépassés. Comme le dit Michel Serres :
" Ce n'est pas une crise, c'est un changement de monde."
Force est de constater que
nous sommes déjà dans le mur, et que nous devons nous en extirper.
Pour survivre,
nos organisations doivent évoluer : Etats, villes, entreprises, universités,
syndicats, associations sont condamnés à sortir de
l'homéostasie pour s'adapter,
se fluidifier,
s'horizontaliser. Le pouvoir pyramidal
doit laisser place
à des organisations plus transversales. Ces mutations sont déjà en marche : il
suffit désormais de les saisir et
de les accompagner pour
en amplifier la résonance.
Sur le plan sociétal et politique, l'émergence de l'intelligence
collaborative offre l'opportunité d'équilibrer la société plus efficacement :
en trouvant un compromis entre la régulation par le haut et la cocréation par
le bas. Dans ce nouveau contexte participatif et contributif, il est nécessaire
de réfléchir aux relations entre les citoyens et l'Etat, pour inventer une
cyberdémocratie et engager un
dialogue sincère entre le politique et
le citoyen. Nous sommes à l'aube d'un véritable contre-pouvoir.
Mais comment mettre à
jour un système rigide ? L'écosystème numérique dans lequel nous évoluons nous
change autant que nous le modifions. Nous sommes devenus des femmes et des
hommes "augmentés". Mais sommes-nous plus heureux ou plus
sages pour autant, dans le "life streaming", ce temps
réel du nouvel Internet ? En surfant la vie avec les réseaux sociaux, les SMS,
le mur de Facebook, ou les fils Twitter,
sommes-nous conscients de construire une
communauté, ou sommes-nous "seuls ensemble", comme le
décrit dans son livre "Alone
Together" la sociologue du MIT Sherry Turkle ?
Les plus jeunes n'ont connu que la connexion à des réseaux virtuels.
Aujourd'hui, ils lancent des services corévolutionnaires
et appliquent au réel les logiques du Web : connectés et souvent sensibilisés
aux enjeux de la planète,
ils conçoivent, pour certains, leur quotidien dans une optique de partage.
Mobilité, éducation, travail, équipement, alimentation, autant de
secteurs où ils prouvent qu'on peut optimiser ce
qui est trop souvent inutilisé. Ils défendent l'usage avant la propriété,
s'identifient à de multiples communautés et utilisent l'intelligence connective
et collaborative pour donner du
sens à leur vie individuelle et communautaire. Une approche qui privilégie la
pratique solidaire de l'intelligence collective à l'exercice solitaire du pouvoir électif.
L'entreprise doit comprendre et accompagner ce
changement, prendre autant
soin des hommes qu'elle emploie que de sa prospérité, tout en maintenant son
image, sa marque, et l'ensemble des relations avec ses parties prenantes. Plus
transparente, plus responsable, elle doit également être plus à l'écoute et se
libérer pour devenir cocréative
et véritablement assurer sa
continuité dans le changement.
Les politiques doivent aussi accompagner ces
mutations. Plutôt que de promettre,
en vain, "le changement sans risque" ou "la
rupture", pourquoi ne pas reconnaître que leur temps décisionnel
échoue parfois à s'enrichir des
apports issus d'une complexité qu'ils ne maîtrisent pas toujours, faute
d'outils ? L'analyse, l'approche séquentielle et linéaire propre à nos
raisonnements cartésiens, reste ouverte aux futurs souhaitables qui se
dessinent aujourd'hui.
Est-il possible de changer d'ère
dans un tel contexte ? Les Français sont familiers d'une méthode, radicale : la
révolution. Au-delà d'un certain seuil de frustration, d'exaspération, d'indignation,
le système éclate et entraîne des changements brutaux. Sans aller jusqu'à
de tels extrêmes, les périodes de crise facilitent l'acceptation sociétale des
grandes réformes. On dit les Français réfractaires au changement ; et s'ils
étaient, au contraire, prêts à changer ?
Pour désirer l'avenir,
il est nécessaire de le comprendre et
d'accepter que
le changement sans risque n'existe pas. Comme un cristal qui fond ou se brise,
et donc bouleverse sa structure, nos organisations ou systèmes politiques
doivent être capables de se réformer de l'intérieur et en profondeur, au-delà
des habitudes et des avantages acquis. En ce sens, il faut s'inspirer de
la NetGen (Génération Internet), qui pratique le "life
streaming", le "flow". Cette génération accepte
l'instabilité dynamique (comme le surfeur sur la vague), le passage d'une
situation à l'autre, le zapping des idées,
des thèmes, des relations interpersonnelles.
Dans le nouvel Internet, passé, présent et futur sont simultanés. C'est
l'ère de l'immédiateté. Ce qui motive cette génération, c'est le temps réel
associé à l'IRL(in real life). Pour que les Français changent, il faut
les aider à passer d'une relation fondée sur des
rapports de force – qui conduit à la concurrence, à la compétition et à
l'individualisme – à une situation de rapports de flux, privilégiant l'échange,
le partage, la solidarité et l'empathie. Un changement profond qui contribuera
à donner plus de sens à la vie.
Joël de Rosnay (scientifique, prospectiviste, conseiller de la présidence
d'Universcience) et Anne-Sophie Novel (journaliste )
Joël de
Rosnay et Anne-Sophie Novel
Les auteurs participeront au forum "Changer d'ère",
qui se tient mercredi 5 juin à la Cité des sciences et de
l'industrie.
Cet événement réunit des intellectuels, des scientifiques,
des
entrepreneurs et des chercheurs de la jeune génération pour débattre des
défis
économiques, technologiques et sociétaux d'aujourd'hui[
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