lundi 29 octobre 2012

"Pigeons": lettre ouverte à Audrey Pulvar

Chère Madame Pulvar,
J'ai lu votre dernier édito dans Les Inrocks et je dois dire qu'en 3 feuillets, plutôt bâclés, vous avez réussi à nous composer un concentré de mauvaise foi et d'agressivité, ponctué d'informations très approximatives...
L'inquiétude de 70.000 entrepreneurs (et non 30.000 comme vous l'écrivez), principalement issus du monde des start-ups et des entreprises de croissance, se transforme, sous votre plume, en "lamentations de certains patrons...".
Ces "patrons", madame Pulvar, (un mot qui claque comme une insulte dans votre bouche) sont pour la plupart de jeunes entrepreneurs dont beaucoup n'ont pas encore vu la couleur d'un salaire ou, au mieux, font partie, comme des millions de patrons de PME, de la classe moyenne.
Afin de semer encore un peu plus la confusion dans l'esprit de vos lecteurs, discréditer ces milliers d'entrepreneurs et la sincérité de leur mouvement, vous n'hésitez pas à abuser de l'amalgame, notamment en citant Laurence Parisot (représentante du Medef). C'est votre "petite combine" pour manipuler vos lecteurs en leur laissant croire qu'entrepreneurs de start-ups et grands patrons c'est la même chose. Ce procédé est juste malhonnête madame Pulvar.
Lire aussi: "Pigeons" : d'un échange Facebook au recul du gouvernement, autopsie d'un buzz
Vous mettez en doute la représentativité de ces "Pigeons" en les opposant aux 2,5 millions de PME et 700.000 artisans. Vous auriez aussi pu citer les 950.000 auto-entrepreneurs. Le mouvement auquel vous faites référence n'a jamais prétendu pouvoir, ni même vouloir, représenter toutes les formes d'entrepreneuriat. Au sein même des TPE et PME il y a des typologies d'entreprises dont les problèmes, les contraintes, les modes de financement, l'échelle de temps sont radicalement différents.
Vous mettez en doute la légitimité des revendications de ces entrepreneurs et tentez de les opposer à leurs propres salariés. Ce que vous ne savez pas, chère madame, c'est que la moitié des "Pigeons" sont les salariés eux même de ces start-ups.
Des start-ups qui embauchent plus de jeunes que dans n'importe quel autre secteur de l'économie (32 ans d'âge moyen contre 41 ans dans les grands groupes).
Des start-ups qui enregistrent 24 % de croissance annuelle de leurs effectifs (87 % sont en CDI versus la moyenne nationale à 76 %).
Des start-ups, où l'écart salarial est de 2,6 seulement entre le salaire du président et le salaire moyen. Je serais curieux par exemple de savoir si les pratiques sont aussi vertueuses au sein de votre journal. Et, si vous même vous ne cautionnez pas et n'abusez pas d'une des formes d'emplois précaires les plus courantes chez les journalistes, à savoir le statut de pigiste. Vous devriez faire un édito un jour sur cette classe de travailleurs pauvres dont personne ne parle. Vous devez en côtoyer beaucoup plus que vous ne rencontrez d'entrepreneurs.
Vous accusez le gouvernement d'avoir "reculé" et d'avoir "remisé, le projet d'alignement des revenus du patrimoine sur ceux du travail..." et là vous n'hésitez pas à mentir purement et simplement afin de servir votre argumentation.
La réalité, qui ne vous intéresse guère visiblement, c'est que le gouvernement a proposé un aménagement uniquement pour les "entrepreneurs" et sous réserve de certaines règles, extrêmement contraignantes, qui selon moi, sont encore très loin de la réalité des entreprises de croissance.
Mensonges à nouveau quand vous déclarez que Marc Simoncini ou Pierre Chappaz seraient les représentant des Pigeons.
Par ailleurs, que Marc Simoncini ait fait fortune en ayant créé et cédé, 10 ans après, l'une des plus belles start-ups de la décennie (les chiffres que vous citez sont là encore faux comme la plupart de ceux que vous avancez dans cet édito), qu'aujourd'hui cet entrepreneur utilise une partie de cet argent pour financer d'autres start-up, le rend, à mes yeux, et aux yeux de certains ministres, tout à fait légitime pour faire partie d'une réunion de concertation à Bercy sur la pérennisation de l'écosystème du financement des start-up en France. Vos sous-entendus malsains étaient donc bien inutiles.
Il est regrettable, pour une journaliste comme vous qui prônez l'honnêteté intellectuelle, de stigmatiser le gouvernement simplement parce qu'il a fait preuve d'un certain courage en reconnaissant qu'il faisait en partie fausse route et en déclarant "nous avons entendu l'inquiétude des entrepreneurs et si nous voulons effectivement taxer les rentiers, en revanche nous ne souhaitons pas décourager la prise de risques (...) nous n'avions pas vu l'effet pervers de ce projet, nous allons corriger..." c'est tout à leur honneur et cette attitude, moins dogmatique que vos éditos, mériterait au contraire d'être encouragée.
Enfin, pourquoi en vous lisant, ai-je le désagréable sentiment qu'à vos yeux, la parole, les inquiétudes, les "revendications" de 70.000 jeunes entrepreneurs auraient moins de valeur que celles toutes aussi légitimes, parfois, de salariés, de fonctionnaires, battant le pavé de la République à Nation. Je vous rappelle, madame, que les entrepreneurs, pour se faire entendre, n'ont pas "le droit" de faire grève, ni accessoirement, rappelons-le, de prétendre aux indemnités chômage (même après 10 ans de travail).
Pour finir, vous poussez le sens de la caricature et de la mauvaise foi à son paroxysme lorsque vous vous en prenez à Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg. Fleur Pellerin, en charge des Petites et Moyennes Entreprises, de l'Innovation et de l'Economie numérique qui attire vos foudres moqueuses, et que vous n'hésitez pas à comparer à la patronne du Medef.
Dans les dernières semaines je n'ai pas toujours été d'accord avec notre ministre, et même pas toujours tendre à son égard, mais je respecte ses convictions car elles ne l'on jamais empêché de faire preuve de pragmatisme. Elle a su notamment, dans de nombreux cas, défendre l'économie numérique, l'esprit d'entreprise et d'innovation, qui reste notre principale chance de renouer avec la croissance dans les prochaines années.
Je comprends que vous défendiez le travail du ministre du Redressement productif, ses tentatives sont louables, et tout ce qui peut être fait pour sauver un emploi doit être tenté. Cependant je crains, madame Pulvar, que l'emploi et la croissance ne viennent pas demain de Doux, Peugeot ou Arcelor...
Ne vous en déplaise, le poids d'Internet dans l'économie française passera au minimum à 130 milliards d'euros en 2015, ce qui représente dès aujourd'hui un montant supérieur à ceux générés par les secteurs traditionnels tels que l'énergie, les transports ou l'agriculture.
Soyez donc plutôt en colère contre toutes les politiques qui depuis 30 ans n'ont pas mieux préparé notre pays à cette "destruction créatrice", et cessez de nous opposer les uns au autres. Les salariés ont besoin des entrepreneurs (et réciproquement bien entendu), et les entrepreneurs ont besoin des investisseurs et les investisseurs ont besoin d'un environnement fiscal stable et qui encourage et redirige l'investissement dans les entreprises de demain et pas vers des placements improductifs.
Voilà, madame Pulvar, ce que je voulais vous dire, sans agressivité, sans le mépris ni la condescendance avec lesquels vous nous traitez, traitement qui ne nous est pas réservé j'en conviens, c'est semble-t-il le mode d'expression que vous maîtrisez le mieux.
Si jamais vous avez pris quelques instants pour lire ces quelques lignes, je vous en remercie. Si en plus vous preniez quelques instants pour essayer de comprendre le malaise des entrepreneurs, et parmi eux celui des plus jeunes, plutôt que de vous en moquer, alors je n'aurais pas totalement perdu mon temps. Je pousserais peut-être même l'audace jusqu'à essayer de vous convaincre que l'on peut parfois, par simple conviction, défendre de mauvaises décisions ou se retrouver dans des postures défendables par la seule mauvaise foi. Je crains que ça ne soit souvent votre cas.

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