L’affaire du Mediator a créé un véritable électrochoc parce qu'elle a mis en évidence des liens incestueux entre les laboratoires, certains médecins et les pouvoirs publics, et qu'ils ne sont pas près de changer en dépit des dernières réformes.
Pire, la toxicité de certains médicaments, anti-inflammatoires, antidiabétiques et autres, a déjà été révélée. Mais combien sont-ils encore sur le marché ? Anticholestérol, antidépresseurs, bêtabloquants, vaccins, antidouleurs, sirops contre la toux, etc., ils sont légion à encombrer les tiroirs de nos officines.
Et combien de maladies ou de pandémies imaginaires pour le seul profit de quelques-uns?
Avec Corinne Lalo, grand reporter, et Patrick Solal, biologiste, nous découvrirons un univers dans lequel la recherche scientifique entretient d'étranges rapports avec le marketing.
Les antidépresseurs de type Prozac
Les antidépresseurs de la famille du Prozac peuvent-ils provoquer les mêmes effets secondaires que le Mediator sur le coeur et les poumons? [...] Un pharmacologue de l'Inserm nous avoue ne pas avoir de données de pharmacovigilance pouvant indiquer des effets secondaires similaires, mais il nous confie que les deux médicaments ont les mêmes mécanismes. Il était donc, selon lui, absurde de prescrire du Mediator à quelqu'un qui prenait du Prozac car les doses ne pouvaient que se cumuler. Le site de la pharmacovigilance européenne révèle que des nouveau-nés dont les mères ont pris du Prozac développent la même maladie que les patients ayant absorbé du Mediator ou de l'Isoméride: l'hypertension artérielle pulmonaire.L'Agence européenne du médicament se contente toutefois de conseiller aux mères de signaler à leur sage-femme qu'elles prennent un ISRS [inhibiteurs sélectifs de la recapture de sérotonine: classe d'antidépresseurs de type Prozac]. L'Agence estime que le Prozac multiplie par deux le risque de malformation cardiaque chez le nouveau-né. Au lieu de déconseiller formellement la molécule aux femmes enceintes, elle leur suggère simplement d'en parler à leur médecin qui décidera de la suite du traitement. L'Agence ajoute: "Le mécanisme est inconnu."
Les effets indésirables de loin les plus dangereux des ISRS chez les jeunes sont les suicides. Ils ont été inclus aux notices de tous les médicaments de cette classe en janvier 2008 [...] La pharmacovigilance européenne (Pharmacovigilance Working Party) s'appuyait sur une analyse menée en 2005 par la FDA [Food & Drug Administration] qui comparait les idées et les comportements suicidaires associés à la prise d'ISRS selon les classes d'âge. Les conclusions de l'agence fédérale américaine reprises telles quelles par les Européens indiquaient que ces substances augmentaient le risque de "suicidalité" (suicidality) à court terme chez les moins de 25 ans et qu'à l'inverse elles avaient un effet protecteur au-delà de 30 ans. [...]
Plusieurs articles scientifiques ont en effet montré que les ISRS facilitaient "le passage à l'acte". Ce n'est pas la roulette russe, mais cela s'en approche. Dans le même ordre d'idées, une autre étude réalisée par Thomas J. Moore sur des statistiques de la FDA a récemment montré qu'une trentaine de psychotropes parmi les plus rentables du marché, en particulier les ISRS, étaient liés à un accroissement significatif des conduites agressives et des homicides. Pour éviter la case "prison", mieux vaudrait ne pas en avaler. Si l'on ajoute les nombreux autres effets indésirables des antidépresseurs qui conduisent à l'abandon du traitement dans 20 % des cas, le remède est pire que le mal pour beaucoup de consommateurs [...] Une méta-analyse réalisée par le Pr Irwin Kirsch renforce d'ailleurs les soupçons. Elle conclut que les antidépresseurs de la famille des ISRS ne sont guère plus efficaces qu'un placebo: "Les résultats ont montré qu'il n'y avait pour ainsi dire pas de différence entre les antidépresseurs et le placebo dans les dépressions modérées, et une petite et insignifiante différence dans les dépressions très sévères. La seule différence significative a été atteinte chez des patients qui avaient une dépression extrêmement sévère." Kirsch et ses collègues concluent qu'il n'y a pas lieu de prescrire des antidépresseurs à qui que ce soit d'autre que les patients atteints des dépressions les plus sévères, à moins que tous les autres traitements ne se soient révélés inefficaces. Les résultats de l'étude Kirsch ont été bien évidemment contestés par une autre équipe qui a refait les calculs autrement à partir des mêmes données.
Le Nurofen-Rhume
Il existe enfin un médicament d'usage courant qui devrait mériter la plus grande attention: le Nurofen-Rhume. C'est l'un des produits phares de la division santé de la multinationale chimique britannico-hollandaise Reckitt-Benckiser, qui fabrique aussi le Strepsil (lidocaïne) ou, pour ses autres divisions, des produits de grande consommation comme la crème dépilatoire Veet, l'anticalcaire Calgon, le nettoyant WC Harpic, le déboucheur Destop, la cire O Cedar ou les nettoyants St Marc et Cillit-Bang. Si le Nurofen-Rhume n'est sans doute pas d'un grand intérêt pour déboucher une canalisation, il est en revanche plutôt efficace pour déboucher les sinus. Et pour cause : contrairement à ce que son nom laisse entendre, il ne contient pas que de l'ibuprofène, anti-inflammatoire non stéroïdien (par ailleurs néfaste pour l'estomac), mais aussi de la pseudoéphédrine. Il s'agit d'une molécule très proche de l'amphétamine. Par réduction alcoolique de pseudo-éphédrine, un chimiste amateur serait en mesure de synthétiser de la métamphétamine, qui est une drogue dûment classée parmi les stupéfiants. En favorisant la libération de noradrénaline au niveau des vaisseaux sanguins des voies aériennes supérieures, cette substance décongestionne les sinus inflammés. [...]Une enquête de pharmacovigilance réalisée par le centre de Toulouse se montre très sévère pour cette classe de produits. Leurs effets indésirables sont nombreux et graves, typiquement ceux de l'amphétamine. Conclusion sans appel: "Ces effets graves sont peu acceptables et à mettre en balance avec l'aspect bénin de la pathologie traitée (le rhume)." Effectivement, pourquoi risquer un infarctus ou une hémorragie cérébrale pour un simple nez qui coule? Comment de tels médicaments sont-ils encore sur le marché et en vente libre qui plus est?
La revue Prescrire est également sévère en demandant le bannissement de "ces médicaments" des pharmacies et des conseils. [...] La revue regrette que l'Agence n'ait pas pris une mesure simple : retirer ces décongestionnants du marché. Ou, à tout le moins, en restreindre la prescription aux cas le nécessitant vraiment comme certaines crises de sinusite aiguë.
La Ritaline
Aux Etats-Unis, le nombre d'enfants sous Ritaline dépasse les 2 millions. Plus de 10 % des enfants de 10 ans en prennent. Les effets indésirables ont été étudiés par la FDA, notamment une élévation de la pression sanguine, une accélération du rythme cardiaque, l'infarctus et la mort subite. A long terme, l'augmentation de la pression sanguine est considérée comme un facteur de risque cardio-vasculaire.En France, la Ritaline est assimilée à un stupéfiant et fait partie d'une liste de médicaments dont les ordonnances doivent être sécurisées. Le Journal officiel du 8 avril 2008 place ce produit dans la liste des soins ou traitements susceptibles de faire l'objet d'un usage détourné ou abusif. Pour la revue Prescrire, il n'est indiqué qu'en dernier recours après l'échec des autres prises en charge non médicamenteuses. Les effets indésirables psychiques ou neurologiques sont nombreux: psychoses, manies, hallucinations, agressivité [...] Il est à noter que, sur la notice du médicament telle qu'elle apparaît dans le site Internet de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), l'appartenance à la famille des dérivés amphétaminiques n'est pas signalée alors qu'elle l'est dans certains documents de la Haute Autorité de santé qui précisent: "Stimulant du système nerveux central, chimiquement et pharmacologiquement proche des amphétamines." La notice française de la Ritaline ne signale pas non plus qu'il s'agit d'un stupéfiant [...] Aucun syndrome de sevrage n'est mentionné [...] Parmi les contre-indications, la notice française fait cependant référence aux comportements suicidaires.
Corinne Lalo et Jean-Yves Casgha
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