lundi 2 septembre 2013

Maddie, Estelle, les frères Fortin : comment “vieillissent” les enfants disparus ?


Un visage plus étiré, moins poupin, comme figé. Si Madeleine McCann est en vie, elle ressemble peut-être à cette enfant de 9 ans aux traits artificiellement vieillis. Le portrait de la fillette, disparue le 3 mai 2007 dans la station balnéaire portugaise de Praia da Luz, se veut réaliste. La police britannique, en le diffusant, espèresusciter de nouveaux témoignages et ainsi relancer le dossier. Mais si le recours aux images transformées est désormais courant, rares sont les photos “vieillies” àavoir permis de résoudre les cas de disparitions d’enfants.
Pour transformer le visage de Maddie, l’artiste et anthropologue britannique Tery Blithe s’est appuyée sur une multitude de photographies de la fillette et de ses parents au même âge. Les portraits rassemblés ont été intégrés à un logiciel de retouche, superposés et modifiés en tenant compte des observations des proches de la petite. “Chez les enfants, le crâne continue de grossir et les dents changent.[...] Confronter ces images à celles des [géniteurs] nous donne au moins des indications correctes sur les proportions du visage“, a expliqué l’experte au site de la chaîne canadienne CBC News.
Le procédé n’est pas nouveau. Le FBI utilise depuis le milieu des années 1980 des programmes informatiques permettant d’altérer par ordinateur l’apparence de personnes recherchées. En France, les premiers tests appliqués au vieillissement des enfants remontent à 1992. Facilités depuis par le développement des logiciels de traitement d’image et d’anamorphose, il se sont généralisés à la demande des autorités. Aimé Conigliaro, 55 ans, est l’un des seuls experts français à s’yconsacrer.

Cet ancien prothésiste dentaire a exercé pendant vingt-quatre ans dans le service de santé des armées avant d’intégrer, en 1997, le département anthropologie-thanatologie-odontologie de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie (IRCGN) à Rosny-sous-Bois. Cette branche, dirigée par un médecin légiste, compte seulement onze spécialistes. Tous sont militaires, à l’exception d’Aimé Conigliaro.
De part et d’autre du sombre couloir qui mène à leurs bureaux, une étrange collection de crânes, ossements et moulages divers peuple les armoires vitrées. La “touche décorative” tranche avec la simplicité toute administrative des lieux.“C’est notre petit musée des horreurs”, s’amuse Aimé Conigliaro en faisant le tour du propriétaire. Depuis qu’il officie à l’IRCGN, l’expert réalise en moyenne quatre ou cinq “vieillissements” par an. Il peut être saisi par un magistrat ou par un officierde police judiciaire, jamais par un particulier.
“LES YEUX ET LE SOURIRE NE CHANGENT PAS”
Une fois qu’il dispose du portrait, l’expert commence par positionner sur le visage 27 points anthropométriques. C’est en fonction de ces repères qui identifient les régions osseuses évoluant avec l’âge que les traits sont étirés. Selon les groupes biologiques de l’enfant (caucasien, asiatique, etc), les dimensions changent jusqu’à 25 ans. “En général, la base du nez s’épate, la lèvre inférieure, le menton et les oreilles s’allongent, explique Aimé Conigliaro. Il n’y a que les yeux, le sourire, les fossettes et la forme du front qui ne changent pas.”

L’image obtenue après étirement est convertie en noir et blanc. “Le but est d’éviter que le regard ne s’attarde sur des détails comme la couleur des vêtements”, note l’expert. Toute l’attention doit se concentrer sur le visage. Pour accentuer son vieillissement, Aimé Conigliaro dispose d’un panel de coupes de cheveux, de barbes et de lunettes. “Selon ce que nous choisissons, l’expression peut complètement changer”, explique-t-il. Plusieurs modèles sont donc soumis au magistrat. C’est lui, ou l’officier de police judiciaire en charge de l’affaire, qui tranchera.
Si on le compare au travail de certains portraitistes, le résultat obtenu peut apparaître approximatif, et même grossier. Les représentations “vieillies” deMaddie McCann ou d’Estelle Mouzin diffusées dans la presse ont un rendu moins artificiel que les images en noir et blanc produites à l’IRCGN. Pourtant, ces portraits ne sont pas nécessairement plus proches de la réalité. “Ce sont des photos d’art, observe Aimé Conigliaro. Nous, nous privilégions une démarche strictement scientifique. La patte de l’artiste implique une subjectivité qui peut nuireà la vérité.”


L’expert recourt éventuellement à des logiciels de “morphing” ou de fusion d’image, mais ces programmes ne s’imposent que lorsque le vieillissement àpartir de points anthropométriques a échoué. “L’idéal, selon Aimé Conigliaro, serait évidemment de développer un programme qui rassemble tous ces outils et nous donne surtout la possibilité de créer des représentations en trois dimensions. Nous avions commencé à élaborer un outil de ce type avec un chercheur de l’université de Marne-la-Vallée, mais le projet est resté en suspens.”
DEUX AFFAIRES DÉJÀ RÉSOLUES EN FRANCE
Depuis qu’elles sont couramment utilisées en France, ces techniques ont permis de résoudre deux affaires de disparitions d’enfants. La première concerne les frères Fortin, enlevés par leur père en 1998 et identifiés onze ans plus tard en Ariège. La seconde, Ruben Gruau, un enfant légèrement autiste kidnappé par sa mère de 2004 à 2010 avant d’être retrouvé par les autorités britanniques. Le jeune garçon est de nouveau porté disparu depuis janvier 2012.
“Pour les familles, le vieillissement des photos est toujours une bonne chose, puisqu’il signifie que l’enquête n’est pas close”, explique le président de l’association Aide aux parents d’enfants victimes (APEV), Alain Boulay. Son organisation, qui regroupe plus de 250 familles, lance régulièrement des campagnes d’affichage exposant les portraits “vieillis” réalisé par l’IRCGN. “La seule fois où l’entourage s’y est opposé, se souvient Alain Boulay, cela concernait Estelle Mouzin. Le père n’était pas satisfait du résultat et avait préféré s’adresser à un portraitiste américain.”
D’après le président de l’APEV, le dispositif de recherche des enfants disparus en France a longtemps pâti d’un manque de coordination entre services. Il a falluattendre janvier 2001 et la création de l’Office central pour les disparitions inquiétantes de personnes pour que le système gagne en efficacité.
Malgré ces efforts et la mise en place de correspondants disparition dans tous les département, certains cas n’ont jamais été élucidés. Yannis, Léo, Marion, Aurore, Tatiana, Céline, Estelle… Leurs noms continuent de hanter les esprits. Tout comme celui de Maddie.
Elise Barthet
Le Monde.fr

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.