D’où
vient la stratégie de l’entreprise ? Pour le citoyen, c’est celle du
patron. Pour le dirigeant d’entreprise, et aussi pour le consultant qui
se frotte à ce sujet tous les jours, c’est beaucoup moins simple.
D’où l’abondante littérature sur le sujet, provenant de professeurs d’universités et …de consultants divers.
HBR d’avril contient un article de deux professeurs de Harvard ( David J. Collis et Michael G. Rukstad)
qui challengent le lecteur : êtes-vous capables de dire en 35 mots
quelle est votre stratégie ? Et de citer leur « expérience » pour nous
révéler que peu y arrivent. Ensuite, ils nous ressortent leur cours et
leurs bouquins pour nous redonner les rudiments de l’analyse stratégique
et le contenu-type d’une stratégie.
Ok,
mais ce dont ne parle pas l’article de ces professeurs, c’est : comment
on trouve les idées originales pour notre stratégie ? Car les mots
c’est bien, mais les idées, c’est peut être utile aussi non ?
A la RATP, une expérience spéciale a été conduite pendant un an, avec des consultants (Les Echos,
et plusieurs journaux, ont déjà raconté toute l’histoire ; la stratégie
n’est même pas encore bouclée, on en parle déjà à tout le monde) : on a
consulté dans des centaines de réunions plus de 10.000 personnes (sur
les 45.000 salariés) pour leur demander leur avis sur la stratégie à
horizon 2012, avec un vote à la fin sur les propositions. C’est une
version « débat participatif » de la stratégie d’entreprise et une idée
personnelle du nouveau Président, Pierre Mongin,
ancien chef de cabinet de Dominique de Villepin à Matignon, qui
inaugure ainsi de façon originale sa première expérience dans une
entreprise, après une carrière dans les préfectures et les cabinets
ministériels.
Les
managers ont, par exemple, rédigés des « fiches ambition » (ah, les
fiches, c’est le bon truc de consultant et de bon élève, ça !) avec
leurs équipes…
A
la fin, il y a cinq axes majeurs (cinq, c’est souvent le bon chiffre :
trois ça fait trop direct, même si c’est souvent le chiffre dans les
entreprises très concurrentielles, et dynamiques. Cinq, c’est le chiffre
fétiche des entreprises publiques ; ça permet de montrer qu’on pense à
plusieurs axes, et de caser des intentions sociales plus marquées).
Un des axes qui est ressorti comme majeur, je vous le donne en mille : la performance économique et financière. Quelle audace !
D’ailleurs,
elles doivent travailler ensemble, en ce moment, les entreprises
publiques : dans tous leurs plans stratégiques, il y a exactement les
mêmes mots : « performance économique et financière ». Bon, maintenant,
au-delà des mots, il va falloir « faire »…c’est plus dur, parfois. Et
puis il va falloir dire comment concrètement. Là encore, il y a du
boulot. Mais on ne peut que constater que les « mots » vont dans le bon
sens.
Alors, et les idées ?
Dans
certaines entreprises, il y a une croyance forte : il existerait UNE
stratégie qu’il conviendrait de trouver, en analysant tous les
paramètres, et ensuite de décider. Et après, on y va, on sait où on va.
C’est la démarche de celui qui pense qu’il a tout prévu, donc on ne
change rien, quel que soit l’environnement.
Cette
approche est un peu « has been » dans les entreprises modernes et
souvent « casse gueule » comme on dit, car il n’est jamais bon de
conduire en aveugle. Les plus partisans de ce genre d’approche sont ceux
qui se laissent griser par le succès, sans se remettre en cause, et qui
ont oublié le principe de Andrew Grove, « seuls les paranoïaques survivent ».
Une approche plus moderne et adaptée à notre temps, c’est l’approche par les scénarios (on parle de « scenario planning »). Shell (avec Arie de Geus)
a été pionnier de cette démarche, qui consiste à imaginer les scénarios
du futur (non pas seulement les plus probables, car on ne le sait
jamais, mais aussi les plus farfelus, mais plausibles) pour mieux s’y
préparer, et à transformer l’exercice de plan stratégique en exercice
d’apprentissage du changement et de l’incertain. C’était dans les années
80 et 90. Depuis, ces approches ont trouvé leurs théoriciens et leurs
praticiens, et les consultants spécialisés, et se sont précisées.
Concrètement, l’approche « scenario planning
», contrairement aux approches classiques, ou « rationalistes », ne
cherche pas à imaginer un futur certain, ou le plus probable, mais au
contraire à imaginer les scenarios les plus extrêmes, en fonction des
paramètres de l’environnement et des marchés, pour déterminer comment
s’y préparer. C’est un véritable exercice d’apprentissage de la
flexibilité et de la réactivité.
Si
l’on essaye de classer les paramètres qui vont conditionner le futur,
on peut les qualifier de « prévisibles » ou « incertains », et aussi
définir si l’impact sur l’entreprise sera « important » ou « moins
important ».
C’est
alors sur tous les critères positionnés dans la zone « incertains –
important » que les scenarios seront le plus utiles à imaginer. Et
toutes les décisions sur l'organisation, les actions d'amélioration des
performances, les investissements, les lancements de services et
produits, en découlent.
Cette
façon différente de travailler sur le futur est particulièrement
efficace pour donner une vraie culture stratégique au management. La
démarche stratégique ne se réduit plus à des objectifs bien alignés,
avec plus ou moins de 35 mots, mais enclenche des conversations sur les
perceptions du futur.
C’est aussi l’occasion de confronter les scenarios avec les compétences et les choix de l’entreprise.
Si
les scenarios explorés montrent que ce « fit » entre les compétences et
les enjeux de demain n’est pas le bon, ce sera le signe qu’il faut
revoir les compétences et se doter de nouveaux atouts et talents, et
faire progresser les talents existants vers les nouveaux enjeux.. Si le «
fit » apparaît favorable, ce sont les « choix » de l’entreprise qui
devront être challengés, afin de choisir ce qui sera le plus efficace
pour profiter de chaque scenario, compte tenu des compétences de
l’entreprise.
Bien
sûr, la méthode de « scenario planning » va surtout plaire à ceux qui
pensent que la caractéristique principale de l’avenir de leur entreprise
est l’incertain. Ceux qui cherchent à se rassurer avec des certitudes
pourront probablement continuer avec les méthodes rationalistes.
Et
puis il y a ceux qui préfèrent ne rien prévoir, ce sont les
pragmatiques, paraît-il…on pourrait aussi dire ceux qui ne savent pas où
ils vont.
Cela me rappelle une citation attribuée à Einstein :
« La théorie, c’est quand on sait tout mais que rien ne fonctionne.La pratique, c’est quand tout fonctionne, mais on ne sait pas pourquoi ».
Il
semble que dans certaines entreprises, on allie efficacement la théorie
et la pratique : Rien ne fonctionne, et on ne sait pas pourquoi.
Nota : Pour ceux qui veulent en savoir plus sur les méthodes de « scenario planning », deux auteurs parmi d’autres :
Kees van der Heijden et Gill Ringland
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