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Yves Grandmontagne. © Fabien Renou / JDN |
Avez-vous dressé un état des lieux du stress dans l'entreprise ?
Yves Grandmontagne. Une des initiatives que l'on met en œuvre aujourd'hui, c'est précisément la mise en place d'un "observatoire de la santé". C'est une initiative qui, en collaboration avec la médecine du travail, consiste à mettre un questionnaire à disposition des salariés lors de leur visite médicale. La méthodologie a été élaborée par un cabinet spécialisé, Capital Santé. Seul le médecin connaitra les réponses individuelles. Cette démarche permettra d'ouvrir une discussion entre le médecin et la personne qui a accepté de répondre.
Envisagez-vous aussi une utilisation statistique de ces résultats ?
Y. G. Effectivement, les réponses seront ensuite exploitées de manière anonyme, avec la seule indication de l'appartenance à tel ou tel service. Nous pourrons agréger les résultats au niveau d'un service ou d'une division pour ressentir à quel niveau la "température stress" de l'entreprise se situe et si, par conséquent, nous devons être vigilants sur certains points. Ce sera un élément complémentaire de notre réflexion sur des mesures d'amélioration et des garde-fous à donner. Formaliser des choses que les gens ressentent mais qu'ils ne peuvent pas argumenter, ça ne vous donne pas la réponse, mais vous oblige à poser la question. Cependant, aujourd'hui, dans la prise de température informelle, on ne ressent pas un risque particulier.
Vous êtes-vous fixés des objectifs ?
Y. G. L'objectif, c'est surtout de mettre en œuvre ce plan. C'est difficile aujourd'hui de présumer des résultats qui commenceront à être exploitables fin 2011. Nous agissons sur un sujet très complexe. Vouloir tout modéliser et se donner des objectifs alors même que l'on n'a pas idée de la première température que l'on va prendre n'a pas beaucoup de sens. En revanche, nous nous donnons l'obligation de prendre cette température et d'en faire bon usage.
Vous agissez auprès de vos managers sur les méthodes et les comportements ?
Yves Grandmontagne. Oui, nous mettons notamment en œuvre des formations d'accompagnement à leur prise de fonction. Elles vont, entre autres choses, les sensibiliser à la qualité d'une interaction avec les autres en fonction des contextes, des interlocuteurs, de la relation hiérarchique, de la fonction... Mais le plus important, c'est d'être à l'écoute au quotidien du retour des collaborateurs vis-à-vis des managers. Les enquêtes annuelles prennent en compte l'évaluation des managers. Nous ne pouvons pas accepter n'importe quel résultat à n'importe quel prix, c'est-à-dire n'importe quel comportement. Il faut dans ces cas un certain courage d'entreprise pour ne pas accepter des modes de fonctionnement qui peuvent être totalement délétères.
Mais on a vu, dans d'autres grandes entreprises, la remise en cause –au-delà du comportement de certains managers- d'objectifs intenables, de pression trop forte ?
"Il faut dans ces cas un certain courage d'entreprise" |
Y. G. La culture de Microsoft est précisément fondée sur la performance et le résultat. La façon dont je travaille est guidée par le résultat à atteindre : ce n'est pas parce que je serai au bureau de 8 heures à 17 heures que j'aurai fait mon travail correctement. Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné chez France Télécom ? Ils sont passés d'une culture aux antipodes de celle que je vous décris à celle-là, voire en plus fort. Les personnes qui avaient été pendant des années dans un mode de fonctionnement sont passées à autre chose du jour au lendemain. La gestion du changement n'a pas eu lieu. Ils s'en sont rendu compte et font aujourd'hui un travail qui semble assez exemplaire. Chez Microsoft, notre culture nous permet d'admettre très bien ce côté déstructuré de la façon de travailler.
Cela veut-il dire que vous avez des collaborateurs d'un type particulier ?
Y. G. Je pense que les personnes qui rejoignent Microsoft ont un certain goût pour ce type de fonctionnement. Cela répond aussi assez bien aux attentes des jeunes générations. Ils attendent une certaine liberté d'action et d'organisation qui n'était pas celle des générations d'avant.
Quand est née cette volonté d'agir sur le bien-être au travail ?
Yves Grandmontagne. C'est une démarche qui s'est structurée à l'occasion du déménagement sur le Campus, à Issy-les-Moulineaux en 2008. Avant, Microsoft était réparti sur 3 sites en Ile-de-France. Ce déménagement a été abordé comme un vrai projet autour de l'environnement de travail. Pendant 2 ans, une centaine de salariés à été vraiment impliquée dans des groupes sur l'organisation des locaux, la démarche développement durable, la mobilité... Tout ceci a abouti non seulement au building mais aussi à la mise en œuvre d'une très grande quantité d'idées. Environ 75% ont été mises en œuvre.
Quelles problématiques y étaient abordées ?
Y. G. Le mobilier des bureaux, des espaces collaboratifs, les espaces cafétéria...Tout a été choisi par les salariés comme répondant à un certain style de mobilier de travail qu'ils souhaitaient. Chaque étage a aujourd'hui un mobilier différent. De même, la façon d'équilibrer l'open space avec des espaces de réunion a été le fruit de cette réflexion. D'autres idées tournaient autour du travail collaboratif, de l'utilisation des mails, de l'organisation des réunions. Nous n'organisons pas de réunion avant 9h30 le matin et on ne les finit pas après 18h. Quand vous sortez du cadre, vous vous faites ramenés à l'ordre.
Cela dépasse de loin le seul déménagement...
Y. G. Tout est lié. Si on se pose la question de l'environnement de travail, on se pose la question de la mobilité, qui est encouragée au maximum soit sous forme de télétravail, soit sous forme de flexibilité très grande pour organiser son temps. Du coup, nous réfléchissons à l'utilisation des outils mais aussi de leurs limites. Par exemple, nous n'envoyons pas de mails le soir ou le week-end sauf urgence pour éviter d'encourager une boucle sans fin.
Vous avez des retours des salariés sur ces questions?
Y. G. Oui, on en voit directement les effets à travers les enquêtes annuelles qui mesurent notamment l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Ce point là a progressé dans la dernière enquête. Il y a aussi un effet vitrine. Le fait que l'on collabore d'une certaine façon chez Microsoft commence à se savoir. Ces éléments ont contribué à l'obtention de l'award "Great Place to Work" l'an dernier.
Pourquoi mettre l'accent sur ces problématiques de bien-être au travail aujourd'hui ?
Yves Grandmontagne. Nous avons intérêt à capitaliser sur nos forces. La démarche de Microsoft a été de se dire que tout ce qui est relatif à l'environnement de travail, au sens très large du terme –un siège social, des façons de travailler et des manières d'aborder la relation aux collaborateurs- est important en termes de performance. Les collaborateurs sont d'autant plus performants, épanouis, bien dans leur peau de salariés, que les conditions mises à leurs dispositions sont favorables.
Vous observez un lien direct entre la qualité du travail des collaborateurs et leurs conditions de travail ?
"C'est assez intéressé pour l'entreprise, mais c'est aussi du donnant-donnant" |
Y. G. Bien entendu. Qualité de travail, capacité à être dans un environnement où la collaboration, le travail en équipe, la communication sont facilités, ont un effet sur la performance. Cela permet d'avoir des gens qui sont engagés, motivés. Cela va donc avoir un effet favorable sur la rétention des salariés dans l'entreprise.
Quel est le niveau de votre turn over actuellement ?
Y. G. Il est maîtrisé, de l'ordre d'un petit 10%. Même s'il n'existe pas de vérité à ce sujet, ce niveau là nous convient.
Votre volonté n'est donc pas forcément de le réduire ?
Y. G. Non. L'objectif de ces mesure du plan "Bien-être et performance", c'est précisément de retenir les meilleurs. Ce sont ceux qui ont le plus de facilités pour nous quitter. C'est assez intéressé pour l'entreprise, mais c'est aussi du donnant-donnant : ça suppose de mettre à disposition des collaborateurs des services, un environnement, des outils, une culture que l'ont souhaite la plus favorable. L'autre effet indirect, c'est la contribution à l'attractivité de l'entreprise, pour attirer les talents que l'on souhaiterait attirer chez nous. Nous sommes reconnus comme une entreprise très exigeante. Le risque d'une entreprise purement centrée sur la performance est de basculer dans la surcharge de travail, dans l'hyper exigence, avec les effets collatéraux que cela pourrait avoir sur la démotivation, les départs de salariés...
Au-delà des questionnaires, quelle mesure prenez-vous dans ce plan "Bien-être et performance" ?
"L'entreprise ne doit pas se contenter de dire : gérez vos émotions" |
Yves Grandmontagne. Nous avons commencé en 2010 à mettre en œuvre des ateliers avec les managers. Nous avons sensibilisé leur compréhension et leur connaissance du stress. De quoi parle-t-on ? Comment cela se manifeste-t-il ? Comment peut-on le contrôler à titre individuel ? Nous étendons désormais cette démarche à l'ensemble des collaborateurs de l'entreprise. Ces formations présentielles sont relayées par du e-learning.
Vous estimez donc que l'on peut être stressé sans s'en rendre compte ?
Y. G. Absolument. Il existe des mécanismes de compensation, de régulation, de déni. On a simplement l'impression que c'est normal d'être stressé. Or, ça ne l'est que jusqu'à un certain point. Le stress positif, chacun le mobilise tous les jours. Il devient négatif quand il vous paralyse, quand il vous inhibe, quand il commence à engendrer des effets collatéraux : le mal de dos, la sudation, les tremblements, l'incapacité à s'exprimer...
Ces formations changent-elles le regard des personnes qui les suivent ?
Y. G. Certaines personnes sont convaincues d'emblée de l'intérêt de parler de ces sujets. D'autres y vont pour voir, voire sont sceptiques. D'après nos retours, une grande majorité en ressort ravie. Pendant ces sessions de deux heures, nous allons jusqu'à faire des exercices de respiration. Les participants ont l'impression d'avoir été sensibilisés et d'avoir appris des petites combines très faciles à mobiliser.
Comment articuler la dimension individuelle du stress ressenti et la dimension collective des politiques de l'entreprise ?
Y. G. Ce que je vous ai exposé ne répond pas à tous les problèmes du stress. L'entreprise ne doit pas se contenter de dire "gérez vos émotions" mais elle doit réfléchir à la simplification de ses procédures, de sa charge de travail, à la gestion de ses priorités, à la diminution du nombre de réunions... Ce sont des choses sur lesquelles nous travaillons. Tout cela combiné permet d'avoir un mode de travail plus serein. Les leviers d'actions vont bien au-delà des ateliers ou du e-learning. Simplement, s'attaquer à la gestion des émotions est rarement abordé, ni à l'école, ni dans l'entreprise. Pourtant, c'est utile.
Yves Grandmontagne
Yves Grandmontagne est directeur des ressources humaines de Microsoft France depuis mai 2010. Il dirige, entre autres, la politique de recrutement de l'entreprise et a en charge l'environnement de travail des collaborateurs.
Précédemment, il avait occupé les poste de DRH France chez Baxter et chez Pfizer. C'est en effet dans le secteur de la santé qu'il a commencé sa carrière.
Il a été formé à l'école vétérinaire d'Alfort, est diplômé de statistiques médicales et titulaire d'un master en ressources humaines de l'Essec.
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