lundi 4 mars 2013

L'entrée en scène des managers durables

A PepsiCo, Danone ou Accenture, ils conjuguent déjà performance économique avec respect de l'environnement et implication sociale. Témoignages de pionniers.

"Je suis passé d'une logique de négociations commerciales classiques à une logique de cocréation avec nos petits producteurs de lait." Philippe Bassin, directeur des achats monde et du Fonds Danone pour l'écosystème, Danone.
"Je suis passé d'une logique de négociations commerciales classiques à une logique de cocréation avec nos petits producteurs de lait." Philippe Bassin, directeur des achats monde et du Fonds Danone pour l'écosystème, Danone.
© Jérôme Chatin
 
Green washing, social washing... Depuis quelques années, les entreprises sont accusées de nettoyer leur image. Mais quelle est la part de l'incantatoire et des effets d'annonce en matière de développement durable et de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ? Même s'il convient de rester vigilant devant les sirènes de la communication, notre enquête montre que s'affranchir de ces nouvelles règles devient difficile et risqué, tant pour les entreprises que pour leurs managers.
"Pour tout un faisceau de raisons réglementaires, commerciales ou de réputation, les entreprises, de plus en plus, doivent prouver, chiffres à l'appui, que ce qu'elles annoncent est vrai", résume Xavier Houot, responsable des activités développement durable de BearingPoint. De leur côté, les cadres et les dirigeants commencent à être obligés d'intégrer la RSE dans leurs missions, leurs fonctions et leurs objectifs. Cela entraîne une redéfinition des métiers, et l'apparition de nouvelles règles managériales. Petite chronique des pionniers.
A PepsiCo, la présidente, Indra Nooyi, ne plaisante pas avec le sujet, elle qui prône le lien "inaliénable" entre performance économique et "investissement dans le capital humain". Aux managers d'appliquer la doctrine sur le terrain ! Concrètement, un responsable du marketing peut se voir poser comme objectif de dépasser les 30 % de plastique recyclés au moment de la conception des bouteilles Tropicana ou Lipton d'ici à la fin de l'année. Le patron de la logistique produits frais peut se voir fixer un taux d'émission du CO2 par palette.
L'entrée en scène des managers durables
© Jérôme Chatin
"Nous enrichissons les fiches de postes des managers avec des objectifs de plus en plus pointus sur le développement durable." Jean-Raphaël Hétier, directeur de la logistique et du développement durable, PepsiCo.
"Nous complétons les fiches de postes des managers avec des objectifs de plus en plus précis et pointus", commente Jean-Raphaël Hétier, directeur commercial grandes et moyennes surfaces (GMS), et, depuis la fin de 2008, directeur du développement durable et membre du comité de direction de PepsiCo-France. Pour évangéliser les troupes, depuis deux ans, tous les collaborateurs sont progressivement formés au développement durable, l'objectif étant que tous se soient vu expliquer les grands principes et enjeux du "DD" d'ici à la fin de l'année.
Du côté de Danone, Franck Riboud a clairement montré à ses collaborateurs la voie du social business en se rapprochant en 2006 de Muhammad Yunus, le "banquier des pauvres", inventeur du microcrédit. Cela entraîne de profondes mutations dans certains métiers. Ainsi Philippe Bassin est-il à la fois directeur des achats pour le pôle produits laitiers frais et, depuis 2010, directeur général du Fonds Danone pour l'écosystème (1).
Contradictoire ? "Au contraire, j'innove dans mon métier ! assure-t-il. En quelques années, je suis passé d'une logique de négociation commerciale classique, parfois tendue avec certains fournisseurs, où seule la performance économique de court terme primait, à une logique de cocréation avec nos petits producteurs de lait." Angélique ? "Il ne s'agit pas de philanthropie, mais de business gagnant-gagnant, se défend-il. Dans une dizaine de pays, comme le Mexique et l'Ukraine, la production de lait est insuffisante pour les quantités requises par Danone. Le groupe cherche donc à renforcer la filière avec de petits producteurs, en partant de leurs besoins plutôt que des nôtres. Au Mexique, nous achetons déjà 2 % de notre sourcing à ces petits producteurs, et nous espérons parvenir à 8 % en 2015, en fédérant 400 éleveurs, contre nos 105 actuels."
L'implication sociale respectueuse s'accompagne parfois de pittoresque. Dans un faubourg de Mexico, le Fonds Danone pour l'écosystème a constitué une force de vente avec des femmes en difficulté d'insertion afin de commercialiser ses produits en porte-à-porte. Il a fallu tisser des liens avec un ex-membre de gang, caïd de l'entrepreneuriat local, pour déchiffrer l'organisation sociale et les particularités locales. "Nous avons stabilisé le modèle économique et social de cette initiative, et nos 280 vendeuses - 3 000 à terme - génèrent une rentabilité opérationnelle prometteuse. Un investisseur classique aurait jeté l'éponge au bout de quelques mois", constate Guillaume Desfourneaux, responsable des Amériques pour le fonds.
Au total, le géant de l'agroalimentaire pilote une cinquantaine de projets "hybrides" (à caractère économique et social) via les trois grands supports que sont Danone.communities, le Fonds Danone pour l'écosystème et Livelihoods.
"La pérennité de l'entreprise dépend de son empreinte sociale, et celle-ci doit s'exercer à tous les niveaux de la hiérarchie." Christian Nibourel, président d'Accenture-France.
"Environ 10 % de nos directeurs généraux de business et managers ont développé de nouvelles compétences avancées, que nous souhaitons transférer à la majorité de nos équipes de direction, pas spécialement versées dans la gestion de l'amont ou le social business", précise Muriel Pénicaud, directrice générale des ressources humaines de Danone et présidente du conseil d'administration du Fonds Danone pour l'écosystème.

Danone a notamment créé un guide pratique de cocréation avec les ONG et les entrepreneurs sociaux. Et les comités de direction qui lancent un projet suivent un module de formation-action baptisé "Sustainability Land".
Indexer les salaires sur des critères extrafinanciersSi le seul attrait de la nouveauté suffit pour les pionniers, il faut parfois davantage d'appuis, voire de "stimulants", pour mobiliser les managers. Côté bâton, ces derniers, de plus en plus, vont devoir réaliser des objectifs du type "faire passer le nombre de fournisseurs aux performances exemplaires en matière d'environnement de 57 à 70 % en un an". Ce qui augmente, en corollaire, le risque de s'entendre dire : "Attention ! Vous êtes dans le rouge dans les domaines RSE", avertit Xavier Houot. Ce ne sont plus des critères d'évaluation à prendre à la légère pour l'entretien de fin d'année.
Car, côté carotte, la rémunération a tout à gagner à la RSE. "En 2010, la moitié des groupes du CAC 40 ont déclaré avoir indexé une part de la rémunération variable de leurs dirigeants et/ou de leurs managers sur des critères extrafinanciers, contre 17 en 2009 et 12 seulement en 2008", constate l'agence de communication Capitalcom, dans son quatrième baromètre annuel (2011) sur la RSE.
Mais la réalité et les niveaux d'avancement sont hétérogènes. Pour preuve, "dans l'étude sur l'intégration de critères de RSE dans la part variable de rémunération des dirigeants et des managers, à paraître le 7 juin, seulement sept des très nombreuses entreprises rencontrées acceptent de communiquer sur leur démarche formalisée", explique François Fatoux, de l'Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (Orse). Sont ainsi décortiquées les pratiques du Crédit agricole, de Danone, de La Poste, de France Télécom-Orange, de Rhodia, de Schneider Electric et de Vivendi. La part de RSE dans le variable dépend des entreprises, allant de 5-20 % pour l'une à 20-40 % pour une autre.
Cultiver une double vision plus rentablePour les managers, à l'heure de l'empreinte sociale, ces nouvelles façons de penser impliquent de cultiver une double vision, à long et à court terme, fondamentalement plus respectueuse des autres, et - bonne nouvelle pour les entreprises ! - plus rentable. "A Accenture, nous faisons attention à payer les factures à l'heure, à ne pas rompre - autant que possible - un contrat unilatéralement lorsque nous sommes le seul donneur d'ordres de notre fournisseur", insiste Christian Nibourel, le président d'Accenture-France. Autant d'attentions à l'écosystème qui auraient semblé naïves et superflues il n'y a pas si longtemps, mais qui aujourd'hui sont "indispensables pour assurer notre pérennité économique. Car si l'écosystème s'appauvrit, nous aussi !".
(1) Créé il y a trois ans, doté de 100 millions d'euros, ce fonds soutient, renforce et développe l'activité des producteurs agricoles, fournisseurs et sous-traitants, transporteurs, distributeurs...
Les nouvelles règles gagnent du terrain Vaste et complexe, la question de la responsabilité sociétale des organisations est précisée à travers sept grands points de vigilance, grâce à la norme Iso 26000 : "La gouvernance, les droits de l'homme, les relations et conditions de travail, l'environnement, la loyauté des pratiques, les questions relatives aux consommateurs, communautés et développement local", rappelle Stéphane Gerbaud, chef de produit développement durable-RSE d'Afnor Certification.
Au plan juridique, depuis avril 2012, le décret RSE de l'article 225 du Grenelle II a étendu aux entreprises non cotées l'obligation de communiquer avec précision sur leur performance sociale.
"Chiffres et indicateurs à l'appui, toutes les entreprises doivent désormais expliquer ce qu'elles pouvaient se contenter de revendiquer sans preuve", explique Thierry Raes, associé responsable des activités développement durable de PricewaterhouseCoopers (PwC).
Au plan financier, "les principes de l'investissement responsable (PRI), lancés en 2006, sont désormais suivis par 900 investisseurs. Les choix du fonds souverain norvégien, plus gros investisseur socialement responsable du monde en termes d'encours, ont un impact notable sur les valeurs actionnariales des entreprises concernées", précise Xavier Houot. Au plan commercial, "un nombre croissant d'appels d'offres ne peuvent se remporter sans une bonne note RSE", rappelle Christian Nibourel. Enfin, "au plan des ressources humaines, relève David Giffard-Bouvier, associé RH de PwC, les salariés sont plus productifs et motivés quand leur entreprise est engagée, car ils recherchent du sens au travail".

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