De ce jeune homme, une seule photo a circulé, diffusée par le groupe Action antifasciste dont il était membre : une image en noir et blanc montrant un visage de profil, poupin, les cheveux soigneusement coiffés, la chemise à carreaux impeccablement boutonnée. Au lendemain d'une très violente altercation avec des skinheads, dans le quartier Havre-Caumartin à Paris (9e arrondissement), Clément Méric, 19 ans, a trouvé la mort, jeudi 6 juin, à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière. L'auteur présumé de l'agression aurait été arrêté, selon le ministère de l'intérieur.
Lire nos informations : Le militant antifasciste Clément Méric est mort
Originaire de Brest, il avait obtenu l'an dernier son bac S avec
mention bien après une scolarité au lycée public L'Harteloire. Le
proviseur du lycée, Jean-Jacques Hillion, interrogé par Le Télégramme, a décrit "un élève brillant, je dirais même un élève modèle. On ne décroche pas un bac S avec mention bien, pour ensuite intégrer Sciences Po Paris par hasard..." Il était "courtois et respectueux des autres, a renchéri le proviseur,
pleinement engagé dans les instances du lycée, en tant que délégué ou
représentant des élèves. Il était particulièrement éloquent et on
sentait en lui l'âme d'un jeune homme capable d'endosser des responsabilités." En
2010, notamment, raconte le proviseur à l'AFP, il avait été un des
chefs de file du mouvement contre la réforme du lycée lancée par la
droite.Ses parents, récemment partis en retraite dans le Gers, enseignaient le droit à l'Université de Bretagne-Occidentale (UBO, à Brest) : le droit public pour son père et le droit privé pour sa mère. D'anciens étudiants ont évoqué une famille très sympathique et ouverte d'esprit, bien connue de toute la faculté de droit.
"JAMAIS UN MOT PLUS HAUT QUE L'AUTRE"
Clément Méric s'était installé à Paris en septembre pour y poursuivre ses études à Sciences Po. A l'unisson, tous ses camarades de promotion ont parlé d'un "jeune garçon très engagé", "qui ne disait jamais un mot plus haut que l'autre", "une crème", "le type de personne que tout le monde voudrait avoir dans son entourage". "Il a été tué pour ses idées", a évoqué avec effroi un camarade de première année.
Le jeune homme, qui militait déjà quand il était lycéen à la section brestoise de la Confédération nationale du travail (CNT), mouvement anarcho-syndicaliste, s'est très vite rapproché, comme étudiant, du syndicat Solidaires Etudiant-e-s Sciences Po, ainsi que du groupe Action antifasciste Paris-banlieue (AAPB). Cette organisation, héritière des "redskins", s'était engagée ces derniers mois en faveur de la loi sur le mariage gay et Clément Méric avait participé ces derniers mois à plusieurs actions pour dénoncer la recrudescence de propos homophobes. Une vidéo disponible sur le Web montre d'ailleurs le jeune homme, vêtu d'un polo orange, foulard rouge sur le visage, défier les partisans de la "Manif pour tous" (à 1'20 et à 2') .
PROVOCATIONS VERBALES DE LA PART DES DEUX CAMPS
Lors d'une conférence de presse tenue jeudi en début d'après-midi, les membres d'AAPB ont tenu à souligner que Clément Méric "n'était pas un bagarreur, ni un monstre de guerre". Evoquant sa carrure plutôt frêle, les militants d'AAPB ont indiqué que le jeune homme s'était récemment relevé d'une leucémie et n'avait pas une attitude belliqueuse. Et pour souligner que Clément Méric n'était pas un provocateur, ils ont rappelé que c'est en se rendant à une vente privée de vêtements que le jeune homme s'est trouvé pris dans une altercation.
Les premiers éléments de l'enquête de police semblent toutefois indiquer qu'il y a eu des provocations verbales de la part des deux camps. Clément Méric et ses amis auraient moqué le look d'un groupe de skinheads, tatoués de croix gammées et vêtus de sweat-shirt "Blood and honour", puis affirmé leur militantisme politique d'extrême-gauche. Quelques minutes plus tard, en quittant les lieux de la vente, les provocations auraient repris dans la rue de Caumartin, voie commerçante très fréquentée située derrière les Grands Magasins. Clément Méric, qui n'avait pas encore commencé à se battre, aurait été victime d'un "violent coup de poing", le faisant heurter un poteau. Une chute fatale.
Mathilde Gérard
Clément Méric, étudiant frappé à mort : choisir ses mots, c’est choisir son camp
Evidemment, l’indignation. Un jeune homme de 18 ans, frappé à mort en pleine rue par un groupe d’agresseurs, s’écroule, sa tête heurte un plot, il est en état de mort cérébrale. Tout nous indigne : l’âge de la victime, l’agression, la mort. Mais juste après l’indignation, l’embarras des mots, et les questions sur les circonstances.La victime, Clément Méric, était étudiant à Sciences Po Paris dit-on, et militant proche du mouvement « Action antisfasciste Paris banlieue ». Quant aux agresseurs, ils seraient, eux, des militants des « Jeunesses nationalistes révolutionnaires » de Serge Ayoub, dit « Batskin » (pour en savoir plus sur ces charmants jeunes gens, voir quelques extraits du documentaire de Canal+ que nous diffusions dans une de nos dernières émissions, et entendre notamment Ayoub y déclarer que « la violence est un moyen d’expression »).
Ne pas renvoyer dos à dos agresseurs et agressé
Comment, pour les journalistes qui relatent les premiers l’événement, survenu mercredi en fin d’après-midi, désigner d’abord la victime ? Etudiant ? C’est évidemment incomplet, et ce n’est pas en qualité d’étudiant que Clément Méric a été frappé.Militant d’extrême gauche ? Attention à ne pas créer une fausse symétrie avec l’extrême droite, renvoyant ainsi dos à dos agresseurs et agressé. Militant antifasciste ? Mais les agresseurs peuvent-ils vraiment être appelés des « fascistes » ?
Quant à ces agresseurs, mêmes questions. Faut-il les appeler des « skinheads », ce qui atténue la responsabilité éventuelle de leur organisation politique ? Faut-il les désigner par le nom de cette organisation, les « Jeunesses nationalistes révolutionnaires » ? Mais le seul témoignage sur leur appartenance à ce mouvement provient manifestement des accompagnateurs de la victime, et il est donc à confirmer.
Attendre le procès
Pour la presse, comme demain pour la police, impossible de répondre à ces questions sans reconstituer le plus précisément possible les faits, pour l’instant peu clairs. Quel enchaînement d’événements, apparemment en dehors de tout contexte de manifestation, a conduit à la bagarre mortelle ? Agresseurs et victime se sont-ils retrouvés par hasard ?Et sinon, comment le groupe d’agresseurs savait-il qu’un petit groupe de militants ennemis se trouvait dans cette « vente privée » d’un magasin de vêtements de sport, dans le quartier de la gare Saint-Lazare, à Paris ? Les deux groupes se connaissaient-ils ?
Il faudra pour savoir attendre l’enquête de la police, et surtout le procès, qui seul permettra d’approcher la réalité du déroulement des événements. Et en attendant, savoir que choisir ses mots, c’est choisir son camp.
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