Pro bono est l'abréviation de l’expression latine pro bono publico, signifiant « pour le bien public ». Le pro bono désigne l'engagement de volontaires qui donnent du sens à leur métier en s'impliquant dans des initiatives d'intérêt général à titre gracieux.
En France, le terme « pro bono » est principalement utilisé par les avocats, bien qu’il recouvre plus généralement les pratiques de bénévolat de compétences, de mécénat de compétences et bénévolat d’entreprise. Le pro bono est en effet une pratique courante chez les avocats. Cependant, il se répand de plus en plus dans d’autres professions telles que le marketing et la communication, la stratégie, l’informatique et les ressources humaines notamment.
http://www.pro-bono.fr/
Le pro bono d’un point de vue anthropologique
Des recherches récentes ont souligné les
mutations de l’engagement bénévole. A la question « qu’est-ce-qui
explique le choix d’une activité bénévole ? », les réponses
indiqueraient une nouveauté d’approche : on peut citer par exemple la
recherche du plaisir ou encore la volonté de développer ses compétences
professionnelles. Yannick Blanc, Président de la Fonda,
donne un éclairage complémentaire à l’enjeu que représente le
bénévolat dans le monde associatif : « Le constat d’une crise du
militantisme, de la difficulté à renouveler cadres et dirigeants
associatifs renvoie au spectre du repli sur soi qui caractériserait
l’évolution des mœurs et de l’idéologie »[1].
Toutefois, la majorité des conclusions de ces études retiennent la recherche du sens,
ou encore la recherche de l’utilité (« être utile à la société et faire
quelque chose pour les autres ») comme source de motivation principale à l’engagement bénévole. Recherche du sens qui semble caractériser aussi les choix professionnels chez les jeunes de la « génération Y ». La recherche de l’utilité, si on la rattache par ailleurs à l’affirmation récente de la notion d’utilité sociale, est liée à la question des valeurs, à ce que les individus jugent utile pour la société, en un temps et un lieu donnés.
Le bénévolat, un don créateur de lien social
La question de l’engagement bénévole
peut être abordée d’un point de vue anthropologique, en particulier à
travers le paradigme du don-contredon élaboré par l’ethnologue Marcel
Mauss. Considéré comme le père de l’anthropologie française et l’un des
piliers de la discipline, Mauss a étudié le fonctionnement de sociétés
dites archaïques. La démarche de Mauss, empirique, attribue aux
significations données par les acteurs eux-mêmes une portée
d’explication des phénomènes sociaux. Ses recherches ont abouti à la
découverte d’un fait social particulier, le don, qu’il traite comme un « fait social total ». Le don est un fait social total parce qu’il a des conséquences structurantes sur la société dans son ensemble.
La dynamique du don et du contre-don est en effet articulée autour de trois actes bien différenciés, trois « obligations » : donner, recevoir et rendre, qui « créent une état de dépendance qui autorise la recréation permanente du lien social ». C’est
cette dynamique qui permet la circulation de l’information et, en
tissant des relations de confiance, d’éviter la désintégration sociale
et la guerre. C’est alors « qu’une histoire commune peut commencer à
s’écrire, pour le meilleur ou pour le pire ! ».
Dans bon nombre de civilisations archaïques (…) les échanges et les contrats se font sous la forme de cadeaux en théorie volontaires mais en réalité obligatoirement faits et rendus »[2]
Une des définitions du sens renvoie par
ailleurs à l’interprétation subjective d’un message, exprimé à travers
l’usage d’un code donné. Si le don est un moteur de la construction de
sens, il semble intéressant d’analyser le pro bono sous cet angle. Les
conditions particulières du partage qui s’opère grâce à des activités
telles que le bénévolat ou le mécénat de compétences suggèrent
naturellement une dynamique d’échange, de don et de contre-don, plus
certaine que dans le cas de la forme classique de mécénat financier.
Ces activités offrent un cadre qui
permet notamment la rencontre humaine, et par là une reconnaissance de
sujets traditionnellement opposés, entreprises et associations. Les
associations n’ont pas le monopole du sens, et les entreprises ne sont
pas seules détentrices de compétences. Les premières et les secondes
peuvent donc être associées dans une dynamique collective de
construction de valeurs communes et de renforcement des liens sociaux.
Pour aller plus loin : Bénévolat : les nouveaux ressorts de l’engagement
Crédit photo : Cordes, de Daniel Delsol, sous licence Creative Commons.
Sources :
Roger Sue et Jean-Michel Peter, Rapport de Recherche Intérêts d’être bénévole, synthèse des résultats, Université Paris Descartes, Sorbonne Paris-Cité, Crédit Mutuel et La Fonda.
Jacques T. Godbout, en collaboration avec Alain Caillé, L’esprit du don, 1992 http://classiques.uqac.ca/contemporains/godbout_jacques_t/esprit_du_don/esprit_du_don_intro.html#_Quand_le_don
Isabelle Douart, Mécénat de compétences, une autre source de financement, 2008.
Lionel Prouteau et François-Charles Wolff, Les motivations des bénévoles. Quel pouvoir explicatif des modèles économiques ? 2004.
Roger Sue et Jean-Michel Peter, Rapport de Recherche Intérêts d’être bénévole, synthèse des résultats, Université Paris Descartes, Sorbonne Paris-Cité, Crédit Mutuel et La Fonda.
Jacques T. Godbout, en collaboration avec Alain Caillé, L’esprit du don, 1992 http://classiques.uqac.ca/contemporains/godbout_jacques_t/esprit_du_don/esprit_du_don_intro.html#_Quand_le_don
Isabelle Douart, Mécénat de compétences, une autre source de financement, 2008.
Lionel Prouteau et François-Charles Wolff, Les motivations des bénévoles. Quel pouvoir explicatif des modèles économiques ? 2004.
[1] Yannick Blanc, Les associations face à la reconfiguration des individus, La tribune Fonda – octobre 2011
[2] Marcel Mauss, Essai sur le don, édition 1950, p.147
Bénévolat : les nouveaux ressorts de l’engagement
La nature du bénévolat semble avoir
changé en l’espace d’une génération. C’est le constat indéniable que
devra faire tout lecteur des dernières études sur les ressorts de
l’engagement bénévole, études qui laissent également esquisser les
formes et les contours du bénévolat de demain.
Du devoir, voire de la mission, sous couvert d’altruisme, on est passé à une forme privilégiée de la réalisation de soi avec l’avènement d’un « individualisme relationnel », où la notion de plaisir devient déterminante. Jean-Michel PETER et Roger SUE, De l’intérêt d’être bénévole.
Pour
réaliser cette analyse, nous avons souhaité croiser les résultats de
deux travaux complémentaires, à savoir : les études quantitatives La France Bénévole (éditions 2010 et 2012) menées conjointement par France Bénévolat et Recherches & Solidarités,
ainsi que l’étude qualitative de 58 récits de bénévoles, réalisés par
Roger Sue et Jean-Michel Peter, chercheurs au laboratoire Cerlis/CNRS de
l’université Paris Descartes.
Donner un sens à sa vie : le plaisir de s’accomplir
Lorsque l’on interroge les bénévoles sur
leurs motivations, la première raison apportée est « J’ai voulu donner
du sens à ma vie ». Cette motivation est citée par 57% des actifs et des
retraités, et 49% des étudiants.
Le plaisir semble jouer un rôle
déterminant dans la construction du sens de l’action par les bénévoles :
il est à la fois la condition et la conséquence de l’action. En ce qui
concerne cette composante « plaisir », les jeunes
assument davantage l’épanouissement personnel que leur procure leur
engagement bénévole. Ainsi, en 2010, 60% des 18-25 ans citent ainsi
l’épanouissement comme source de satisfaction contre seulement 36% des
retraités et 48% de l’ensemble des bénévoles en moyenne[1].
Si les différences de questionnaires ne nous autorisent pas toutes les
comparaisons, on peut certainement se risquer à interpréter une plus
forte présence de l’épanouissement personnel parmi les attentes des
bénévoles, notamment chez les plus de 60 ans. Ainsi en 2010, seulement
36% des retraités citaient l’épanouissement personnel comme source de
satisfaction dans leur engagement associatif[2], contre 48% en 2012[3]. Cette évolution est confirmée par les récits de bénévoles.
Aujourd’hui, les leviers de l’engagement résultent de l’adéquation entre la volonté d’œuvrer pour une collectivité et de former sa personnalité dans un engagement choisi et volontaire pendant son temps libre. Roger Sue et Jean-Michel Peter, De l’intérêt d’être bénévole, 2011.
Le bénévole semble finalement offrir à
l’association son temps et ses compétences en échange d’un cadre propice
à l’épanouissement personnel. Particulièrement propice à
l’introspection, au retour sur soi et à la reconnaissance, l’engagement
associatif contribue à la formation de l’identité de l’individu moderne,
toujours en mouvement. Parallèlement, cet engagement paraît
indissociable du plaisir lié à l’accomplissement de soi.
Apporter ses compétences à une cause d’intérêt général : de l’utilité des compétences
52% des actifs et 51% des étudiants souhaitent apporter leurs compétences professionnelles ou leurs connaissances académiques à une cause d’intérêt général.
Lorsque les bénévoles se définissent
eux-mêmes comme « des personnes ayant simplement le souci de se rendre
utiles », il n’est pas surprenant d’observer que la moitié des bénévoles
souhaitent mobiliser leurs compétences pour se rendre utiles à la
société. Cette tendance est encore plus forte chez les étudiants, 70%
desquels affirment utiliser leurs connaissances et compétences acquises
au cours de leurs études pour leur activité bénévole, contre seulement
5% qui tiennent à bien séparer ces deux activités.
Si les bénévoles souhaitent apporter
leurs compétences aux associations, ils attendent également de leur
engagement associatif qu’il leur permette d’acquérir de l’expérience et
de nouvelles compétences, parfois mobilisables au travail, et que les
bénévoles n’hésitent pas à valoriser. Ainsi, 76% des actifs citent leurs
expériences bénévoles sur leur CV, dont 47% systématiquement et 29%
uniquement lorsqu’ils pensent que cela sera un atout.
A cet égard, s’il est important de
prendre en compte la représentation que l’individu se fait du monde du
travail, on notera que 62% des actifs répondants affirment que leur
employeur est au courant de leur activité bénévole, 35% pensent que
l’employeur n’est pas au courant ou n’a pas à être au courant, et
seulement 3% ont peur que cela soit mal perçu par l’employeur.
90% des étudiants font mention de leur activité bénévole dans leur CV (dont 62% le font systématiquement). 57% des étudiants pensent que leur expérience bénévole leur sera utile devant un jury d’examen.
Parfois, les bénévoles attendent que
l’association soit proactive en matière de transfert de compétences.
C’est notamment le cas de 26% des moins de 25 ans, et de 27% des 25-40
ans qui souhaitent recevoir une formation dans
le cadre de leur engagement bénévole. On note un parallèle important :
41% des retraités aimeraient transmettre leurs savoir-faire à des
bénévoles plus jeunes dans les prochaines années.
On retiendra finalement plusieurs
apprentissages. D’une part, les bénévoles souhaitent mobiliser leurs
compétences, voire même recevoir une formation, pour être « utiles et
efficaces » dans leur engagement. D’autre part, ils sont conscients de
la capacité des associations à développer chez eux certaines compétences
qui peuvent faire l’objet d’un transfert dans la vie professionnelle ou
estudiantine. Ils hésitent alors ni à les valoriser, ni à les
mobiliser à l’extérieur du monde associatif.
Appartenir à un groupe : de l’adhésion à la reliance
80% des bénévoles jugent que la dimension collective du projet a été essentielle lorsqu’ils ont commencé leur activité bénévole.
Si l’individu moderne souhaite davantage
être maître de son réseau relationnel, il se soumet moins facilement
aux règles d’un collectif dont l’élaboration lui échappe. Pourtant, le
collectif ne semble pas disparaître sous la pression de
l’individualisme. Le besoin d’échange, de reconnaissance et d’appartenance à un groupe, dit « reliance » reste fort malgré tout.
46% des étudiants et 34% des actifs citent l’envie de participer à des activités en équipe comme facteur de motivation.
Le projet associatif en tant que
document formalisé et fédérateur, preuve de l’association des bonnes
volontés, n’est pas un facteur d’adhésion déterminant. Il justifie et
motive l’engagement sur le long-terme plus qu’il ne le suscite en
premier lieu. Ainsi, bien que 64% des bénévoles connaissent et se sont
approprié le projet associatif, seulement 9% des bénévoles affirme que
le document du projet associatif les a décidé à devenir bénévole dans
l’association.[4]
Par contre, les bénévoles, et notamment les jeunes, sont désireux de
réaliser des activités concrètes en équipe. On note que les liens créés
grâce au bénévolat sont également appréciés par les retraités, d’autant
plus qu’ils sont davantage exposés aux situations d’isolement.
On est donc passé d’une adhésion
idéologique et militante aux valeurs et aux règles du collectif à un
phénomène de reliance, c’est-à-dire un besoin ressenti par les individus
de se lier ou de se relier au groupe, cher au sociologue belge Bolle de
Bal.
Finalement, cette nouvelle génération de
motivation n’est probablement pas le signe d’un recul de l’altruisme ou
du sens du collectif, mais plutôt d’une reconfiguration profonde des
individus. Chacun cherche sa propre trajectoire en s’affranchissant des
identités héréditaires, dans une société où la frontière entre sphère
privée et sphère publique s’effrite et où les idéologies, les
institutions (tradition, croyances, mœurs, etc.) et les corps
intermédiaires s’essoufflent.[5]
Mais il existe bien un parcours de l’engagement, puisque les études
montrent aussi l’évolution des motivations : on s’engage d’abord pour
soi, puis avec les autres, puis pour les autres et enfin pour la
société.[6]
[1] La France Bénévole 2010
[2]
La France Bénévole 2010, réponse « L’épanouissement personnel » à la
question « Quelles principales satisfactions éprouvez-vous dans votre
engagement »
[3] La France Bénévole 2012, réponse « Qu’elle est épanouissante » à la question « De votre activité bénévole, vous diriez plutôt »
[4] La France Bénévole 2012, France Bénévolat
[5] Yannick Blanc, Les associations face à l’individu reconfiguré, La Tribune Fonda, 2011
[6] Bénédicte Harvard Duclos –Sandrine Nicourd – Pourquoi s’engager : Bénévoles et militants dans les associations de solidarité – Paris – Payot – 2005
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