dimanche 15 décembre 2013

La vraie-fausse gaffe d'Arnaud Montebourg sur l'innovation et les vieux business

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"Nous devons ralentir l'innovation pour protéger les vieux business" aurait dit jeudi 12 décembre le ministre lors de la conférence LeWeb. Colère et moqueries sur Twitter. Sauf qu'il n'a pas vraiment dit ça...

Loïc Le Meur et Arnaud Montebourg, à la conférenc LeWeb à Paris jeudi 12 décembre. (Adam Tinworth / Flickr)
Loïc Le Meur et Arnaud Montebourg, à la conférenc LeWeb à Paris jeudi 12 décembre. (Adam Tinworth / Flickr)
Depuis 24 heures, une partie de l'écosystème numérique français se désole de vivre dans ce pauvre îlot anachronique qu'est devenu notre pays. Un territoire définitivement perdu dans le grand océan de la mondialisation, rétif au changement et fermé à l'innovation, incapable d'accompagner le bouleversement technologique qui transforme tout sur son passage.
La cause de cette déprime soudaine? L'intervention d'Arnaud Montebourg à la conférence LeWeb jeudi 12 décembre. Face à trois Français ayant fait le choix de s'expatrier outre-Atlantique, l'organisateur de l'événement Loïc Le Meur, l'entrepreneur Fabrice Grinda et l'investisseur Jeff Clavier, le ministre du Redressement productif, épouvantail préféré des start-uppers et des entrepreneurs, serait apparu en défenseur des vieilles industries, face aux start-up disruptives.

De quoi enflammer Twitter

Jusqu'à la caricature, en prononçant cette phrase, au cours d'une discussion sur la protection du secteur des taxis face aux nouveaux services de véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC) comme Uber (lire notre article sur cette start-up américaine): "We need to slow innovation to protect the old businesses" - "Nous devons ralentir l'innovation pour protéger les vieux business". 

Sur Twitter, les quolibets ont fusé.
On en a même fait des photomontages de t-shirts agrémentés de la citation :

Voir l'image sur Twitter

Amusant. Sauf qu'Arnaud Montebourg n'a pas prononcé cette phrase, comme l'ont fait remarquer d'autres acteurs du numérique français. 

En vérité, lors des 47 minutes de la discussion à laquelle il a pris part, le ministre a passé son temps à essayer de convaincre un parterre loin d'être acquis à sa cause que la France était ouverte à l'innovation, citant notamment le dispositif de crédit d'impôt recherche. 



Au bout d'une demi-heure, la conversation se cristallise sur le cas d'Uber et les taxis. C'est là que Montebourg aurait prononcé la fameuse phrase anti-innovation. Il n'en est rien. Il dit seulement ceci: "quand l'innovation détruit des systèmes, nous devons aller doucement" ("when innovation destroys systems, we have to go slowly").

Une phrase qui s'inscrit dans un raisonnement qui l'amène à distinguer deux types d'innovation: celle qui crée une nouvelle activité sans perturber une ancienne et celle qui transforme brutalement un système. Le propos est beaucoup plus nuancé que ce que certains ont voulu faire croire. Il n'en est assurément pas moins discutable.

Le verbatim traduit pas nos soins

Voici la retranscription de la conversation, à partir de la 30ème minute de la vidéo. L'anglais de Monsieur le ministre étant ce qu'il est, la traduction de son argumentation peut la faire paraître poussive par endroits.

Arnaud Montebourg - Bien sûr, nous comprenons ce que les innovations disruptives peuvent avoir comme effets. Les bons effets, c'est du business en plus, de l'activité, de l'emploi, de la croissance. Mais nous avons des problèmes avec les catégories professionnelles qui ne peuvent pas encaisser le changement avec brutalité. La question est: comment assurer la transition sans détruire trop de petites entreprises? Dans le cas des taxis, ce sont des indépendants travaillant à leur compte. C'est plus difficile pour eux de se transformer rapidement.

Loïc Le Meur - Ne protégeons-nous pas trop le passé?

Arnaud Montebourg - C'est un arbitrage. Nous devons trouver un compromis. Peut-être ce compromis n'est-il pas aussi bon que vous l'espérez. Mais nous devons faire le changement progressivement, doucement, pour faire comprendre aux gens que le monde change, y compris dans le secteur des taxis.

Loïc Le Meur - Mais vous comprenez que cela va à l'encontre des consommateurs, de vos citoyens, des Français, des Parisiens, qui sont obligés d'attendre 15 minutes (le futur délai légal avant la prise en charge des clients par les VTC, ndlr)?

Arnaud Montebourg - C'est vrai. Mais vous devez comprendre le point de vue opposé. Nous devons mélanger les points de vue et trouver un compromis. Peut-être n'est-ce pas le bon compromis, peut-être cela changera-t-il. Nous avons le même problème avec le travail du dimanche. Notre position, c'est d'accepter le changement, mais aussi de le faire accepter par les gens qui sont contre le changement. C'est une attitude progressive. (...)

Loïc Le Meur - Les pays autour de nous considèrent que la France essaie de ralentir les start-up. Les entrepreneurs veulent briser les systèmes existants. C'est leur boulot, c'est comme ça qu'ils font de la croissance. Le problème est que la France a l'image d'un pays qui essaie de ralentir l'innovation pour protéger le passé. 

Arnaud Montebourg - C'est une question culturelle. Vous avez une société qui dit: "vous allez nous tuer". Il faut entendre ces gens-là. Allons-nous les laisser mourir? C'est un problème pour eux. Ils ont le droit de vivre. Leur droit de vivre passe-t-il par l'interdiction des innovations de rupture? Nous disons "non". Mais nous devons trouver un compromis entre  ces contradictions. (...) Parfois l'innovation ne détruit pas. Mais quand l'innovation détruit des systèmes, nous devons aller doucement. C'est ce que nous appelons un compromis. Nous ne disons jamais: "le monde change et nous ne voulons pas changer, nous n'acceptons pas l'innovation". Nous disons: "vous pouvez innover, vous pouvez faire de l'argent, vous pouvez inventer des technologies". Mais quand vous détruisez des entreprises, nous devons être prudents. Nous aimons l'innovation parce que nous la finançons. Nous la soutenons, nous aidons les gens à trouver de l'argent pour être innovants. Mais quand vous attaquez un secteur qui fonctionne sous de vieilles régulations, le changement est plus lent que quand vous innovez et créez quelque chose qui ne détruit aucune position antérieure. Il est possible d'innover sans détruire.

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